Open Access
Numéro
ocl
Volume 19, Numéro 5, Septembre-Octobre 2012
Page(s) 245 - 248
Section Introduction
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2012.0475
Publié en ligne 15 septembre 2012

Trois questions sont à l’origine des sept articles de ce dossier :

  • Quelles sont les conséquences de l’accélération des échanges commerciaux, des investissements internationaux et des migrations internationales sur les comportements alimentaires ? En particulier, comment la situation commerciale de la Chine influence-t-elle la co nsommation mondiale alimentaire et le marché des oléagineux ? Et comment la demande chinoise est-elle influencée par les investissements internationaux ? Ainsi, l’on sait qu’en Europe, peu modifiée de l’Antiquité au Moyen Âge, la composition des repas s’est diversifiée à partir de la Renaissance avec l’introduction de légumes venant d’Amérique et d’Orient. De nouvelles graines et plantes ont été peu à peu rapportées par des conquistadors, des marchands et des missionnaires. Par exemple, la courge, d’abord utilisée pour ses graines oléagineuses, le haricot et le maïs viennent d’Amérique centrale et du Sud et ont été introduits en Europe au XVIe siècle et c’est d’Orient que viennent des légumes comme le chou-fleur, l’épinard, la betterave potagère, la pastèque et même la carotte.

  • Pour l’avenir, quelles tendances lourdes en termes de consommations et de sécurité alimentaires se dessinent ? Bien que la production agricole, les disponibilités alimentaires et les échanges se soient accrus, depuis le milieu des années 1990, le nombre des personnes en situation d’insécurité alimentaire augmente. Ce nombre avait pourtant baissé dans les années 1970 et 1980. Les crises des prix alimentaires sur les marchés internationaux aggravent la situation des populations vulnérables. Les stocks sont très bas et les flux tendus.

  • Quelles voies pourraient être suivies pour que la mondialisation et la libéralisation des échanges aient davantage d’effets positifs sur la sécurité alimentaire, y compris sur l’obésité ? Les entreprises agro-alimentaires pourraient-elles être davantage associées aux politiques publiques et avoir des stratégies qui contribuent à une réduction de l’insécurité alimentaire, en termes d’accès et/ou de quantité et/ou de qualité tout en valorisant leur capital ? Que peuvent faire les chercheurs ?

Le monde des oléo-protéagineux publié en 1988 et réalisé sous la direction de Jean-Pierre Bertrand avance que « la structure et la dynamique des marchés internationaux seront explicables par le jeu de l’affrontement et de la coopération entre politiques nationales et stratégies des acteurs qui transnationalisent leurs actions (notamment les firmes internationales) »1. Il rend compte des transformations de ce marché depuis les années 1960. L’étude des politiques d’importation s’intéressait aux répercussions de l’entrée de l’Espagne et du Portugal dans le Marché Commun. La situation des deux pays était analysée pour décrire le passage « d’une longue tradition méditerranéenne fondée sur la production et la consommation d’huile d’olive à une insertion profonde à l’économie mondiale des oléo-protéagineux »2. En 2012, Giulia Palma et Martine Padilla montrent que les concurrents des pays méditerranéens progressent et que l’attractivité du marché international prive le consommateur méditerranéen de son huile d’olive. La culture de l’olivier s’est répandue dans plusieurs pays du monde, notamment en Argentine, en Australie, au Chili et aux États-Unis, en raison d’une part, de mouvements migratoires et d’autre part, des recommandations nutritionnelles à propos de la « diète méditerranéenne ». Par ailleurs, dans plusieurs pays du Bassin, l’huile d’olive devient souvent marginale dans les usages et est remplacée par des huiles de tournesol, de palme ou de soja qui bénéficient d’un soutien important à la consommation. Cette multiplication des huiles semble avoir des impacts négatifs sur la santé en Tunisie. L’article nous interroge donc sur les conséquences sur la santé des transitions alimentaires dues à une évolution des soutiens publics ou de la demande.

