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Issue
OCL
Volume 25, Number 1, January-February 2018
Article Number D109
Number of page(s) 20
Section The oil & protein crop supply chain in South America / La filière oléoprotéagineuse en Amérique du Sud
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2018002
Published online 14 February 2018

© C. Sebillotte, Published by EDP Sciences, 2018

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

Ce travail se penche sur les évolutions de l’alimentation et de l’action publique en Argentine à la lumière des changements mondiaux, mais aussi de l’instabilité économique et sociale locale, et replace cette analyse dans le contexte latino-américain ; il porte un intérêt particulier à la question des lipides.

Le surpoids et l’obésité, problèmes nutritionnels planétaires, n’épargnent pas les populations des pays en développement. Dans la majorité des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, plus de la moitié de la population adulte est en surcharge pondérale3 (FAO et al., 2017). Mais le panorama nutritionnel de cette région du monde est encore plus grave car il se caractérise par la coexistence du surpoids et de l’obésité avec des maladies liées aux carences dans l’alimentation. Dans ce contexte, l’analyse de la situation argentine présente un double intérêt. D’une part, l’état nutritionnel de sa population est préoccupant : plus de la moitié des adultes (Indec et MSN, 2015 ; MSN, 2007) et environ un tiers des enfants sont en excès de poids (Indec et MSN, 2015). De surcroît, au sein de la population infantile, on observe 8 % de dénutrition chronique, 1,3 % d’extrême minceur et 10,6 % d’obésité (Indec et MSN, 2015). D’autre part, ce pays a réalisé des efforts importants en matière de politique nutritionnelle, en particulier sur les lipides, par exemple via des actions visant à réduire le contenu des acides gras trans d’origine industrielle, dont la démarche réussie est pionnière dans les pays en développement et figure parmi les premières du genre au niveau mondial.

Dans la première partie, nous présenterons la situation nutritionnelle de la population argentine ainsi que les évolutions du modèle de consommation alimentaire. Nous ferons une place particulière à l’évolution de la consommation de lipides en quantité et en qualité. Nous nous intéresserons aux raisons qui expliquent cet ensemble d’évolutions.

Dans la deuxième partie, nous nous intéresserons aux actions de politique publique développées en Argentine et visant les problèmes nutritionnels. Nous esquisserons une généalogie des mesures politiques mises en place par l’État argentin au fil des années. Nous nous concentrerons ensuite sur la description du processus et des résultats d’une action publique qui a servi de modèle à d’autres pays d’Amérique latine : il s’agit de la réduction des acides gras trans des aliments et du régime alimentaire.

Dans la troisième partie, nous essayerons de dresser un panorama général et non exhaustif de la situation nutritionnelle de l’Amérique latine, de l’évolution des modèles de consommation alimentaire ainsi que des politiques nutritionnelles mises en place dans la région.

2 Évolution du poids et des consommations alimentaires de la population argentine

2.1 La prévalence du surpoids et de l’obésité

En Argentine, 6 personnes sur 10 présentent du surpoids (4) ou de l’obésité (2). La prévalence de ces maladies est en hausse. Entre 2005 et 2013, le taux d’obésité est passé de 14,6 % à 20,8 %, soit une augmentation de 42,5 % de cet indice depuis 2005. La prévalence du surpoids et de l’obésité est plus importante chez les hommes, par rapport aux femmes ; chez les plus de 50 ans, par rapport aux plus jeunes ; et chez ceux qui ont un moindre niveau d’éducation, par rapport aux plus éduqués. En revanche, la prévalence du surpoids n’est pas corrélée au niveau de revenu du foyer (Indec et MSN, 2015)4.

Dans ce pays, l’absence d’enquêtes spécifiques et l’indisponibilité de données comparables ne permettent pas de quantifier précisément l’évolution rétrospective du poids sur le long terme (O’Donnell et al., 2004).

En rapprochant différentes études, O’Donnell et al. (2004) observent qu’entre 1938 et 1969 la croissance pondérale chez les jeunes adultes de genre masculin a été de 3,5 kg par décade.

Des travaux réalisés à partir de données issues de mensurations systématiques effectuées sur des conscrits recrutés pour le service militaire obligatoire entre 1969 et 1975 montrent, pour cette période, que le taux de surpoids a augmenté de 14,7 % à 19,5 %, que la prévalence de l’obésité est en hausse de 2,5 % à 4,1 % et que l’indice de masse corporelle (IMC) est passé de 21,7 à 22,2 (O’Donnell et al., 2004).

En 1999, chez la population adulte de Buenos Aires, 38,0 % des femmes et 55,2 % des hommes étaient en excès de poids ou en situation d’obésité. De manière plus précise, 27,6 % des femmes affichaient un surpoids et 10,4 % une obésité ; chez les hommes, ces valeurs s’avéraient plus élevées, avec respectivement 43,1 % de surpoids et 12,1 % d’obésité (Pasca et Montero, 2011)5.

En 2007, 24,9 % des femmes ayant entre 15 et 49 ans étaient affectées par l’obésité. En 2010, la moyenne estimée de l’IMC chez les hommes adultes de 15 ans et plus était la plus élevée d’Amérique latine avec un chiffre de 28,7 (CEAMEG, 2013) ; pour les femmes, l’indice se situait à 28,5 (CEAMEG, 2013).

Si les femmes semblent moins affectées que les hommes par la prévalence du surpoids et de l’obésité, les risques en matière de santé liés à l’accumulation de graisse et à sa localisation dans la région abdominale peuvent, chez les femmes, s’amplifier, par exemple, avec la ménopause et la grossesse et altérer la programmation fœtale en affectant les futures générations (Pasca et Montero, 2011).

Les enfants sont aussi concernés par le surpoids et l’obésité dans le pays. Des études réalisées dans différentes provinces au début des années 2000 montrent que le taux d’obésité des enfants de moins de 2 ans est d’environ 5 % et que la prévalence de l’obésité augmente avec l’âge (O’Donnell et al., 2004). En 2005, 27,4 % des enfants de 10 et 11 ans vivant dans l’aire de Buenos Aires présentaient un excès de poids, parmi eux 11,6 % souffrait d’obésité (Kovalskys et al., 2007). Chez les enfants, les problèmes de surcharge pondérale affectent les différentes catégories socioéconomiques (O’Donnell et al., 2004).

Les différents travaux considérés ne sont pas homogènes quant à leur période et méthode de réalisation, mais ils permettent de rendre compte de la situation pondérale préoccupante et de la tendance à l’augmentation du poids de la population argentine (Pasca et Montero, 2011).

En parallèle, des situations de déficit alimentaire sont encore bien présentes dans le pays. Mais, dans les milieux les plus pauvres, dans lesquels la prévalence de l’inadéquation nutritionnelle est plus forte (Durán et al., 2011), l’insatisfaction des besoins nutritionnels de base n’exclut pas des consommations excessives d’énergie de faible qualité nutritionnelle (MSN, 2016). Ainsi, au sein d’un même foyer ou d’une même communauté, peuvent coexister des personnes présentant des déficits nutritionnels avec d’autres en excès de poids. Dans la population d’enfants de 6 à 72 mois, la coexistence du déficit avec l’excès est flagrante : la diminution de taille est de 8 %, l’émaciation de 1,3 % et l’obésité de 10,4 % ; ces valeurs générales présentent des différences significatives selon la situation géographique et les conditions socio-économiques (Durán et al., 2011).

2.2 L’évolution du nombre de calories consommées

Un travail récent (Silberman et al., 2016) révèle que le nombre moyen de calories consommées par la population argentine en 2011 (3150 kcal/personne/jour) n’a pas augmenté par rapport aux quantités d’énergie consommées 50 ans plus tôt (1961, 3100 kcal/personne/jour). Cette analyse montre, cependant, que durant ces cinq décades il y a eu des variations dans la consommation énergétique dont les valeurs se situent dans une fourchette allant de 3333 kcal/personne/jour (1971) à 2911 kcal/personne/jour (1991). Ces fluctuations se manifestent par des périodes, pouvant durer plusieurs années, avec des tendances à la hausse ou à la baisse des calories ingérées. Si le nombre de calories ingérées par la population argentine n’a pratiquement pas augmenté en un demi-siècle, voire a diminué, si l’on considère les dernières deux décades (Zapata et al., 2016), comment le développement du surpoids et de l’obésité peut-il s’expliquer ?

2.3 Des modifications dans le modèle de consommation alimentaire

L’intérêt et la préoccupation que l’évolution des caractéristiques de la consommation d’aliments suscite dans les milieux scientifiques argentins, se sont traduits par la publication de deux importantes études sur la question, celle de Silberman et al. et celle de Zapata et al., toutes deux parues en 2016.

La première montre qu’entre 1961 et 2011, la composition du régime alimentaire a changé : la consommation de sucre a augmenté d’environ 40 % et celle des huiles végétales a plus que doublé, tandis que l’ingestion de fruits s’est réduite de moitié et celle de viandes a reculé d’environ 12 %. La consommation apparente de viande de bœuf, considérée traditionnellement comme un aliment de base du régime alimentaire argentin (Sandro Murray et al., 2013)6 avec une forte symbolique culturelle (TNS Gallup Argentina, 2005), a diminué de plus de 30 % en 50 ans, tandis que celle de viande de poulet a été multipliée par 4,42 (Silberman et al., 2016). D’une manière générale, à partir de la moitié des années 2000, la consommation d’aliments d’origine animale a commencé à reprendre (Silberman et al., 2016).

La deuxième étude, focalisée sur une période plus courte et plus récente, vient conforter ces résultats en mettant en évidence que durant près de deux décades (de 1996 à 2013), la consommation apparente d’aliments et de boissons a été modifiée : les Argentins consomment moins de fruits et légumes, de farine de blé, de légumineuses à graines, de viande bovine et de lait. En revanche, leur consommation de pâtes à tartes et de chaussons (farcis notamment de viande bovine, appelés « empanadas »), de viande de porc, de produits carnés semi-élaborés, de yaourts, de boissons rafraîchissantes sans alcool (avec ou sans bulles) et de plats préparés prêts à la consommation a augmenté. La consommation de viande de poulet a également augmenté notamment dans les catégories à faible revenu. À cela s’ajoute la faible diversité des aliments présents sur la table des Argentins : « la moitié de calories ingérées par jour est apportée par moins de 10 aliments (des pains, de l’huile de tournesol, de la viande bovine, du sucre, des pâtes, du riz, de la farine de blé, des biscuits sucrés et des boissons gazeuses sucrées). En 17 ans, seulement deux aliments se sont ajoutés à la liste : les boissons gazeuses sucrées et les biscuits sucrés », explique Zapata (Bär, 2016). Ces changements révèlent le déplacement d’un modèle d’alimentation basé sur des plats élaborés notamment par les consommateurs à partir d’aliments non transformés ou très peu transformés vers un autre modèle basé sur des produits de plus en plus ultra-transformés de fabrication industrielle (Zapata et al., 2016) (voir encadré 1).

Le classement des produits selon leur degré de transformation.

Monteiro et al. (2010) ont classé les aliments en quatre groupes qui rendent compte, entre autres, de leur degré de transformation. Ainsi, il y a les « aliments non transformés ou transformés de façon minime » (par exemple, fruits et légumes nature, œufs, lait, viande), les « ingrédients culinaires transformés », extraits des aliments naturels ou de la nature, avec lesquels on va faire cuire ou conserver les aliments non transformés ou peu transformés (par exemple : huile végétale, sucre et sel de table, miel), les « aliments transformés » par des procédés relativement simples (par exemple, conserves, fromages, pains selon des recettes traditionnelles) et, enfin, les aliments ultra-transformés (par exemple, biscuits, crèmes glacées, boissons gazeuses, viandes panées, plats préparés congelés, sauces) issus de processus de fabrication techniquement complexes qui utilisent certains ingrédients, comme les additifs, dont l’usage est limité à l’industrie (Monteiro et al., 2010).

