Open Access
Numéro
OCL
Volume 20, Numéro 5, September-October 2013
Numéro d'article D503
Nombre de pages 5
Section Dossier : Biodiesel et huiles hydrotraitées / Biodiesel and hydrotreated oils
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2013026
Publié en ligne 27 septembre 2013

© G. Maisonnier et al., published by EDP Sciences, 2013

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Aujourd’hui les biocarburants restent considérés comme une des solutions technologiques pour limiter les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur du transport. Dans l’Union européenne, la directive sur les énergies renouvelables (en cours d’actualisation) en précise à la fois les conditions d’éligibilité (via le bilan GES en analyse de cycle de vie de ces biocarburants comparé aux carburants d’origine fossile, essence et gazole) et les objectifs « quantitatifs » d’incorporation.

Un des éléments d’évaluation de ces actions de politique publique est leur « efficience » au plan économique. Dans ce cadre, il importe de pouvoir définir à défaut de prévision une vision ou des scénarios d’évolution à court, moyen et long terme des prix des solutions de référence, donc du prix du pétrole. L’objectif ici n’est pas de rappeler toutes les études, publications ou travaux qui ont pu être faits par de nombreux organismes, mais seulement d’essayer de donner au débat les facteurs clés d’analyse et quelques scénarios.

1 Les leçons du court terme

L’année 2011 avait été marquée par de très fortes variations du prix du Brent qui avait oscillé entre 100 et 125 $/b au gré de la crise libyenne et des inquiétudes économiques et financières. L’année 2012 a connu les mêmes secousses géopolitiques et financières entraînant le pétrole dans des oscillations encore plus fortes qu’en 2011. Le Brent a ainsi évolué entre 88 et 128 $/b et le WTI1, toujours décoté compte tenu d’un afflux de pétrole canadien et de pétrole de roche-mère (tight oil ou shale oil), entre 77 et 109 $/b. Ces mouvements illustrent le fonctionnement même du marché qui, en permanence, spécule sur l’avenir. Plus les incertitudes et les inquiétudes sont grandes, plus les mouvements sont violents comme ce fut le cas en 2012 (Fig. 1).

thumbnail Fig. 1

Prix du Brent et du WTI (2011/2012) – équilibre instable autour de 110 $/b pour le Brent.

Ces mouvements reflètent ainsi les incertitudes géopolitiques et économiques, deux forces en présence depuis deux ans, aux effets opposés. La hausse du début d’année 2012 jusqu’à 128 $ en mars résulte des tensions avec l’Iran. L’embargo pétrolier décidé en janvier par l’Union européenne avec effet en juillet constituait le premier facteur de hausse. Les déclarations iraniennes concernant la menace du blocage du détroit d’Ormuz et l’hypothèse à nouveau évoquée d’une intervention israélienne renforçaient le risque de tensions potentielles fortes.

La hausse sera suivie d’une baisse rectiligne du prix avec un décrochage très marqué en juin. Trois facteurs en sont à l’origine : d’abord l’idée d’un excès d’inquiétude par rapport à l’effet de l’embargo sur l’Iran, alors que certains pays comme la Libye, l’Irak ou l’Arabie Saoudite renforçaient leurs productions; excès d’inquiétude également par rapport à une intervention israélienne qui continue à faire débat compte tenu des implications régionales qui en découleraient; enfin les inquiétudes financières européennes, en particulier sur le secteur banquier espagnol, faisaient plonger le pétrole en juin à moins de 90 $/b.

Faute de vision claire, les marchés anticipent un prix pour 2013 autour de 110 $/b. Des soubresauts à l’image de ce que l’on connaît depuis 2010 restent probables compte tenu du contentieux non réglé entre Israël et l’Iran, et du contexte économique européen et américain vacillant. Mais les échéances semblent se rapprocher pour affiner les scénarios possibles.

Sur le plus long terme, la révolution en cours des huiles de schiste sur le marché américain peut contribuer à limiter la tension du marché. Mais le contexte géopolitique en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, régions déstabilisées depuis les révolutions de 2011, constitue un facteur de pression important. L’équilibre du marché est un paramètre insuffisant face au risque géopolitique pour faire baisser le prix du pétrole.