En 1988, Jean-Pierre Bertrand indiquait des taux de croissance moyen de la production d’huiles et corps gras de 3,6 % par an dans les années 60, de 4,7 % par an dans les années 70 et il pensait qu’ils pourraient atteindre 3,7 % dans les années 80. En fait écrivent Jean-François Mittaine et Thomas Mielke, cette production a cru de 136 % dans les vingt-cinq dernières années, soit 5,5 % par an, un taux beaucoup plus élevé que celui de la population. Cette forte croissance est due d’une part, à la transformation des régimes alimentaires et à la consommation accrue de viande, et d’autre part, à son utilisation pour les biocarburants.

Les articles de Dominique Desjeux, avec une approche sociologique, d’une part, et de Jean-Marc Chaumet et Thierry Pouch, plus économique, d’autre part, montrent les mutations sociales et économiques de la Chine et leurs conséquences sur les modes de consommation alimentaire. Les modifications de la ration alimentaire chinoise bousculent l’objectif d’auto-suffisance du gouvernement. Les importations de graines de soja, de lait et de produits laitiers, de viande (porc, volaille), de vin, de sucre et d’huile de palme sont en forte croissance. Elles contribuent également à la montée des cours des matières premières agricoles et non agricoles. Ils nous font réfléchir aux limites temporelles et quantitatives de l’évolution de la demande chinoise en oléo-protéagineux ainsi qu’aux capacités de production de ce pays.

L’article de Claire Sabbagh et Patrick Etiévant détaille les déterminants des comportements alimentaires. Il nous permet d’encore mieux comprendre les modifications des comportements alimentaires chinois et les liens avec les politiques nutritionnelles. Les auteurs soulignent que deux catégories de la population française, qui auraient avantage à bénéficier de l’application des recommandations nutritionnelles, en sont de fait exclues : les personnes âgées et les plus démunis. Or, si l’Europe et l’Amérique du Nord vieillissent, cette évolution démographique commence à toucher les pays du Sud, et elle y sera plus rapide que dans ceux du Nord.

Deux voies sont proposées pour améliorer la sécurité alimentaire et peut-être éviter une convergence trop importante des systèmes alimentaires : donner un statut de bien public global (au même titre que l’environnement) à la question de la sécurité alimentaire, et développer la réflexion éthique dans les entreprises, les centres de recherche et chez les consommateurs. L’idée que la sécurité alimentaire est une question internationale ne va pas de soi, étant donné que le principe de souveraineté est au cœur du système des relations internationales. C’est une construction relativement récente et toujours « en train de se faire ». Pour François Lérin et Selim Louafi, ce que l’on regroupe aujourd’hui sous le terme de sécurité alimentaire mondiale est un ensemble de cinq questions qui ont émergé dans des crises et ont donné lieu, pour y répondre, à la création d’institutions organisées par des mandats, des moyens, des idées et des discussions séparées. Ces questions sont relatives à l’agriculture, aux droits, aux crises humanitaires, au commerce et aux marchés, et au développement. Pour progresser, ils proposent davantage de coordination au sein des questions et entre questions.

S’agissant des modèles de consommation et de la sécurité alimentaire, les domaines dans lesquels « l’inquiétude [doit être] nécessaire et sans fin » (Sicard, 2006) sont donc nombreux. C’est la raison pour laquelle l’article rédigé à partir de l’avis du comité consultatif commun d’éthique pour la recherche agronomique de l’Inra et du Cirad propose aux hommes politiques, aux entreprises et aux chercheurs de mener une réflexion éthique. Neuf questions éthiques en lien avec la production agricole, la consommation, la traçabilité ou les thématiques de recherche sont soulevées.

Pour l’avenir, dans différents pays et avec un objectif comparatif, au moins trois tendances relatives à la consommation de matières grasses semblent importantes à suivre :

  • Les conséquences biophysiologiques des changements des régimes alimentaires dans différentes régions du monde. L’espèce humaine a vécu dans des conditions extrêmement différentes du point de vue climatique et du point de vue de l’approvisionnement nutritionnel. Les Inuits ont vécu à certains moments de l’année avec un régime exclusivement constitué de graisses et de protéines et dans d’autres pays, des individus ont vécu et vivent avec un niveau calorique beaucoup plus faible, et un régime essentiellement constitué de riz ou de dérivés végétaux et dans lequel les apports de protéines et de lipides sont extrêmement faibles. Les hommes semblent avoir une grande plasticité métabolique et des bases biophysiologiques proches qui peuvent laisser penser que la convergence des modèles alimentaires est possible. Cependant, en Tunisie, le remplacement de l’huile d’olive par des huiles mélangées semble nuire à la santé, et les populations asiatiques non habituées au lait de vache développent souvent des allergies. De la même façon que les virus de la variole, de la grippe et de la rougeole présents chez les Conquistadors ont provoqué une hécatombe dans les populations des territoires amérindiens, l’augmentation de la consommation d’aliments très caloriques riches en graisses et en sucres mais pauvres en vitamines, en minéraux et autres micronutriments contribue à une épidémie mondiale de surpoids et d’obésité. Précisément, comment les changements alimentaires affectent-ils précisément le métabolisme des populations ?