2.3.1 De plus en plus de sucre et de graisse apportés par les aliments transformés et ultra-transformés

La présence dans l’alimentation des Argentins de produits transformés n’est pas nouvelle et au fil des années elle est devenue très importante. L’Argentine est le troisième poids lourd latino-américain de la consommation de produits ultra-transformés avec une vente au détail de 186 kg par personne et par an en 2013 (FAO et al., 2017). L’évolution du volume des ventes de produits ultra-transformés (exprimée en kg par personne par an) enregistre cependant une légère diminution de 4,4 % entre 2000 et 2013, soit −0,3 % par an. Mais l’analyse détaillée de l’évolution des paramètres nutritionnels vient relativiser cette perspective. Zapata et al. (2016) montrent que la part relative d’énergie apportée au régime alimentaire par les produits ultra-transformés a augmenté de 53 % en près de vingt ans (entre 1996–1997 et 2012–2013). Ce même travail met en évidence que ce phénomène augmente avec l’augmentation des revenus. En 1996–1997, les foyers les plus aisés consommaient 2,7 fois plus de produits ultra-transformés que les foyers les plus modestes. Cependant, en 2012–2013 ce rapport s’est réduit à 1,7. Chez les plus pauvres, cette évolution s’est produite aux dépens des produits pas ou peu transformés et des produits transformés, tandis que chez les plus riches, ce sont les ingrédients transformés qui ont été remplacés par des produits ultra-transformés (Zapata et al., 2016).

Ces modifications dans la structure et le type d’aliments qui composent le régime alimentaire se traduisent par des changements dans la consommation de nutriments (encadré 2), notamment par l’augmentation de la consommation de lipides et de sucres libres à partir des produits ultra-transformés.

Des évolutions dans la consommation d’autres nutriments.

Selon le travail de Zapata et al. (2016), entre 1996 et 2012, la consommation des nutriments autres que les lipides et les sucres libres a également évolué :

Sodium : la consommation apparente de sodium a diminué de 10 %. La réduction a été plus importante dans les fractions de la population à plus hauts revenus. La moitié du sodium du régime alimentaire est apportée par le sel de table et de cuisine. Juste derrière se trouvent les produits de boulangerie et les biscuits. Eux aussi sont des contributeurs importants (20 % du sodium ingéré). La diminution de la consommation de sel est due notamment à la réduction de la consommation de sel de table et en cuisine mais aussi aux politiques du ministère de la Santé incitant à la réduction du sel dans le pain et autres produits industriels.

Fer : la consommation de fer a augmenté de 10 %. Cette augmentation a été plus forte dans les populations à plus faible revenu, même si, en valeur absolue, ce sont les populations les plus aisées qui présentent une consommation plus élevée. Les produits de boulangerie, les biscuits secs et autres produits élaborés avec de la farine sont devenus d’importants contributeurs en raison de l’enrichissement obligatoire des farines avec du fer dicté par la loi 25630 (2002).

Fibres : en consommant 10 % de moins de fibres qu’il y a dix-sept ans, la population argentine atteint à peine 50 % des recommandations nutritionnelles. Les foyers les plus pauvres sont les plus affectés. La diminution de la consommation de fruits et légumes et l’augmentation de la consommation de céréales raffinées sont les facteurs explicatifs mis en avant par l’étude de Zapata et al. (2016).

Vitamine A : la consommation de vitamine A a diminué de 10 % en raison d’une moindre consommation de légumes. Les foyers à plus faibles revenus sont les plus affectés. Cependant, les valeurs recommandées sont couvertes dans tous les niveaux de revenus.

Calcium : la consommation de calcium ne couvre pas les valeurs recommandées. Dans le meilleur des cas, pour les foyers à plus forts revenus, elles sont couvertes aux deux tiers et dans le pire des cas, pour les foyers à plus faible revenu, elles sont couvertes à un tiers seulement.

Vitamine C : la consommation devitamine C est inférieure aux recommandations pour toutes les catégories socioéconomiques. Il existe une relation positive entre la consommation de vitamine C et le niveau des revenus bien que ce soit chez les plus riches que la diminution de la consommation ait été la plus prononcée. Chez les populations à plus haut revenu, les fruits constituent la principale source de vitamine C, suivis des légumes, tandis que chez les plus pauvres, c’est l’inverse. Si la faible consommation de vitamine C est associée à la diminution de la consommation des fruits et légumes par l’ensemble de la population, la part relative d’acide ascorbique apportée par les boissons industrielles fortifiées en vitamine C est de plus en plus importante (Zapata et al., 2016).

Pour ce qui est des graisses, par exemple, en considérant l’ensemble du régime alimentaire, la consommation totale de lipides, en tant que macronutriments, représentait 31,4 % des kilocalories ingérées par personne et par jour en 2012–2013 (Zapata et al., 2016), se situant dans un registre élevé si l’on considère les recommandations de l’OMS et de la FAO (OMS et FAO, 2003)7. Cette valeur a peu varié en dix-sept ans et, en valeur absolue, la quantité de lipides totale consommée a diminué de 95 à 89 g/personne/jour (−6,32 %) pour la même période. C’est l’origine des graisses qui a changé : selon Zapata et al. (2016), l’apport des graisses par des produits ultra-transformés a augmenté de 28,6 % entre 1996–1997 et 2012–2013. Au sein de cette catégorie de produits, les graisses sont principalement apportées par les plats préparés suivis des produits de panification et des biscuits. Il en est de même pour les graisses saturées. Plus le revenu est élevé, plus les graisses sont apportées par des produits ultra-transformés. Cependant, les populations moins favorisées réduisent progressivement leur écart de consommation de graisses et de graisses saturées en provenance de produits ultra-transformés avec les fractions les plus aisées (Zapata et al., 2016).

Concernant les sucres libres, la consommation des Argentins (13,4 % de la ration énergétique totale en 2012–2013) est au-delà des recommandations de l’OMS de ne pas dépasser 10 % de la ration énergétique totale chez l’adulte et l’enfant (WHO, 2015)8. L’étude de Zapata et al. (2016) montre que cette valeur a augmenté de près de 21 % en dix-sept ans (1996–1997 à 2012–2013). Tandis que, pour la même période, ce travail révèle que l’apport de sucres libres par des produits ultra-transformés a été multiplié par deux, notamment à partir de deux familles de produits : les boissons sucrées sans alcool, gazeuses ou non, et les biscuits. Rappelons que les Argentins sont les plus grands consommateurs de boissons sucrées au monde (131 L/personne/an) (La Nación, 2013)9 et figurent parmi les plus forts consommateurs mondiaux de biscuits (7 kg/personne/an) (Kantar Worldpanel, 2016). Comme pour les graisses, c’est dans les foyers les plus aisés que l’apport de sucre par des produits ultra-transformés se révèle le plus important. Mais l’écart d’apport de sucres libres à partir de produits ultra-transformés entre les catégories à plus haut revenu et à plus faible revenu se réduit. En 1996/1997, le sucre en provenance des produits ultra-transformés était 4,6 fois supérieur dans les foyers à plus haut revenu par rapport à ceux à plus faible revenu. En dix-sept ans ce rapport est passé à 1,8 (Zapata et al., 2016).

L’augmentation de la participation dans le régime alimentaire de produits issus de la transformation industrielle est en relation avec la forte augmentation de la consommation d’huiles végétales et de sucre : ces « deux ingrédients, seuls ou en combinaison, se trouvent dans pratiquement tous les aliments transformés », selon l’analyse de Silberman (Bär, 2017).

2.3.2 La spectaculaire augmentation de la consommation des huiles végétales

Au cours du XXe siècle, les graisses d’origine animale, traditionnellement utilisées dans la cuisine argentine, ont cédé progressivement la place aux huiles végétales et tout particulièrement à celle de tournesol. Le travail de Silberman et al. (2016) montre que la consommation d’huiles et graisses a presque doublé durant le dernier demi-siècle : entre 1961 et 2011, elle est passée d’environ 240 kcal/personne/jour à un peu plus de 400 kcal/personne/jour. Sur la même période, la consommation d’huile végétale a été multipliée par deux passant, entre 1961 et 2001, de 195 kcal/personne/jour à 400 kcal/personne/jour pour rester autour de cette valeur jusqu’en 2011 (fin de la période analysée). Dans le même temps, la consommation de beurre a diminué de 34 % (Silberman et al., 2016).

Toutefois, durant la deuxième moitié de cette longue période, on observe un ralentissement de la consommation des huiles et des graisses. Ainsi, entre 1996–1997 et 2012–2013, et en mobilisant une autre méthodologie, Zapata et al. (2016) montrent une tendance à la baisse dans la consommation totale d’huiles et de graisses10 qui passe de 48,8 à 40,4 g/personne/jour, soit une diminution de 17,3 %. Sur la même période, la consommation d’huile a été réduite de 23 %. Ces auteurs confirment la tendance à la baisse de la consommation de beurre avec une diminution de 12 % pour les années étudiées. Tandis que, pour la même période, la consommation de mayonnaise s’est accrue de 12,8 %. Ce travail révèle également une redistribution dans le type d’huile consommé : entre 1996–1997 et 2012–2013, la consommation d’huile mono-espèce a augmenté de 76 %, tandis que celle des huiles issues d’un mélange de plusieurs espèces a diminué de 62 %.

Ces évolutions générales peuvent masquer des différences de tendances de consommation selon le niveau de revenu. Ainsi, en presque vingt ans, la consommation totale d’huiles et graisses comme celle de beurre et d’huiles mono-espèce ont augmenté avec l’accroissement des revenus. C’est le contraire pour les huiles pluri-espèces : les plus aisés en consomment moins (Zapata et al., 2016).

2.3.2.1 Le cas particulier de l’huile de tournesol

En comparant le modèle de régime alimentaire en place de 1961 à 1963 avec celui identifié de 1992 à 2011, il ressort que la consommation apparente d’huile de tournesol a augmenté d’environ 40 %, passant de 165,0 à 262,2 kcal/personne par jour, tandis que celle de soja, très faible en début de la période analysée (0,3 kcal/personne/jour), est montée à 45,8 kcal/personne/jour (Silberman et al., 2016). Le travail de Zapata et al. (2016) confirme la tendance à la hausse de la consommation d’huile de tournesol avec des augmentations très importantes sur la période récente. Par exemple, entre 2004–2005 et 2012–2013 elle a presque doublé. Pour la même période, la consommation d’huile d’olive a aussi augmenté (+25 %), mais à partir de valeurs très faibles. En revanche, celle d’huile de soja, en croissance sur le long terme, a fortement diminué pendant la dernière décade11. La consommation d’huiles mono-espèce est partagée entre l’huile de tournesol (87,4 %), l’huile d’olive (3,76 %) et d’autres huiles à faible consommation (8,85 %) dont le soja (Zapata et al., 2016).

Il est intéressant de s’arrêter sur les évolutions enregistrées dans la production agricole oléagineuse argentine. Selon Franco (2010), l’expansion de la culture de tournesol et le développement de l’industrie de transformation oléagineuse se sont accentués en Argentine à partir des années 1930. La Guerre Civile espagnole puis la Seconde Guerre Mondiale ont favorisé le positionnement de l’Argentine comme producteur et exportateur d’huile pour approvisionner les pays du vieux continent, tandis que la croissance de la population intérieure a été une opportunité pour le développement de la consommation locale d’huile. « En 1970, les principales cultures oléagineuses occupaient 2,5 millions d’hectares, aujourd’hui elles dépassent les 20 millions d’hectares12. Au début des années 1970, six hectares sur dix étaient semés de tournesol et, sur les quatre autres, une grande partie était ensemencée en lin. Le soja commençait à peine à pointer. Aujourd’hui en revanche, ce dernier occupe 90 % de la surface semée » (Franco, 2010). En raison de cette croissance impressionnante de la surface oléagineuse, due notamment à l’expansion du soja, et de la lente diminution de la surface de blé, actuellement près du 70 % de la surface agricole argentine est ensemencée avec des oléagineux et le reste avec des céréales (López, 2015)13.