Une détente des prix vers les 90 $/b ne semble envisageable que dans trois cas : une situation économique fortement dégradée ce qui n’est pas le scénario central annoncé par le FMI, un retour vers plus de stabilité et moins de tensions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et enfin, une progression plus rapide que prévue de la production des huiles de schiste américaine...

2 Vision de long terme du prix du pétrole : les principes

Les tendances de long terme du prix du pétrole peuvent être estimées en retenant quelques principes simples :

  • Le prix sera un prix mondial, compte tenu de la possibilité detransporter facilement cette source d’énergie.

  • Il existe un plancher qui est défini par le coût maximum d’accès à l’énergie considérée, incluant le coût de production (connu sous le terme de coût marginal de production) et le coût de transport (faible pour le pétrole, important pour ce qui est du gaz et du charbon).

  • Il est possible de descendre en dessous de ce prix plancher, mais pour des temps limités. Des facteurs correctifs ou forces de rappel (exemple destruction de l’offre) interviendront pour retourner vers le prix minimum tenable durablement2. Il convient également de noter que ce prix plancher peut évoluer dans le temps à la hausse (productivité décroissante par exemple) ou la baisse (changement de structure de l’offre, gain technologique...)3.

  • Il existe un plafond défini par le coût des substituts. Ce plafond sera atteint si le développement de ces substituts devient une nécessité imposée par l’équilibre offre/demande et non par choix de politique énergétique4. Pour le pétrole par exemple, ce sont les huiles synthétiques, les biocarburants, les véhicules électriques ou l’hydrogène. Pour le gaz naturel, on peut citer les biogaz ou l’hydrogène.

  • Il est possible de dépasser ce prix maximum, par exemple en cas de problème d’approvisionnements liés au contexte géopolitique. Ce dépassement ne peut intervenir que pour des temps limités. En effet au-delà des forces de rappel ramèneront le prix vers le plafond. Ces forces de rappel sont diverses et plus ou moins rapides à mettre en place. On peut citer les modifications des comportements (prix de destruction de la demande), les évolutions technologiques (véhicules plus performants) et bien sûr les différents substituts.

Sur cette base cela signifie qu’il existe une zone de volatilité entre le prix plancher et le prix plafond, avec autant de probabilité d’évoluer entre ces deux bornes suivant la situation du marché (excédents ou tensions). Il existe par ailleurs deux zones instables ou correctives, en deçà et au-delà du plancher et du plafond. Le passage du prix par ces zones ne peut être que transitoire compte tenu des forces de rappel qui se mettront en place. Dans une vision de long terme, ces zones extrêmes, impossibles à anticiper, peuvent être négligées. De façon pratique aujourd’hui :

  • Le prix plancher est aujourd’hui défini par les huiles lourdes,développées au Canada ou au Venezuela, qui se situe autour de80 à 90 $/b.

  • Le prix plafond est défini aujourd’hui par le prix des substituts liquides en particulier les biocarburants, notamment de deuxième génération. L’AIE estime leurs coûts entre 0,8 et 1,2 $/l, ce qui correspond à un prix équivalent du pétrole de l’ordre de 110 à 160 $/b5.

La zone actuelle du prix du pétrole à 100/120 $/b intègre une composante géopolitique (effet Afrique du nord, Iran, etc.) et la zone actuelle de volatilité du prix du pétrole se situe donc entre 80 et 160 $/b.

L’évolution du prix du pétrole dépendra donc de deux paramètres :

  • L’évolution du prix plancher c’est à dire du coût maximum (ditcoût marginal) de production qui peut évoluer à la baisse (effetprogrès technique par exemple) comme à la hausse(productivité en baisse, complexité grandissante desressources à développer...), cette dernière éventualité étant la plus probable.

  • La nécessité ou non de développer les substituts pour des raisons d’équilibre offre/demande et non en raison de politiques énergétiques.