  • Les interactions entre les consommations alimentaires et les recommandations des politiques nutritionnelles. Dans les pays développés, des recommandations nutritionnelles sont de plus en plus souvent émises. Les sources des recommandations, leur contenu et leur impact sur les consommateurs devraient être suivis. Sont-elles nécessaires dans les pays émergents et en développement ? Sur quelles bases les formuler ?

  • Les stratégies des firmes. La libéralisation des échanges ne semble bénéficier ni aux producteurs ni aux consommateurs car les secteurs du négoce, de la transformation et de la distribution agroalimentaire sont très concentrés. Lors du Forum Economique Mondial de 2011, vingt-six entreprises multinationales se sont associées pour publier un rapport intitulé Putting the New Vision for Agriculture into Action: A Transformation Is Happening 3 qui fait six propositions mais les engage elles-mêmes peu. Quelles vont être leurs stratégies pour contribuer à une sécurité alimentaire mondiale accrue ?

Enfin, il faut souligner que dans le livre sur les oléoprotéagineux écrit en 1988, aucun chapitre n’évoquait la situation chinoise. S’il était estimé que le Japon ne devrait pas être un important facteur de changement du système oléo-protéagineux mondial, que l’Inde développerait ses productions, que la demande du Pakistan devrait croître, il n’y avait rien sur la Chine. Mais les mouvements de répression étaient encore brutaux à cette époque, et l’intervention militaire sur la place Tian’anmen a lieu en 1989. Nous avons tendance à ne voir que ce qui est en droite ligne avec la représentation que nous nous forgeons des dynamiques en cours et à considérer que tout est possible sans prendre en compte les contraintes.

L’un des scénarios proposé par la prospective Agrimonde4 (le scénario Agrimonde 1) a cherché à explorer le concept de développement durable dans ses dimensions classiques (économique, sociale, environnementale), mais aussi en ce qui concerne certaines dimensions de l’alimentation relatives à la santé. Le monde en 2050 décrit dans ce scénario repose sur des conditions d’alimentation durables, qui concernent à la fois la réduction des inégalités face à l’alimentation et à la santé, au travers d’une réduction drastique de la sous-alimentation mais aussi des excès d’apports nutritionnels. Il suppose d’une part, que le niveau moyen de disponibilités pour la consommation alimentaire (en kcal) baisse dans les pays riches, sans que cela soit dû à une baisse du niveau moyen de revenu par tête. D’autre part, il suppose, dans les pays en développement, que l’augmentation du niveau moyen de revenu par tête se traduise par une augmentation des disponibilités qui soit à la fois suffisante pour contrer les risques de sous-nutrition et modérée pour que la transition nutritionnelle ne se traduise pas par une nouvelle progression de l’obésité. En 2010/11, pour la première fois en 22 ans, la consommation d’huile et de matières grasses dans l’Union Européenne a diminué. Et si ce scénario d’Agrimonde était possible ? Agissons pour qu’il le devienne.


1

Bertrand JP (dir.). Le monde des oléo-protéagineux. Politiques des Etats et Stratégies des Acteurs. Paris : Economica, 1998 : 16.

2

Buttoud. G. Note de lecture de « Le monde des oléo-protéagineux ; politique des Etats et stratégies des acteurs ». Economie Rurale 1989 (191), mais-juin.

4

Paillard S, Treyer S, Dorin B (Coord.). Agrimonde. Scénarios et défis pour nourrir le monde en 2050. Editions Quae, 2010. Voir aussi : http://www.cirad.fr/publications-ressources/edition/etudes-et-documents/agrimonde


© John Libbey Eurotext 2012

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