Cependant, on observe que malgré l’expansion spectaculaire de la culture du soja et la réduction des surfaces de tournesol, opérée notamment entre le début des années 2000 et la campagne 2013–2014 (Copati, 2016 ; SurdelSur, 2015, 2017), cette situation ne s’est pas traduite par une augmentation de la consommation de l’huile de soja dans l’alimentation14 (Calzada, 2016) : la consommation d’huile de tournesol a continué à croître. Et cela d’autant plus que la culture de tournesol traditionnel a cédé progressivement la place à celle de tournesol riche en acide oléique (Rosbaco, 2005)15, ce qui a contribué, comme nous les verrons, à faire face au défi de l’amélioration de la qualité des lipides dans les produits transformés.

2.3.3 La qualité des graisses consommées

En plus des matières grasses consommées en l’état (huile, margarine, crème fraîche…), d’autres, constituant des aliments plus élaborés, font également partie du régime alimentaire. Comment a évolué la qualité de l’ensemble des graisses consommées par la population argentine ?

Zapata et al. (2016) ont analysé les changements qualitatifs des lipides consommés en Argentine entre 1996–1997 et 2012–2013. La part relative des acides gras saturés dans le régime alimentaire a augmenté de 8,6 % durant la période considérée, tandis qu’en valeur absolue la consommation a légèrement diminué. Cette augmentation a été plus importante dans les foyers à revenu plus élevé : la recommandation de la l’OMS et de la FAO selon laquelle les graisses saturées ne devraient pas apporter plus de 10 % de l’énergie totale consommée n’est pas respectée par ces foyers. Pour la même période, la part relative des acides gras insaturés du régime alimentaire a légèrement diminué (monoinsaturés : −2 %, polyinsaturés : −5,6 %) à l’exception des oméga-3 dont la part relative est restée stable. En 2012–2013, la consommation des lipides polyinsaturés oméga-3 représentait 0,3 % des apports caloriques, comparée aux 1,4 à 1,8 % recommandés, et celle des lipides polyinsaturés oméga-6 représentait 8,5 % des apports caloriques par rapport aux 3 à 5 % recommandés. Le rapport oméga-6/oméga-3 reste très élevé par rapport aux valeurs conseillées. L’augmentation considérable de la consommation d’huile de tournesol ne contribue pas au rapprochement des valeurs recommandées (Zapata et al., 2016).

2.3.3.1 L’évolution de la consommation des acides gras trans

La consommation apparente des acides gras trans a diminué depuis 1996–1997 ; et, au moins depuis cette date, leur consommation montre une relation positive avec les revenus (Zapata et al., 2016). Une étude de la composition lipidique des aliments communément consommés et élaborés en Argentine à la fin du XXe siècle a montré que leur contenu en acides gras trans était plus élevé que dans d’autres parties du monde (Tavella et al., 2000). La part relative de la consommation des acides gras trans d’origine industrielle dans le régime alimentaire a diminué depuis 2004–2005 de plus de 22 % (Zapata et al., 2016). Cette valeur se situe actuellement sous la barre de 1 % de l’apport énergétique total (AET), comme le préconise l’OMS et bien au-dessous du seuil de consommation considéré comme risqué par l’Anses (Anses, 2011)16.

2.4 Les raisons des évolutions de la consommation alimentaire en Argentine : entre le global et le local

Certaines évolutions du régime alimentaire de la population argentine suivent la tendance globale, d’autres ne s’expliquent que par des raisons d’ordre local.

2.4.1 Les styles de vie changent et suivent la tendance globale

La fin du XXe siècle voit apparaître des changements importants dans les manières de manger des Argentins. Parmi ces évolutions, Sandro Murray et al. (2013) mettent en avant : l’installation, dès les années 1970, des chaînes de restauration rapide dans le pays (Pumper Nic en 1974, Mc Donalds en 1986 et Burger King en 1989) ; la multiplication des restaurants avec « buffets à volonté » ; le fort développement des services de livraison à domicile des pizzerias et d’autres fabricants d’aliments de restauration rapide ; la diminution du temps de préparation et de planification des repas ; le remplacement du goûter classique des enfants17 par des boissons gazeuses sucrées ou des jus artificiels et des gâteaux ou des biscottes industrielles avec un fort contenu de matière grasse et de sucres libres… Avec le XXIe siècle, la tendance est à la diminution de la consommation de viande bovine au profit du poulet (dont la consommation a presque doublé entre 2003 et 2011) et à l’augmentation de la consommation de pizzas (Sandro Murray et al., 2013).

Les changements constatés dans le modèle alimentaire argentin présentent des similitudes avec les évolutions observées dans d’autres pays, développés ou en développement : les aliments traditionnels et/ou peu transformés, dont certains nécessitent plus de temps de préparation pour être consommés, sont remplacés par des produits élaborés par l’industrie prêts à être consommés, avec des répercussions sur les nutriments consommés. Ainsi, les plats préparés, nous l’avons vu, figurent parmi les plus grands fournisseurs de graisses et des graisses saturées dans la catégorie des aliments ultra-transformés. Dans cette même catégorie, les boissons gazeuses sucrées sont devenues une source de plus en plus importante de sucres libres. « Des évolutions d’une telle ampleur en une période relativement courte »18 attirent l’attention des auteurs comme Zapata et al. (2016) qui les expliquent par une probable relation avec des « modifications dans le style de vie, comme le moindre temps dédié à la préparation des aliments »19 en lien, entre autres, avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail, mais aussi par une moins bonne maîtrise de la préparation des aliments ou par l’impossibilité de manger à la maison pour des raisons de travail ou de scolarité. Le marketing et la publicité réalisés pour vendre des produits à faible qualité nutritionnelle, ainsi que les stratégies liées aux prix et à l’accessibilité, sont aussi avancés pour expliquer les évolutions mesurées (Zapata et al., 2016).

En revanche, certains changements observés dans le régime alimentaire ne s’expliquent que par des considérations locales.

2.4.2 Les moteurs locaux de l’évolution des consommations alimentaires en Argentine : crises économiques, pouvoir d’achat et politiques sectorielles

Dans les paragraphes suivants, nous nous concentrerons sur les moteurs locaux d’évolution du régime alimentaire en Argentine.

2.4.2.1 Pouvoir d’achat et modèle économique général

Selon Silberman et al. (2016), le modèle de développement de l’Argentine basé sur la substitution d’importations a été remplacé, dans les années 1970, par un modèle économique basé sur le libéralisme financier avec une moindre intervention de l’État dans l’économie et tourné vers l’exportation. Ce nouveau modèle répondait aux exigences imposées par des institutions monétaires internationales pour prêter les fonds nécessaires à sa mise en œuvre. Certains secteurs alimentaires ont été favorisés par cette politique (production de volailles, de céréales, de soja, industries de l’huile, du sucre), mais d’une manière générale, ce modèle s’est avéré négatif, comme pour d’autres pays de l’Amérique latine. Les crises économiques à répétition, l’hyperinflation et la perte de pouvoir d’achat ont plongé la population argentine dans l’instabilité économique et sociale et réduit ses possibilités de se projeter dans l’avenir. Les fluctuations dans la quantité d’énergie consommée par jour et par personne observées par Silberman et al. (2016) entre 1961 et 2011 coïncident, selon ces auteurs, avec les changements du pouvoir d’achat de la population induits au fil des crises économiques successives qui ont secoué le pays pendant le demi-siècle analysé et notamment à partir de 1975. Ainsi, les conséquences de la crise sociale, politique et économique qui a affecté le pays en 2001 pourraient expliquer la baisse de 10 % de la quantité d’énergie consommée entre 1996–1997 et 2004–2005 (Zapata et al., 2016). Ces crises, et notamment celle de 2001 (encadré 3), ont condamné les fractions les plus pauvres de la population à une diminution dans la quantité et la qualité de la consommation alimentaire.

Crise de 2001 : mécanismes et effets sur l’alimentation des plus pauvres.

Depuis avril 1991, l’Argentine vivait sous un régime paritaire imposé par une loi « de convertibilidad » dictée par le président Menem dont l’objectif était de parer à l’hyperinflation en établissant un taux de change fixe par lequel un peso valait un dollar. En 1989, l’inflation annuelle était de presque 5000 % ! Pendant la première année de la « convertibilidad », elle descend à 84 %. La diminution du taux d’inflation annuel se poursuivra jusqu’à devenir négatif à partir de 1999 (Beker et Escudé, 2007). Le peso est alors surévalué et le taux de croissance est négatif. Les indices de chômage et de pauvreté s’envolent. La confiance des investisseurs fait défaut, la population retire les dépôts de la banque pour acheter des dollars, le gouvernement restreint la possibilité de retirer de l’argent des banques (corralito). Le pays entre en récession puis en dépression. Le taux de croissance du pays est négatif (−4,4 % en 2001 et de −10,9 % en 2002). À la crise économique s’ajoute la crise politique avec le départ du gouvernement en place et son remplacement par des gouvernements nommés par l’Assemblée législative. Finalement, le 6 janvier 2002, la loi de « convertibilidad » prend fin : dès le lendemain, le peso est dévalué de 40 % ; cette baisse atteindra 137,6 % le 31 décembre de la même année (Arelovich, 2015).

Une dévaluation rend plus compétitives les exportations mais renchérit, pour le marché intérieur, les produits exportables et ceux avec des composants importés « puisque les valeurs d’exportation sont la référence de prix et entraînent les coûts locaux » (O’Donnell et Britos, 2002).

L’Argentine est un pays exportateur d’aliments : graines oléagineuses et céréales, viandes et, dans une moindre mesure, produits lactés. Avec la dévaluation, ces produits exportables, composantes du panier basique de l’alimentation de la population et protégés auparavant par le taux de change de la « convertibilidad », sont devenus trop chers pour les fractions les plus pauvres de la société argentine. Ces aliments représentent 2/3 des calories ingérées et 1/3 des dépenses en alimentation des foyers les plus vulnérables (O’Donnell et Britos, 2002).

Pour Silberman et al. (2016), cette étape de perte de souveraineté alimentaire initiée dans les années 1970, et intensifiée dans les deux décades suivantes, est associée à des possibles substitutions entre aliments pour des raisons d’accessibilité liée au prix, comme par exemple l’augmentation dans la consommation de sucre et la diminution de la consommation de viande bovine dans les années 1990.

2.4.2.2 Les répercussions des mesures politiques prises dans d’autres domaines

En considérant comme une politique ce que les gouvernants font ou ne font pas (Mény et Thoenig, 1989), plusieurs évolutions du régime alimentaire des Argentins peuvent être associées à des mesures politiques nationales dont certaines ont affecté les caractéristiques de l’alimentation de la population par des effets indirects ou de second ordre (Duran, 2010 ; Nadel, 1975).

Par exemple, un point sur lequel l’évolution du modèle alimentaire argentin se situe à contre-courant des tendances observées dans d’autres pays, notamment des pays en développement, est la diminution de la consommation des produits d’origine animale et en particulier de la viande de bœuf. Selon Silberman et al. (2016), ce phénomène obéirait à des raisons internes principalement liées, d’une part, à la perte de pouvoir d’achat de la population dans les années 1980 et 1990, et, d’autre part, à la conversion à l’agriculture de terres traditionnellement dédiées au pâturage avec des répercussions à la hausse sur le prix de la viande bovine. Dans ce contexte, la mise en œuvre en 2007 d’une politique gouvernementale de subventions des industriels de la congélation de volaille afin d’assurer l’accessibilité de cet aliment pour le marché intérieur peut avoir accentué le renchérissement relatif de la viande de bœuf en faveur de la viande volaille (Silberman et al., 2016). De plus, l’absence d’intervention de l’État pour encourager la diversification des productions par les agriculteurs (agriculture, élevage) a très probablement eu pour conséquence d’accentuer cette tendance.