Ces deux interrogations renvoient aux ressources disponibles face à l’accroissement de la consommation attendue. Il existe bien entendu des incertitudes fortes sur ces deux paramètres, en particulier sur le niveau des ressources futures exploitables.

L’AIE a estimé en 2012 à environ 6000 milliards de baril (Gb) les ressources techniquement récupérables incluant6 : 1200 Gb de ressources déjà produites, 2240 Gb de ressources conventionnelles, 430 Gb de liquides de gaz naturel, 1880 Gb d’huiles lourdes et 240 Gb d’huiles de schiste.

Côté consommation, si l’on suppose une consommation pétrolière mondiale stable et relativement élevée de 100 Mb/j (36,5 Gb par an) après 2015, le cumul jusqu’en 2050 s’établit à 2550 Gb dont 1200 Gb liés à la consommation historique, 620 Gb de 2011 à 2030 et 730 Gb de 2030 à 2050.

Cette comparaison indique que les ressources techniquement récupérables permettent de faire face à une demande de 100 Mb/j jusqu’en 2050. Il convient toutefois de souligner que les ressources conventionnelles7 seront fortement entamées, ce qui signifie un risque fort de volatilité des prix, avec des tensions passagères marquées, si le développement des ressources non conventionnelles n’est pas au rendez-vous.

thumbnail Fig. 2

Production mondiale de liquides, 1990–2035.

Il est nécessaire par ailleurs de rappeler que d’autres analyses sont moins optimistes sur le niveau des ressources techniquement récupérables. L’enjeu du débat se situe dans ce paramètre hautement incertain et sur lequel des sous estimations ont été systématiques par le passé. À titre d’illustration, les ressources nouvelles type offshore très profond, ou plus récemment les huiles de schiste, n’ont pas été bien anticipées. Le niveau de consommation futur en particulier après 2030 pourrait également être très inférieur à ce qui est retenu ici.

thumbnail Fig. 3

Prix du gazole des six dernières annèes.

thumbnail Fig. 4

Évolution des cotations à Rotterdam (source Platt’s). Figures couleurs, voir www.ocl-journal.org

À moyen terme, si le constat d’une offre suffisante est confirmée, le coût maximum devrait rester défini par les huiles lourdes, c’est à dire se situer autour des 100 $/b. Un développement important des huiles de schiste, remettant en cause les huiles lourdes, pourrait néanmoins définir un nouveau plancher. Il existe une forte incertitude sur cette possibilité et sur les coûts des huiles de schistes très variables même aux États-Unis pour un même bassin (50 à 150 $/b suivant la productivité, la présence de LGN etc.).

Dans le cadre étudié, l’idée d’une hausse inéluctable du prix sans limite (en dehors de crise géopolitique majeure) ne parait pas réaliste pour deux raisons :

  • Les ressources seraient a priori suffisantes pour faire face àune demande de 100 Mb/j d’ici 2035 (Fig. 2).

  • Les substituts définiront le seuil maximum et tout dépassement entrainera la mise en œuvre de forces de rappel.

Cette conclusion est évidemment vraie sous réserve :

  • que les estimations de ressources soient pertinentes;

  • que les investissements soient faits à temps pour les valoriser (sinon risque de forte volatilité);

  • que la consommation mondiale soit maitrisée pour ne pas dépasser les 100 Mb/j retenus comme maximum, ce qui est déjà discutable si on ajoute la question du changement climatique et de la réduction très forte des émissions de CO2 nécessaire pour l’éviter;

  • que les huiles non conventionnelles puissent être développées (risque sociétal en particulier).

En supposant ces hypothèses correctes, il est concevable de définir le scénario suivant pour le prix du pétrole :

  • une volatilité entre 100 et 160 $/b d’ici 2050, en dollarsconstants 2012 (soit en 2050 : 210 à 340 $/b courant);

  • une phase potentiellement fortement haussière après 2020/2030 quand les ressources conventionnelles seront fortement entamées;

  • un scénario de stabilité autour des 100/120 $/b ne parait pas irréaliste compte tenu des disponibilités en termes de ressources. Il ne paraît néanmoins pas le plus crédible aujourd’hui.