D’une manière générale, le secteur public a appuyé le secteur industriel de production et d’exportation d’aliments et de boissons à travers les institutions publiques de recherche et de technologie, mais aussi par une activité ministérielle destinée à favoriser les relations avec les marchés internationaux. Ce secteur économique est très important en Argentine : au début de la décennie 2010, le complexe des aliments et des boissons était à l’origine d’un tiers des exportations, en valeur, du pays20 (Boyadjián, 2012). Entre 2001 et 2010, le développement des exportations d’aliments et de boissons a augmenté de presque 200 % (COPAL, 2011)21. L’Argentine, avec des firmes locales et étrangères d’envergure internationale, est devenue un acteur alimentaire d’importance mondiale. On peut se demander si, dans cette course au développement économique du secteur agroalimentaire exportateur, les effets indirects que cette croissance a pu avoir sur la santé et le bien-être de la population et même sur l’environnement n’ont pas été négligés. Cette position de premier plan dans l’agroalimentaire mondial, en mobilisant des innovations technologiques basées sur des preuves scientifiques, et le caractère pionnier de l’Argentine en matière de législation alimentaire, notamment sanitaire (Ariosti et Olivera Carrión, 2014)22, contrastent avec une régulation des aliments en retard sur d’autres aspects (Socolovsky, 2012). Par exemple, pendant plusieurs années « l’absence de régulation en Argentine a donné lieu à l’utilisation des allégations santé dans certains cas (…) dépourvues de base scientifique » (Socolovsky, 2012). Un autre exemple est donné par la présence des acides gras trans dans les aliments dans les années 2000 (Tavella et al., 2000). Mais ce retard commence à être rattrapé : depuis 2011 une disposition sur l’utilisation des allégations dans la publicité des aliments a vu le jour23 ; depuis le début des années 2000 un processus a été initié pour retirer les acides gras trans des aliments (voir Section 3.2).

3 Les actions de politique nutritionnelle en Argentine

3.1 Une généalogie de l’action publique argentine en matière nutritionnelle

Les interventions politiques en lien avec la nutrition ont évolué en Argentine avec l’évolution des problèmes nutritionnels. D’une préoccupation centrée, au XXe siècle, sur la dénutrition et les carences, l’Argentine est passée progressivement à une situation de coexistence de problèmes de déficit et d’excès d’apports nutritionnels. Parmi les principales maladies chroniques liées à l’alimentation qui affectent la population argentine en cette dernière période se trouvent : le surpoids et l’obésité, la tension artérielle élevée, l’hypercholestérolémie, le diabète ; à cette liste s’ajoute l’anémie (Indec et MSN, 2015 ; MSN, 2007). En ces premières décennies du XXIe siècle, la prévalence de ces maladies est en augmentation affectant la santé de la population et provoquant le changement progressif du modèle de morbidité et de mortalité de la population. Au fils des années, différentes actions de politique nutritionnelle ont vu le jour. Nous avons esquissé cette évolution de l’action publique en trois régimes d’action qui se succèdent tout en se chevauchant et en pouvant coexister en raison des initiatives qui restent en place, pour certaines encore actuellement.

3.1.1 L’assistance alimentaire pour soulager le manque de nourriture chez les plus pauvres

Depuis la fin du XIXe siècle, différentes formes d’aide ou d’assistance alimentaire se sont développées dans le pays, dont certaines organisées par des institutions privées en complément des mesures publiques (Britos et al., 2003). L’assistance alimentaire en Argentine entre par l’école : le premier antécédent de distribution d’un verre de lait dans les écoles date de 1906 et les premières cantines scolaires ont commencé à fonctionner en 1928. En 1936 est promulguée la « loi Palacios » pour l’allaitement des enfants ; en 1948 commence la distribution de lait aux femmes enceintes et aux enfants entre 2 et 6 ans qui se poursuit encore aujourd’hui dans le cadre du programme « Materno-Infantil ». Le financement des cantines scolaires a été institué par une loi en 1932 et l’Institut National de Nutrition (INN), fondée en 1930, a distribué dans toutes les écoles du pays la « Carte Diététique » qui donnait des références sur l’alimentation (Britos et al., 2003 ; MAGP, MDS, 2010). L’INN a été fermé en 1968 et depuis, les menus distribués dans les écoles ne bénéficient plus d’un encadrement professionnel sur la qualité nutritionnelle. Pendant la dictature militaire (1976–1983), le financement alimentaire, notamment des cantines scolaires, a été la seule initiative sociale soutenue par l’État (INTA, 2011 ; MAGP, MDS, 2010). Les cantines scolaires, mais aussi communautaires pour des adultes et des enfants, existent encore aujourd’hui sous des modalités d’organisation diverses ; leur principale préoccupation n’est pas de répondre à des objectifs nutritionnels précis, mais plutôt à un coût à ne pas dépasser (Britos et al., 2003).

En 1983, avec le retour de la démocratie, s’opère une prise de conscience de la situation de précarité alimentaire de certaines fractions de la population. Le gouvernement lance le Programme Alimentaire National (PAN) qui vise l’ensemble des membres des familles pauvres et dont l’une des actions phare en matière d’alimentation repose sur la distribution de colis d’aliments (Cajas PAN). Cette modalité d’assistance alimentaire sera reprise par les différents programmes mis en place jusqu’au XXIe siècle (Britos et al., 2003). La grande crise économique survenue en 2001 met la question de la faim et de sa prise en charge sur le devant de la scène : l’Argentine entre dans une situation d’urgence sanitaire et alimentaire et d’autres plans et programmes s’ajoutent aux existants pour aider la population. La loi de Sécurité Alimentaire promulguée à la fin de l’année 2002 donne un cadre pour commencer à coordonner la profusion de plans et programmes et sortir des actions d’urgence. En 2003 est lancé le Plan National de Sécurité Alimentaire – Hambre Más Urgente – dont l’un des objectifs principaux est de coordonner les programmes d’assistance alimentaire déjà en place (par ex., Cantines scolaires, Prohuerta (encadré 4)…) (Britos et al., 2003).

Prohuerta : cultiver soi-même pour mieux manger.

Face à la réduction de la quantité et de la diversité des aliments et notamment des légumes frais, consommés par les foyers argentins les plus pauvres, le ministère de Développement Social et l’Institut National de Technologie Agricole (INTA) du ministère de l’Agriculture lancent conjointement, en 1990, Prohuerta. Il s’agit d’un programme, mis en œuvre à travers le Plan National de Sécurité Alimentaire, pour promouvoir l’autoproduction d’aliments avec des pratiques productives agroécologiques afin d’améliorer la disponibilité et l’accessibilité aux aliments chez la population et tout particulièrement des familles les plus pauvres. Par la promotion des marchés de vente directe et des circuits courts en général, ce programme cherche à générer des réseaux de travail et d’échange tout en améliorant la qualité de vie des familles impliquées et de la communauté (MAGP, MDS, 2010).

Entre 2001 et 2007, la pauvreté passe de 54 % à 20,6 % et l’indigence de 27 % à 5,9 % : si la situation semble s’apaiser progressivement, l’assistance alimentaire est toujours d’actualité en Argentine.

3.1.2 La lutte contre les carences

Si traditionnellement les mesures politiques avaient plutôt cherché à combattre la faim en se centrant de manière plus ou moins intentionnelle sur le déficit des macronutriments, à la fin du XXe siècle le défi de santé publique glisse vers « la relation entre le déficit des micronutriments et les conditions de santé, croissance et développement » (Durán, 2005). Dès les années 1990, le focus du problème nutritionnel s’est déplacé vers la dénutrition cachée et les carences nutritionnelles spécifiques (MSN, 2016). En 2002, les indices de pauvreté sont les plus élevés enregistrés en Argentine depuis les années 1970 (Silberman et al., 2016) et « le problème de la faim et la dénutrition se répercutent dans l’opinion publique comme cela n’était pas arrivé depuis la fin des années 1980 » (Britos et al., 2003). Les carences en micronutriments sont préoccupantes. Les carences en fer, en acide folique, en vitamines B1, B2 et niacine n’étaient pas nouvelles mais le contexte de crise accélère la promulgation en 2002 de la loi 25630 d’enrichissement obligatoire de la farine de blé avec ces micronutriments. Les aliments élaborés avec de la farine de blé ont une forte représentation dans le régime alimentaire des Argentins et la consommation de pain augmente avec la diminution des revenus. La farine de blé, de par sa large pénétration, en particulier dans les foyers les plus pauvres où certaines carences sont plus importantes, est un véhicule bien adapté. Une étude du CESNI24 montre que cette loi a permis une amélioration importante de la situation nutritionnelle : la consommation de folates a été multipliée par 4, les produits de panification et les biscuits apportant deux tiers des folates consommés. La consommation de fer a augmenté de 10 % et dans les foyers les plus pauvres cette augmentation a été de 20 %. Les produits de panification, les biscuits et les céréales apportent à la population près de la moitié du fer du régime alimentaire (Zapata et al., 2016).

D’autres aliments fortifiés ou enrichis de manière obligatoire existaient déjà en Argentine. Par exemple, le lait en poudre (fortifié avec du fer, du zinc et de la vitamine C) faisant partie des programmes alimentaires gouvernementaux (comme le programme Materno-Infantil susmentionné) adressés à des enfants et des femmes enceintes (Loi 25459 de 2001) et, bien avant, le sel à usage humain et animal enrichi en iodate de potassium (Loi 17259 de 1967).

3.1.3 Faire face à la complexité de la coexistence « déficits-excès »

À côté des situations de déficit nutritionnel chronique ou aiguë, l’Argentine est actuellement confrontée au problème sanitaire majeur, et mondial, de la prévalence croissante du surpoids et de l’obésité dans toutes les catégories d’âge de sa population ainsi qu’à une augmentation de la prévalence des maladies non transmissibles (MNT) qui sont devenues l’une des principales causes de mortalité et morbidité dans le pays. Par l’adoption progressive d’un régime alimentaire structurellement plus monotone, riche en lipides et sucres libres et pauvre en nutriments et en fibres ainsi que par la coexistence au sein d’un même foyer ou communauté de personnes présentant des déficiences nutritionnelles avec d’autres en excès de poids, l’Argentine a rejoint la situation de transition nutritionnelle, décrite par Popkin pour d’autres pays d’Amérique latine (Popkin, 2001). « D’une manière générale le processus de transition épidémiologique nutritionnel se caractérise par une réduction progressive des conditions de déficit accompagnée d’une augmentation de la fréquence du surpoids et de l’obésité. La coexistence des deux situations – déficit et excès – à niveau individuel, familial ou de la population, entraîne des situations et des relations complexes lors de sa prise en charge dans les populations » (Durán, 2005). Les actions publiques récentes, adressés à la population générale, se positionnent notamment sur le registre de la lutte contre les MNT et cherchent à promouvoir une alimentation saine qui permettrait de prévenir aussi bien les déficits que les excès. Cela suscite des interrogations, comme par exemple : « les programmes d’aide alimentaire [pour compléter les régimes déficitaires] prennent-ils en compte en même temps la prévalence croissante de l’obésité ? » ou, s’il y a une coexistence déficit-excès au sein des mêmes foyers, « les interventions doivent-elles viser le niveau individuel ou familial ? » (Durán, 2005).

Dans ce contexte, avec l’objectif de réduire la prévalence de facteurs de risque pour les MNT, diminuer la mortalité due à ces maladies et améliorer la qualité de leur prise en charge médicale, le ministère de la Santé argentin a développé, depuis 2009 la Stratégie Nationale pour la Prévention et le Contrôle des MNT et leurs facteurs de risque. Le Plan Nacional Argentina Saludable (PNAS), fait partie de cette stratégie. Il cherche à promouvoir :

  • des habitudes saines ;

  • une régulation de produits et de services ;

  • des environnements favorables à la santé.

Dans son cadre ont été publiés, en 2016, les Guides alimentaires pour la population argentine (GAPA) pour transmettre, à travers de messages pratiques, des connaissances pour contribuer à générer des comportements alimentaires et nutritionnels plus sains.

L’un des objectifs du PNAS porte sur la promotion de l’alimentation saine25 dans la population générale en encourageant et en développant des initiatives qui contribuent au changement social nécessaire à une alimentation favorable à la santé (encadré 5). Pour cela, les pouvoirs publics ont décidé de travailler de façon conjointe avec les secteurs de l’éducation, de l’industrie alimentaire et avec d’autres pans de la société qui jouent un rôle important dans la prévention des MNT et dans la transformation de l’alimentation.

Plan Nacional Argentina Saludable.

Les objectifs du plan :

  • promouvoir et adopter des habitudes alimentaires saines, des modalités de vie actives et contrôler l’obésité et les MNT en lien avec la nutrition ;

  • formuler des politiques publiques, réaliser des changements institutionnels, adopter des stratégies de communication et mener à bien des recherches sur les régimes alimentaires et l’activité physique ;

  • mettre en place des stratégies de promotion de la santé de prévention des maladies ;

  • adopter une perspective de cycle de vie dans laquelle la santé commence à être considérée au stade du fœtus pour continuer la vie durant ;

  • et réaliser des efforts concertés avec des partenaires multiples du secteur de la santé et des secteurs connexes.

Les principales actions du plan concernant la promotion de l’alimentation saine sont :

  • réaliser des campagnes de communication, développer une page web et réaliser des projets éducatifs à différents niveaux d’enseignement pour promouvoir l’alimentation saine ;

  • réaliser des études et du conseil législatif sur la publicité des aliments et boissons et sur l’étiquetage des produits ;

  • réaliser des études de faisabilité pour la réduction/substitution de sodium, sucre, graisses saturées et trans dans les aliments transformés de grande consommation ;

  • mettre en place des accords avec le secteur des aliments et boissons : avec l’industrie pour réduire les teneurs de sodium, sucre et l’élimination des graisses trans ; avec les distributeurs et les services de restauration pour promouvoir les régimes sains et améliorer la préparation des aliments ;

  • promouvoir des projets de loi sur la taxation et le commerce des aliments et des boissons : étude du régime de taxation des aliments et boissons ;

  • promouvoir des institutions et des entreprises qui favorisent des habitudes saines.

Source : Ministerio de Salud, Argentina.

Parmi les actions mises en place dans le cadre de la Stratégie Nationale pour la Prévention et le Contrôle des MNT et du PNAS visant la population générale se trouvent : la diminution de la consommation du sel, du sucre, des graisses et notamment des graisses saturées, la réduction au minimum de la consommation des graisses trans et l’augmentation de la consommation de fruits et légumes, de calcium et de fer. Ces actions portent sur l’accès et la disponibilité des nutriments et sur l’instruction des décisions à prendre par la population au moment de réaliser des choix alimentaires ; elles jouent sur trois plans à la fois : l’information, les accords avec l’industrie et les mesures réglementaires. Parmi ces actions, nous détaillerons celle concernant les lipides et en particulier les graisses trans.

3.2 « Argentine 2014 libre de Graisses Trans »

L’action publique ayant pour objet de diminuer la prévalence des maladies cardiovasculaires en ciblant la réduction du contenu des acides gras trans des aliments et la sensibilisation de la population à en diminuer leur consommation s’est étalée sur une quinzaine d’années et a servi de modèle à d’autres pays d’Amérique latine.

Quelques années avant la fin du XXe siècle, des scientifiques argentins commencent à s’intéresser à la composition lipidique des aliments consommés par la population argentine. Un travail publié en 2000 montrait que les produits alimentaires argentins issus de la transformation industrielle présentaient une haute teneur en acides gras trans (Tavella et al., 2000). Parmi les margarines, les pains tranchés, les biscuits secs et les crackers, certaines marques se situaient autour de 30 % de teneur en acides gras trans (Tavella et al., 2016). La consommation d’acides gras trans par la population a pu être estimée grâce à ces résultats, mais aussi grâce à un autre travail dont l’objectif était d’analyser la composition du tissu adipeux (Debeza et al., 1999) de la population. Cette alerte marque le début d’une mobilisation des acteurs publics et privés pour la production d’aliments industriels plus sains, avec une faible teneur en acides gras trans. Selon Tavella et al. (2016), « les efforts ont été orientés vers le développement et l’élaboration d’aliments à faible contenu en acides gras trans, enrichis en acides gras mono-insaturés et polyinsaturés, qui respectent les recommandations des organismes internationaux (FAO, OMS). ». En 2001, le duo formé par un acteur académique argentin de premier plan, l’Université de La Plata, en collaboration avec un leader mondial de la protection et de l’amélioration des plantes, s’est engagé dans la voie de trouver une substance de remplacement des huiles contenant des acides gras saturés, qui soit libre d’acides gras trans (L’Abbé et al., 2009). Le cheminement suivi est retracé par Tavella et al. (2016) : en 2005 apparaît une huile riche en acide oléique, issue d’une nouvelle variété de tournesol, qui présente les qualités requises (libre d’acides gras trans, résistante aux hautes températures de cuisson et à un prix accessible) ; son intégration dans les formulations des aliments commence à être étudiée par des industriels de l’alimentaire. En peu de temps, des produits plus sains du point de vue lipidique (par exemple, pain, produits de pâtisserie) ont été mis sur le marché alimentaire argentin ; ainsi 40 % de graisses trans produites en Argentine ont été remplacées par des meilleures graisses sans incidence sur le porte-monnaie des Argentins. Les entreprises ayant entrepris ces améliorations ont pu communiquer leurs efforts à une population déjà sensibilisée par les médias aux méfaits des graisses trans et en tirer ainsi un bénéfice commercial (Tavella et al., 2016). Ce processus était en accord avec la décision des pays du Mercosur26 de rendre obligatoire la déclaration de la présence d’acides gras trans dans l’information nutritionnelle des étiquettes27, ce que l’Argentine commencera à appliquer en 200628. La chambre de Sénateurs de la Province de Buenos Aires approuve un projet de loi pour réduire les taxes des firmes alimentaires ayant enlevé les acides gras trans de leurs produits (L’Abbé et al., 2009). Forte de son succès, en 2005 l’Argentine est sollicitée par le Programme alimentaire et nutritionnel de l’Université des Nations Unies pour développer une proposition de projet d’évaluation des interventions ayant pour objectif de retirer les acides gras trans des aliments dans plusieurs pays d’Amérique latine (L’Abbé et al., 2009).

Cette amélioration de la qualité des lipides alimentaires en Argentine s’inscrit dans le cadre des recommandations de l’OMS d’éliminer les graisses trans des aliments (2004, 2008), mais également dans la démarche du groupe de pays latino-américains « Las Américas Libres de Grasas Trans » (OMS et OPS – Organisation Panaméricaine de santé), convoqué en 2007 pour réfléchir et débattre sur les modalités d’élimination et remplacement progressif des acides gras trans des aliments. Engagé dans ce groupe et pour contribuer à ses objectifs, le gouvernement argentin a poursuivi ses efforts en les orientant vers l’élaboration d’un projet de modification réglementaire en accord avec le secteur industriel national. En 2008, le ministère de la Santé constitue la Commission Nationale pour la Réduction de Graisses Trans, dans laquelle sont aussi représentés le ministère de l’Agriculture, le ministère du Développement Social, les Chambres de l’industrie des d’aliments et de boissons et d’autres organismes comme des universités, des instituts de recherche, des organisations professionnelles, coopératives, etc. (MSN, s. d.-a). D’une part, son travail aboutit à la modification du Code alimentaire argentin (CAA) en 2010 : à cette date, l’Argentine devient le premier pays d’Amérique latine à adopter des mesures pour réglementer la présence des graisses trans dans la nourriture en fixant par la force de la loi les limites maximales permises d’acides gras trans dans les aliments29. Et, d’autre part, et en complément de cette nouvelle régulation, ce travail intersectoriel débouche dans le lancement, en 2011, de la campagne de communication « Argentina 2014 Libre de Grasas Trans » (MAI, s. d.). Cette initiative vise à informer les individus, par des affiches dans les commerces et des messages dans les médias, de l’importance de réduire la consommation des acides gras trans en bien identifiant les produits qui en contiennent. Mais elle s’adresse aussi aux industries, car en ce début de décennie 2010, 70 % du secteur alimentaire en Argentine a déjà remplacé les graisses trans dans l’élaboration de ses produits par autorégulation, tandis qu’« il existe encore un 30 % qui ne l’a pas encore fait »30 (Caprov, 2011). Pour aider ces entreprises, et principalement des PME, à se mettre en adéquation avec la nouvelle régulation, la campagne a largement distribué auprès de ces opérateurs économiques un « Guide de recommandations pour les petites et moyennes entreprises » et a réalisé des formations d’accompagnement. Le délai donné aux entreprises pour se mettre en adéquation avec le nouveau cadre normatif expirait à la fin 2014 (MSN, s. d.-a). Dans le cadre de l’initiative « Argentina 2014 Libre de Grasas Trans » et en accord avec la nouvelle norme, un programme fédéral de suivi du contenu de graisses trans dans les aliments a été mis en place sous l’égide du ministère de la Santé (MSN, s. d.-b). L’organe de contrôle est l’Instituto Nacional de Alimentos (INAL). Entre 2012 et 2013, 13 % des produits échantillonnés dépassaient la teneur maximale d’acides gras trans autorisée par le CAA (Allemandi et al., 2014). Une actualisation de ce travail montre qu’en février 2014, quelques mois avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, seulement 4,2 % des produits ne la respectaient pas : notamment des biscuits, des produits de boulangerie, des barres de céréales, des plats précuits, des snacks, des glaçages ou nappages pâtissiers, des alfajores (pâtisserie traditionnelle), des céréales petit déjeuner et des pâtes fraîches (Allemandi et al., 2015). Cette évolution montre le succès d’une action politique spécifique, fondée sur le dialogue avec l’ensemble des acteurs concernés et consolidée par une mesure réglementaire qui a conduit à « un remplacement progressif des graisses trans par de l’huile de palme, de l’huile végétale interstérifiée et de l’huile de tournesol oléique dans les produits industriels » (Tavella et al., 2016). Ce processus, dans lequel l’introduction dans les formulations de l’huile de tournesol oléique a été l’un des facteurs déterminants, a permis, tout en réduisant le contenu des acides gras trans, de mettre à disposition de la population des produits de consommation massive avec un profil lipidique modifié, plus riche en acides gras insaturés (Tavella et al., 2016).

4 Amérique latine : situation nutritionnelle, consommation alimentaire et politique nutritionnelle

4.1 La malnutrition par déficit et par excès

La situation alimentaire et nutritionnelle de l’Amérique latine et des Caraïbes se trouve dans une étape de transition entre :

  • une période marquée par la prévalence, notamment dans les populations les plus défavorisées et/ou vulnérables, de déficiences nutritionnelles qui persistent encore, même si en une moindre mesure grâce aux efforts réalisés, et ;

  • une nouvelle période caractérisée par la progression rapide des problèmes de surcharge pondérale qui affectent toute la population, indépendamment de sa condition économique, leur emplacement géographique et son origine ethnique (Benítez et Etienne, 2017).

Ainsi, dans cette région du monde, coexistent la faim, la malnutrition, les déficits de micronutriments, le surpoids et l’obésité. La FAO et l’OMS attribuent ce phénomène aux conséquences qui découlent de la croissance économique de la région et de sa plus forte intégration dans les marchés internationaux : diminution de plats traditionnels préparés avec des aliments frais cuisinés et consommés à la maison et augmentation de la consommation de produits ultra-transformés riches en sucres libres, sodium, et graisses et pauvres en micronutriments (FAO et al., 2017).