2.1 Quel impact pour la compétitivité des biocarburants notamment ceux issus des huiles végétales ?

Dans un premier temps il convient de rappeler les tendances pour la formation des prix en sortie raffinerie de l’essence et du gazole à partir du pétrole brut : aujourd’hui, le suivi est tendanciel et représente la part essentielle de la variation observées des prix TTC du gazole ces six dernières années en France, mais avec une forte instabilité comme le montrent les deux graphiques de la Figure 3 :

À titre indicatif pour un prix du brut de 160 $/b, le prix du gazole ex raffinerie avoisinerait les 0,85 €/l contre environ 0,6 €/l actuellement (soit 1,4 €/l TTC et marge de distribution incluse).

C’est dans ce contexte que la compétitivité économique directe des biocarburants doit s’apprécier à l’exclusion dans un premier temps de la prise en compte d’incitations fiscales éventuelles de type TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) ou TIC (exonération partielle de la taxe intérieure à la consommation : 0,08 €/l).

L’observation des cotations sur le marché de Rotterdam depuis 2005 montre bien qu’à part de rares périodes, le prix des huiles végétales a dépassé sensiblement le prix du gazole dans un cadre marqué aussi par une forte volatilité (Fig. 4), reflétant les spécificités des marché des matières premières agricoles :

  • en moyenne pour le colza d’environ 200 €/tonne soit autour de0,15 €/l pour une fourchette allant de 40 à plus de 400 €/tonne;

  • en moyenne pour le palme d’environ 20 €/tonne soit autour de 0,02 €/l pour une fourchette allant de −100 à plus de 300 €/tonne.

La prise en compte de la transformation de l’huile végétale dans une usine d’estérification ou d’hydrotraitement pour respecter les spécifications des « biodiesels » autorisés au

mélange avec les carburants d’origine fossile, qui a représenté un coût additionnel de 0,03 à 0,09 €/l entre 2009 et 2013, accroît encore légèrement ce différentiel.

Les scénarios des prix du Brut présentés précédemment ne garantissent donc pas nécessairement une inflexion des cours favorable à l’amélioration de cette compétitivité, sauf si les conditions (bilan offre-demande, géopolitique, conditions climatiques...) régissant les marchés du pétrole et des huiles végétales (aujourd’hui largement corrélées à la croissance économique) connaissent des évolutions bien distinctes.


1

WTI : West Texas Intermediate.

2

Exemple de 2008/2009 avec la baisse du prix du pétrole suivie d’un réajustement rapide à partir de 2010.

3

Exemple récent des gaz de schiste aux États-Unis qui a changé la référence de coûts.

4

Exemple des biocarburants ou des biogaz dont le développement n’est pas dicté par un besoin d’équilibre marché mais par un choix de politique énergétique (d’où la nécessité de les subventionner).

5

Dans l’hypothèse d’un très fort déséquilibre du marché, et si les biocarburants ne devaient pas être suffisants pour faire face à la demande, d’autres substituts à coûts plus élevés pourraient être nécessaires.

6

Les schistes bitumeux (1070 Gb), difficiles à produire, ne sont pas pris en compte.

7

Ce terme évolue dans le temps; ainsi ce qui est considéré comme « non conventionnelles » à un moment devient conventionnelles quelques années plus tard (ex offshore ultra-profond, huiles lourdes) et probablement à terme les huiles de schiste.

Cite this article as: Guy Maisonnier, Jean-François Gruson. Prix du pétrole : tendances à long terme et enjeux pour les biocarburants. OCL 2013, 20(5) D503.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Prix du Brent et du WTI (2011/2012) – équilibre instable autour de 110 $/b pour le Brent.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Production mondiale de liquides, 1990–2035.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Prix du gazole des six dernières annèes.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Évolution des cotations à Rotterdam (source Platt’s). Figures couleurs, voir www.ocl-journal.org

Dans le texte

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