En Amérique latine et dans les Caraïbes, l’obésité et le surpoids sont en augmentation. Selon une étude récente (FAO et al., 2017)31, dans la majorité des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, plus de la moitié de la population adulte est en surcharge pondérale (58 %). Cela correspond à environ 360 millions de personnes parmi lesquelles 140 millions (23 %) souffrent d’obésité. Les Bahamas, le Mexique, et le Chili présentent les taux les plus élevés de surcharge pondérale (respectivement, 69 %, 64 % et 63 % de surpoids plus obésité) tandis que seulement trois pays se situent en dessous de 50 % : Haïti (38,5 %), Paraguay (48,5 %) et Nicaragua (49,4 %). L’Argentine se situe dans le tiers le plus élevé aussi bien pour son taux de surpoids que d’obésité avec une tendance à la hausse pour les deux indicateurs (Indec et MSN, 2015). Dans plus de 20 % des pays, l’obésité féminine dépasse de plus de 10 points de pourcentage celle des hommes. Nous avons vu que l’Argentine fait exception, car dans ce pays, ce sont les hommes qui présentent la plus forte surcharge pondérale. Entre pays, les variations de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les femmes de 15 à 49 ans est importante : par exemple, elle est de 68,3 % au Mexique (2006), de 21,2 % en Haïti (2005–2006) et de 44,3 % en Argentine (2005, 10 à 49 ans (MSN, 2007)). Mais, en même temps, la population féminine présente des carences nutritionnelles : par exemple, 25 % des femmes de la région souffrent d’anémie (2015) (FAO et al., 2017).

La population infantile est particulièrement affectée par les maladies nutritionnelles. Une étude globale réalisée dans des pays en développement montre que déjà en 1995 l’Amérique latine et les Caraïbes présentaient les taux les plus élevés de surpoids chez les enfants en âge préscolaire (De Onis et Blössner, 2000). Selon des données de 2015, 7,2 % (3,9 millions) des enfants de moins de 5 ans présentent surpoids ou obésité. Dans cette population, la prévalence de la surcharge pondérale tend à augmenter. En même temps 11,3 % (6,1 millions) des enfants de moins de 5 ans présentent une dénutrition chronique ou un retard de croissance (2015). Leur situation s’est améliorée : il y a 25 ans ils représentaient 24,5 % (1990). Parmi les enfants de moins de 5 ans, 1,3 % présentent dénutrition et 0,3 % souffrent de dénutrition sévère. Enfin, 3 % (1,6 millions) des enfants de moins de 5 ans ont une taille inférieure à celle attendue pour leur âge (FAO et al., 2017).

Les taux d’obésité élevés chez les femmes à faible revenu ainsi que l’augmentation de l’obésité chez les enfants de moins de cinq ans habitant les villes les plus pauvres est un trait commun aux pays de la région (CEAMEG, 2013)32.

4.2 La disponibilité et l’accès aux aliments

4.2.1 La disponibilité alimentaire

L’ensemble des pays d’Amérique latine et des Caraïbes dispose d’une capacité productive des aliments en quantité plus que suffisante pour survenir aux besoins de leurs habitants (plus de 3000 calories par personne et par jour). Pour la FAO, l’OPS et l’OMS (2017), cette capacité a augmenté ces dernières années avec une tendance relative à renforcer l’offre de viande, produits laitiers et sucre et à diminuer celle de céréales et de poisson. Pour les fruits et légumes, leur poids relatifs dans l’offre régionale se maintient avec une disponibilité de plus de 400 g de fruits et légumes par personne et par jour. Cette disponibilité n’est pas un indicateur de l’accès aux aliments ni de leur consommation. Il en est de même pour l’Argentine. Selon O’Donnell et Britos (2002), le système agroalimentaire argentin produit structurellement une offre d’aliments large et variée suffisant pour survenir, en 2003, aux besoins de base de 262 millions de personnes quand le pays était habité par un peu plus de 38 millions d’habitants (2003) ; cette capacité nourricière est encore supérieure actuellement. Cette abondance de calories disponibles se caractérise par sa diversité de sources : les céréales fournissent moins d’un tiers, les viandes 18 % et les produits lactés 10 %. Mais comme dans l’ensemble de l’Amérique et des Caraïbes, l’abondance et la diversité ne se retrouvent pas sur les tables, notamment des plus pauvres (O’Donnell et Britos, 2002).

4.2.2 L’accès aux aliments

Le prix des aliments peut être considéré comme un indicateur de leur accessibilité. Nous avons déjà vu l’influence des changements des rapports des prix des aliments et du pouvoir d’achat dans la composition du régime alimentaire des habitants de l’Argentine. Une analyse (FAO et al., 2017) réalisée sur huit pays de l’Amérique latine et des Caraïbes montre que les calories les moins chères s’obtiennent en consommant du sucre, du beurre et des huiles. Ce travail permet de classer les aliments par ordre croissant de prix de la calorie (entre parenthèses est indiquée la valeur du rapport entre le prix de la calorie de chaque aliment et celui des calories les moins chères, c’est-à-dire celles du sucre et des matières grasses) : les céréales (1,6), les légumineuses (3), les boissons sucrées (4), les viandes, le poisson et l’œuf (5), les fruits et les produits laitiers (6), les produits ultra-transformés (presque 7). Au sommet de l’échelle se trouvent les calories fournies par les légumes qui peuvent être 16 fois plus chères que celles fournies par les sucres et les matières grasses. On observe que les calories des boissons sucrées restent plus accessibles de manière relative que celles des produits animaux riches en protéines et des fruits et légumes. Les calories des légumes, riches en micronutriments, sont trop chères de manière relative pour avoir une participation importante dans les consommations alimentaires des populations à plus faible revenu (FAO et al., 2017).

4.3 L’évolution des modèles de consommation alimentaire en Amérique latine

Schejtman (1994) distingue cinq modèles sous-régionaux de consommation alimentaire en Amérique latine et aux Caraïbes :

  • dans les pays du Cône-Sud (ex. : Argentine, Uruguay) le modèle est principalement basé sur la consommation de blé et de viande avec des variantes selon les pays ;

  • au Mexique et en Amérique centrale, la base de l’alimentation est l’axe maïs-légumineuses ;

  • aux Caraïbes latines, le modèle se construit autour de l’axe riz-légumineuses avec aussi des racines et tubercules ;

  • dans les Pays andins, l’alimentation repose sur les tubercules avec des céréales, notamment du riz ;

  • au Brésil, la consommation alimentaire est principalement constituée de graines, racines et tubercules avec de fortes différences régionales (Schejtman, 1994).

Selon Morón et Schejtman (1997), dans la plupart des pays de la région, la consommation de l’ensemble sucre, farinacés (blé, maïs, riz et tubercules) et leurs dérivés représente entre 60 et 65 % de la consommation énergétique totale. Argentine et Uruguay font exception avec des valeurs plus faibles qui ne dépassent pas 50 %. Dans cet ensemble, la participation du sucre peut être importante : entre 10 et 25 % de la consommation énergétique. Dans la plupart des cas, la contribution des produits d’origine animale représente environ 7 % (en Argentine et Uruguay, elle dépasse les 30 %), et les huiles et les légumineuses représentent, respectivement, environ 10 % et 5 % de la consommation énergétique totale. Ces auteurs constatent que les évolutions de consommation durant les trois dernières décennies du XXe siècle reflètent d’abord une tendance à l’amélioration de la consommation d’énergie, de protéines et de lipides, jusqu’aux crises économiques ayant eu lieu dans la région dans les années 1980, et ensuite un ralentissement. Des phénomènes de substitution des calories chères (principalement animales) par des calories moins coûteuses (notamment végétales) ont atténué la chute de la consommation énergétique. Dans cette évolution, on observe que bien que les sources énergétiques restent relativement stables, les huiles végétales contribuent de manière croissante et importante dans la plupart des pays, tandis que les graisses animales diminuent leur participation. La consommation des produits à la base de l’alimentation traditionnelle et rurale (par exemple, des racines et des tubercules) et de plats traditionnels préparés avec des aliments frais cuisinés et consommés à la maison diminue, tandis que celle des produits industriels ultra-transformés riches en sucres libres, sodium, et graisses et pauvres en micronutriments augmente (Morón et Schejtman, 1997).

Pour la FAO, l’OMS et l’OPS (2017), ces phénomènes peuvent être attribués aux conséquences qui découlent de la croissance économique de la région et de sa plus forte intégration dans les marchés internationaux. Selon Morón et Schejtman (1997), différents facteurs sous-tendent ces changements et contribuent à les expliquer : l’augmentation des revenus (qui s’accompagne d’une hausse de la consommation de graisses, de produits d’origine animale, de sucre au détriment des glucides complexes) ; l’urbanisation croissante, la disponibilité croissante de produits alimentaires fabriqués de manière industrielle, l’influence de la publicité, la diminution des prix internationaux des graines oléagineuses et l’augmentation du prix des produits autochtones… Ces évolutions conduisent à un nouveau modèle de consommation alimentaire caractérisé par des niveaux énergétique et protéique élevés avec une participation croissante des protéines animales et des produits industrialisés diffusés massivement (Morón et Schejtman, 1997). D’une manière générale, fait remarquer Schejtman, (1994) dans cette région du monde, les produits industriels, présentant un degré élevé de différentiation, arrivent sur le marché quand les populations n’ont pas encore satisfait les besoins nutritionnels de base, en même temps leur coût est élevé et ces produits restent peu ou pas abordables pour les fractions de la population à plus faibles revenus. Enfin, le nouveau modèle n’est pas en phase avec les ressources nationales, ce qui questionne sa pérennité des points de vue économique et énergétique (Schejtman, 1994).

4.3.1 La consommation d’aliments ultra-transformés

D’une manière générale, les ventes de produits ultra-transfomés sont élevées et en croissance dans la plupart des pays de la région. Selon un travail de la FAO, l’OMS et l’OPS (2017), en Amérique latine les ventes au détail d’aliments ultra-transformés représentent 130 kg en moyenne par personne. L’Amérique latine occupe la quatrième position parmi les régions du monde où les ventes au détail des produits ultra-transformés sont les plus élevées, après l’Amérique du Nord, l’Australie et l’Europe Occidentale. Dans des pays comme le Mexique, le Chili, l’Argentine et l’Uruguay, les ventes sont supérieures à la moyenne de la région (respectivement 214, 202, 186 et 150 kg/personne/an). Dans un classement mondial ces quatre pays occupent, respectivement, la 4e, 7e, 14e et 23e place. Si dans les pays développés les ventes de produits ultra-transformés ralentissent, dans les régions du monde en développement elles sont en forte croissance. En Amérique latine, entre 2000 et 2013, les ventes au détail des produits ultra-transfomés ont progressé de 26,7 % ; au niveau mondial, la région occupe la troisième place quant à la croissance des volumes consommés estimés de produits ultra-transformés, après l’Europe Orientale (83 %) et l’Asie-Pacifique (79,8 %). Pour la même période, dans certains pays de la région, ces ventes ont augmenté de manière préoccupante : Uruguay (146,4 %), Pérou (107 %) et l’État plurinational de Bolivie (129,8 %). Toutefois, dans d’autres pays, la croissance des ventes des produits ultra-transformés a été plus modérée se situant entre 8 % (Venezuela) et 59 % (Chili). À titre d’exemple, dans cette fourchette se trouvent des pays comme l’Équateur (19,8 %), la Colombie (25,1 %), le Mexique (29,2 %), le Brésil (30,6 %). L’Argentine fait exception : par son évolution négative des quantités consommées, elle semblerait emprunter timidement la voie de décroissance de la consommation des produits ultra-transformés dans laquelle certains pays développés, comme les États-Unis, se sont engagés (FAO et al., 2017).

4.4 Politiques nutritionnelles en Amérique latine33

Pour la FAO, l’OPS et l’OMS, l’année 2015 marque, dans la région, la fin d’une période d’actions pour éradiquer l’extrême pauvreté et la faim : l’indicateur de sous-alimentation est passé de 14,5 % à 5,5 % atteignant largement l’un des « objectifs du millenium » qui était de réduire de moitié la faim entre 1990 et 2015. Cette même année, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé l’Agenda 2030 pour le développement durable qui offre une large place aux objectifs d’éradication de la faim et de la malnutrition sous toutes ses formes, ainsi qu’à la réduction de la prévalence des MNT dont l’une des causes est en relation avec le modèle d’alimentation. Au sein de ce cadre global, la région a mis en place des dispositifs pour améliorer la sécurité alimentaire et éradiquer la faim (ex. « Plan pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’éradication de la faim de la CELAC (Communauté d’États latino-américains et caribéens) 2015 ») et pour prévenir l’obésité des enfants et des adolescents (ex. « Plan d’action pour la prévention de l’obésité chez les enfants et les adolescents »).

Dans ce contexte, les pays de la région ont développé des politiques destinées à améliorer aussi bien l’offre que la demande d’aliments sains.

Les mesures politiques les plus fréquentes portent sur l’élaboration et la diffusion de guides avec des recommandations nutritionnelles, la mise en place de cantines scolaires et l’éducation alimentaire. Des actions de régulation de la publicité, d’étiquetage d’aliments, ou des mesures économiques (taxes) se présentent avec une moindre fréquence.

Guides alimentaires des aliments : la plupart des pays de l’Amérique latine et des Caraïbes (28 pays sur 33) disposent de guides alimentaires pour orienter la population dans le choix et la consommation d’aliments et plus largement de styles de vie plus sains. Elles présentent des différences dans les conseils alimentaires données à la population selon les priorités nationales et les habitudes alimentaires.

L’alimentation à l’école : tous les pays de la région comptent des programmes d’alimentation scolaire. Certains pays s’attèlent à l’amélioration de la composition des menus par l’intervention dans leur conception de nutritionnistes (par exemple, l’État plurinational de Bolivie, la Colombie, le Paraguay, le Pérou) ou des parents et professeurs (par exemple, Honduras, Nicaragua). Le Brésil a mis en place un Programme national d’alimentation scolaire (PNAE) pour diminuer la faim et la dénutrition et prévenir le surpoids et l’obésité. Certains pays ont eu recours à des mesures législatives. Par exemple, l’Uruguay a promulgué une loi en 2013 pour interdire l’utilisation de salières à table dans les écoles et les lycées publics et privés.

Éducation alimentaire et nutritionnelle : les mesures politiques pour mettre à la portée de la population des connaissances afin d’améliorer ses habitudes alimentaires sont très utilisées en Amérique latine et aux Caraïbes. Leurs objets, leurs cibles et leurs modalités varient selon les pays. Elles peuvent chercher à améliorer l’alimentation des enfants depuis l’allaitement mais aussi des femmes enceintes et/ou de l’ensemble de la population, mais également à prévenir et contrôler des maladies nutritionnelles liées aux carences et aux excès. Elles peuvent prendre la forme de campagnes de communication ou s’insérer dans des dispositifs d’enseignement existants.

Promotion de l’activité physique : une quinzaine de pays (dont l’Argentine, l’État Plurinational de Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Costa Rica, Cuba, etc.) ont inclus, dans leurs politiques, des volets destinés à promouvoir l’activité physique. Parmi ces initiatives se trouve le programme « Ciclovías » dont le succès dans la ville de Bogota a marqué le début de son expansion à 461 villes d’Amérique latine. Le programme consiste à fermer temporairement des rues à la circulation des véhicules motorisés pour les dédier à des activités physiques, comme la marche, la promenade en vélo, etc., mais aussi sociales et culturelles. Des études citées par Pérez-Escamilla et al. (2017) montrent que, au-delà des effets positifs sur la qualité de vie et la santé, cette initiative présente aussi un intérêt économique. Par exemple, dans la ville de Bogota, chaque dollar investi en Ciclovías a évité de dépenser 3 dollars par personne et par an en frais de santé (Pérez-Escamilla et al., 2017). En Argentine, le « Programa Nacional Argentina Camina » (programme national Argentine marche) a été mise en place en 2006, sous l’égide du ministère de la Santé, afin de promouvoir un style de vie actif par des interventions aussi bien au niveau collectif qu’individuel.

Fortification et enrichissement des aliments : cette pratique, destinée à la prévention des carences en micronutriments (calcium, zinc, fer, folates, vitamine A, etc.) est très utilisée depuis longtemps dans la région et avec des résultats généralement positifs.

Régulation de la publicité : en Amérique latine la population en général, les familles et notamment les enfants, sont les cibles d’une grande quantité d’annonces télévisées sur des produits alimentaires ; dans certains pays (par exemple, Argentine, Colombie, Chili, Mexique) un nombre élevé des publicités adressées aux enfants mettent en avant des produits à faible valeur nutritionnelle (Bacardí-Gascón et Jiménez-Cruz, 2015). Des pays comme l’Argentine, le Brésil, le Chili, la Colombie, le Mexique, le Pérou et l’Uruguay ont pris des mesures législatives pour réguler la publicité. Parmi eux, « le Brésil, le Mexique et le Pérou ont pris des mesures législatives sur la publicité de produits alimentaires adressée aux enfants ; cependant, […] les gouvernements ne les ont pas mises en œuvre » (Bacardí-Gascón et Jiménez-Cruz, 2015). Au Chili, la diffusion de campagnes de publicité d’aliments riches en calories, graisses, sucre, ou sel est soumise à des restrictions horaires et ne peut pas s’adresser à des enfants de moins de 14 ans, et les publicités de succédanés du lait maternel sont interdites. L’Argentine a aussi régulé la publicité des succédanés du lait maternel (loi 26.876 de 2013).

Étiquetage des aliments : en Amérique latine et aux Caraïbes, des législations obligatoires sur l’étiquetage des produits alimentaires sont présentes dans neuf pays et deux pays disposent des régulations volontaires. Ces régulations portent majoritairement sur l’étiquetage sur la face arrière du produit tandis que l’étiquetage situé sur la face avant est en phase d’adoption dans certains pays comme le Chili (Mandle et al., 2015) ou la Bolivie. Au Chili, l’étiquetage des aliments afin de mieux informer les consommateurs par des étiquettes et de messages spécifiques (sur le sucre, les graisses saturées, le sodium et les calories) situés en face avant des emballages est promu par une loi adoptée en 2012. Après un long processus, initié en 1998 et semé de difficultés34, la mise en œuvre de la loi chilienne a commencé en 2016 et s’étalera pendant trois ans (Pérez-Escamilla et al., 2017). Un étiquetage simplifié et placé sur la face avant commence à être promu dans certains pays. Par exemple, le Chili a choisi un système de sceaux noirs sur la face avant pour informer sur la teneur élevée des nutriments critiques et des calories. En Équateur, où l’obésité des enfants de 5 à 11 ans était de 30 % en 2012, un règlement national du ministère de la Santé impose, depuis 2014, l’utilisation d’un étiquetage de type « feux tricolores » sur la face avant des aliments issus de la transformation industrielle (Pérez-Escamilla et al., 2017).

Mesures économiques pour promouvoir une alimentation saine : en 2016 seulement trois pays avaient mis en place des contributions économiques et/ou des taxes sur des produits sucrés. Il s’agit du Mexique (boissons et aliments ultra-transformés et très caloriques), dont les taux de prévalence du diabète, du surpoids et de l’obésité figurent parmi les plus élevés du monde (Colchero et al., 2016), de Barbade et de la Communauté de la Dominique. Colchero et al. (2016) ont montré que « au cours de la première année de la taxe [mise en place à partir du 1er janvier 2014 au Mexique], le volume moyen des boissons achetées taxées mensuel était inférieur de 6 % en 2014 par rapport au volume prévisionnel qui aurait été vendu sans la taxe » et que « la réduction était plus élevée chez les ménages à plus faible statut socio-économique ». Cependant, plus de trois ans après l’application de la taxe, les ventes de sodas sont reparties à la hausse suscitant une polémique sur son impact (Saliba, 2017). La Barbade et la Communauté de la Dominique ont fait appel à des taxes, toutes les deux sur les boissons sucrées et la seconde sur les produits sucrés également, pour financer des activités relevant de la santé et de la nutrition. Des mesures économiques de portée générale, comme par exemple l’aide universelle par enfant (Asignación Universal por Hijo) mise en place en Argentina en 2009, semble avoir eu un effet sur l’amélioration de la qualité de l’alimentation, en particulier chez les enfants et les adolescents des foyers bénéficiaires du programme, par la possibilité d’intégrer dans le régime alimentaire des produits frais entre 2009 et 2014 (fruit : +5,8 %, légumes : +8,4 %, produits laitiers : +7,1 %, poisson ou poulet : +7,6 %…) (Kliksberg et Novacovsky, 2015).

4.4.1 Des politiques pour améliorer la qualité des matières grasses : la lutte contre les acides gras trans en Amérique latine

En Amérique latine et aux Caraïbes, la disponibilité des matières grasses produites et consommées présente une forte diversité selon les pays et même au sein des pays. Dans la région, les margarines, beurres et graisses industrielles utilisés dans l’élaboration de pâtisseries, produits de panification et sandwiches constituent les principales sources d’acides gras trans notamment en raison de la présence des huiles végétales partialement hydrogénées (Valenzuela, 2008). En 2007, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé d’éliminer les acides gras trans d’origine industrielle présents dans les aliments et l’Organisation Panaméricaine de la Santé a exhorté les Amériques à appliquer cette recommandation dans le cadre de l’initiative « Amérique latine libre de graisses trans » (OPS et OMS, 2007). À cette date, certains pays avaient déjà commencé à se mobiliser pour tenter de réduire la présence des acides gras trans dans les aliments. Seuls quelques rares pays (par exemple, Argentine, Uruguay) avaient déjà commencé à préparer des mesures pour réguler la présence des acides gras trans (Valenzuela, 2008). Dans d’autres pays, les gouvernements avaient fait des propositions, des recommandations ou pris des résolutions (Costa Rica, Panama, Chili, Brésil et le Mercosur en tant que groupement de pays). Dans le secteur privé, en plus des efforts des industriels en Argentine, nous pouvons citer ceux des firmes internationales comme Unilever et Kraft qui ont déclaré leur objectif d’éliminer les acides gras trans et commencé à travailler dans ce sens. La principale industrie d’huile végétale de Costa Rica avait commencé à retirer volontairement les acides gras trans de ses produits. Dans des industries du Brésil et en Uruguay, des huiles libres d’acides gras trans étaient en train de se substituer aux huiles partiellement hydrogénées (OPS et OMS, 2007). Un géant de la restauration rapide avait éliminé les acides gras trans de ses produits en Argentine et les avait réduits substantiellement au Brésil. Au niveau régional, il y avait eu des initiatives de formation dans le cadre du programme alimentaire et nutritionnel régional d’Amérique latine de l’Université des Nations Unies. Mais la plupart des pays ne disposait pas d’information sur les niveaux de consommation des acides gras trans de différentes origines (Valenzuela, 2008). Depuis la recommandation de l’OMS, en 2007, d’éliminer les acides gras trans, les efforts de régulation sur les acides gras trans se sont étendus dans la région, mais d’une manière peu coordonnée : les acides gras trans, qu’il s’agit d’éliminer ou de limiter, n’ont pas fait l’objet d’une démarche d’élaboration d’une définition commune et partagée par tous les pays de la région35, les valeurs limites maximales d’acides gras trans tolérés dans les aliments varient selon les pays, les critères retenus pour exprimer les allégations ou l’étiquetage des aliments en relation à la présence et/ou absence des acides gras trans diffèrent selon les pays (Colón-Ramos et al., 2013). Les régulations politiques mises en place dans les différents pays ont été classées par Colón-Ramos et al. (2013) en trois catégories : interdiction ou limitation du contenu des acides gras trans (par exemple, Argentine, Puerto Rico, Brésil, Chili, Pérou, Mexique) ; étiquetage obligatoire (par exemple, Mercosur (2012), Brésil, Pérou, Équateur, Chili, Puerto Rico) ; régulation volontaire (Amérique Centrale, Colombie, Jamaïque, Mexique). D’autres stratégies politiques destinées à diminuer la consommation des acides gras trans ont également été mises en place : des actions d’éducation des consommateurs ont vu le jour dans de nombreux pays depuis 2007, plusieurs pays ont diffusé des informations auprès de leurs populations (consommateurs mais aussi acteurs industriels) au moyen de campagnes ad hoc et de guides nutritionnels, de nombreux efforts pour inclure les acides gras trans dans des tables d’analyse de la composition des aliments ont également été observés ; les analyses de la consommation des acides gras trans dans le régime alimentaire sont certes moins fréquentes mais recensées au moins dans une poignée de pays de la région : Mexique, Costa Rica, Chili, Argentine, Brésil (Colón-Ramos et al., 2013). Dans ces cinq pays, des politiques cherchent à retirer les acides gras trans des aliments et à les remplacer par des acides gras polyinsaturés (Pérez-Escamilla et al., 2017). L’inclusion des recommandations ou des prescriptions sur la consommation des acides gras trans dans des politiques nutritionnelles ou de santé de portée nationale a été recensée dans un faible nombre de pays (Mexique, Équateur, Costa Rica, Brésil, Chili) (Colón-Ramos et al., 2013).

Parmi les mesures politiques qui présentent les meilleurs rapports coût-efficacité dans la lutte contre les MNT, le remplacement des graisses trans des aliments par des graisses polyinsaturées est considéré, par l’Organisation mondiale de la santé, comme l’une des meilleures options (WHO, 2011). Les questions relatives à la faisabilité et à la possibilité de le mener à terme semblent constituer des freins pour le passage à l’acte (Pérez-Escamilla et al., 2017). La plupart des représentants des pays enquêtés par Colón-Ramos et al. (2013) ont mis en avant deux facteurs influençant la faisabilité de la régulation sur les acides gras trans : connaître le contenu d’acides gras trans dans les aliments et dans les régimes alimentaires de la population et développer des collaborations entre les agences gouvernementales chargées de la régulation et les industries alimentaires et entre les industries elles-mêmes (Colón-Ramos et al., 2013). Ils ont été à la base de la réussite argentine pour réduire les acides gras trans dans les aliments industriels.

5 Conclusion

Le problème croissant de la surcharge pondérale qui affecte les pays de l’Amérique latine et des Caraïbes vient s’ajouter aux problèmes de déficit nutritionnel auxquels ils étaient déjà confrontés. Le traitement de la coexistence du déficit et de l’excès alimentaire au sein d’une même communauté, voire d’un même foyer, met la région et ses pays face à un défi politique et social de grande complexité.

L’Argentine n’échappe pas à cette situation générale. L’abondante disponibilité alimentaire du pays ne se traduit pas par une augmentation de la quantité des calories consommées, qui reste constante au fil des années. Elle n’a pas non plus permis de venir à bout des déficits alimentaires et nutritionnels dans le pays. Cette forte disponibilité est en plus très variée, mais cela ne se reflète pas dans le régime alimentaire argentin qui est monotone, pauvre en fruits et légumes et riche en produits industriels. En effet, cet acteur de premier plan dans l’agroalimentaire mondial est aussi le champion mondial de la consommation de boissons sucrées et se place également parmi les plus gros consommateurs latino-américains de biscuits et, plus généralement, d’aliments ultra-transformés. C’est par ces derniers que de plus en plus de graisses et de sucres arrivent sur la table de la population argentine. C’est aussi ce modèle qui a ouvert grand la porte de l’alimentation argentine aux acides gras trans, associés à une utilisation industrielle des huiles végétales partiellement hydrogénées. De plus, la participation croissante dans le régime alimentaire de l’huile de tournesol, et cela malgré la forte expansion de la culture de soja dans le pays, implique que le rapport oméga-6/oméga-3 reste très élevé par rapport aux valeurs conseillées.

Au fil des années, une action publique s’est développée pour faire face à ces problèmes. Elle a été souvent inventive et avant-gardiste. Dès le début du XXe siècle, des actions sur l’environnement nutritionnel ont vu le jour : verre de lait aux écoliers (1906), aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge (1948), cantines scolaires pour les plus pauvres (1932), colis d’aliments pour les familles pauvres (1983), plus récemment, la modification des formulations des aliments (sel, acides gras trans)… Très tôt aussi, dès les années 1930, des actions comme les cantines scolaires ont été basées sur des références scientifiques fournies par des nutritionnistes. Dès 1990 une action a été mise en place pour améliorer l’alimentation des plus pauvres par des circuits courts (Prohuerta). Le caractère pionnier et innovateur de certaines actions doit aussi être soulevé. Comme l’action réussie pour retirer des acides gras trans des aliments transformés : long processus d’action publique où des acteurs privés et publiques ont travaillé ensemble pour « libérer » les aliments d’acides gras trans d’origine industrielle et qui a situé l’Argentine en position de modèle à imiter par d’autres pays latino-américains, dans le cadre de l’OPS. L’action publique argentine surprend aussi par la variété d’instruments mobilisés (accords volontaires avec les entreprises pour réduire le sel, loi pour enrichir les farines en fer ou réguler le contenu des acides gras trans…) et par la variété des cibles visées (enfants en bas âge, écoliers, femmes enceintes, population générale, acteurs économiques…) à travers des actions sur la demande (guides alimentaires pour orienter les comportements alimentaires, étiquetage obligatoire…) et sur l’offre et plus largement sur l’environnement nutritionnel (changement des formulations des aliments industriels…).

Mais, pour de nombreuses initiatives publiques sur l’alimentation mises en place au fil du temps, la coordination, la cohérence et la continuité des efforts ont fait défaut, entre autres, en raison de l’instabilité politique et économique du pays peu propices aux projets de long terme et obligeant souvent à agir dans l’urgence. Au début des années 2000, une loi cherche à donner un cadre pour commencer à coordonner la profusion de plans et programmes, notamment d’assistance alimentaire, et sortir des actions d’urgence. Progressivement les problèmes de santé liés aux excès alimentaires se sont juxtaposés aux anciens, liés aux déficits. À partir de 2009 a été développée une stratégie pour lutter contre les MNT et réduire la prévalence de leurs facteurs de risque. Le Plan Nacional Argentina Saludable en fait partie. Il cherche à promouvoir, entre autres, des habitudes saines et des environnements favorables à la santé. Ses actions portent sur l’accès et la disponibilité des nutriments et sur l’instruction des décisions à prendre par la population au moment de réaliser des choix alimentaires en jouant sur trois plans à la fois : l’information, les accords avec l’industrie et les mesures règlementaires.

À titre de bilan, on observe que :

  • certaines des actions publiques pour améliorer la situation nutritionnelle de la population en Argentine ont donné des résultats positifs mesurés (sur le sodium, l’iode, le fer, les vitamines, les acides gras trans, par exemple) ;

  • d’une manière globale, les situations de déficit se sont améliorées ;

  • la surcharge pondérale, notamment chez les enfants, est toujours croissante.

Il en est de même pour l’Amérique latine dans son ensemble. Dans la région, les actions politiques de lutte contre la faim, la sous-alimentation et les carences nutritionnelles existent depuis longtemps avec des progrès mesurables sur le long terme. Les problèmes d’excès sont arrivés avant qu’une solution n’ait pu être trouvée pour résoudre les déficits nutritionnels. La prévalence croissante de la surcharge pondérale a progressivement polarisé l’attention des gouvernements et, dans certains cas, des acteurs de la société civile. Pour faire face à l’ensemble de ces problèmes communs, les pays de la région se sont mobilisés de manière croissante en matière de politique alimentaire et nutritionnelle. Cependant, le type d’action politique et l’intensité des efforts sont variables selon les pays. Les pays de la région présentent une diversité quant à la quantité, la qualité et l’accessibilité des aliments disponibles, aux habitudes alimentaires, à la situation de santé publique en relation avec la nutrition, aux caractéristiques du secteur industriel, aux sensibilités de la société civile, etc. qui fait que les actions sont difficilement transposables. Toutefois, dans le cadre des institutions internationales (OMS, OPS, FAO), les pays de la région se rassemblent pour fixer des orientations générales, échanger des informations et, dans certains cas, organiser le partage de modalités d’action publique nationales réussies qui peuvent servir de modèle malgré la diversité entre les pays, comme l’action publique argentine pour enlever les acides gras trans d’origine industrielle dans les produits transformés.

La plupart des pays de la région, y compris l’Argentine, ont pris conscience de l’enjeu de santé que représente la nutrition pour l’avenir de leurs populations. D’une part, les déficits alimentaires affectent de manière irréversible les potentialités intellectuelles et physiques de leur capital humain ; d’autre part, les excès alimentaires contribuent à aggraver la prévalence des MNT qui ont déjà, progressivement, commencé à changer le modèle de morbidité et de mortalité de la région. Cependant, plutôt qu’une refonte générale de la politique alimentaire et nutritionnelle ciblant la coexistence des problèmes de déficit et d’excès alimentaire, les nouvelles actions de politique nutritionnelle dans cette partie du monde semblent avoir été ajoutées aux mesures déjà existantes visant les déficits. Malgré les efforts politiques, la question du traitement d’ensemble de la coexistence des problèmes de déficit et d’excès alimentaires reste entière en Amérique latine.

Références


1

Données de 2014.

2

(2014).

3

Données de 2014.

4

Au début des années 2000, chez les adultes, les populations appartenant aux classes les plus pauvres étaient les plus touchées par la surcharge pondérale (O’Donnell et al., 2004).

5

Ces auteurs citent l’enquête réalisée en 1999 par la Sociedad Argentina de Obesidad y Trastornos Alimentarios (SAOTA) (Fuchs A y colaboradores in Montero JC. Epidemiología de la obesidad en siete países de América Latina. Nutrición y obesidad. Revista de la Sociedad Española de Obesidad. 2002(5): 325–330).

6

Ces auteurs expliquent que, depuis le XVIIe siècle, la viande bovine est la nourriture principale de la communauté hispano-créole habitant le territoire du Rio de la Plata. Au XIXe siècle, la consommation de viande en Argentine était de 180 kg par habitant par an. Avec l’arrivée des immigrants, à la fin du XIXe siècle, la cuisine argentine gagne en variété mais la viande est toujours le plat principal. Au XXe siècle, la viande n’est pas détrônée mais sa consommation diminue à 100 kg par habitant par an en raison du cosmopolitisme croissant de l’alimentation (Sandro Murray et al., 2013). Au XXIe siècle les niveaux de consommation sont encore plus bas : environ 55 kg par habitant par an en 2016 (CICCRA, 2017).

7

Selon ces recommandations, l’apport de graisses conseillé se situe entre 15 et 30 % de l’apport énergétique quotidien (variable selon les habitudes alimentaires et la composition totale de la diète) et celui des acides gras saturés ne devrait pas dépasser le 10 % de ce total.

8

Dans ces mêmes recommandations l’OMS explique qu’ « il serait encore meilleur pour la santé de réduire l’apport en sucres à moins de 5 % de la ration énergétique totale, soit à 25 grammes (6 cuillères à café) environ par jour. » (WHO, 2015).

9

La source de ces données citées par La Nación est Euromonitor International.

10

Cet ensemble comprend huile mono-espèce, huile pluri-espèce, mayonnaise, margarine, beurre, crème fraîche et graisse bovine.

11

À partir des données de consommation en g/jour par adulte équivalent.

12

Cette surface risque de stagner voire de diminuer après l’enlèvement des retentions du blé, du maïs et d’autres céréales en 2015 dans le but de favoriser les rotations de cultures (SurdelSur, 2015, 2017).

13

Selon López (2015), parmi les principaux producteurs de graine au niveau mondial, l’Argentine est le seul pays dans cette situation : par exemple, les États-Unis et le Brésil ont une relation presque inversée, c’est-à-dire 60 % de leur surface agricole est destinée aux céréales et le reste aux oléagineux.

14

L’Argentine exporte 70% de sa production d’huile de soja, tandis qu’une importante partie de l’huile destinée au marché intérieur est utilisée pour la production de biodiesel. Environ la moitié de l’huile de tournesol est exportée et le reste est utilisé localement principalement pour la consommation alimentaire (Calzada, 2016). Notons que la surface ensemencée avec  du tournesol durant la campagne 2016/2017 avait augmenté d’environ 39 % par rapport à la campagne 2015/2016 (INTA, 2016).

15

Selon Rosbaco (2005), lors de la campagne agricole 2015/2016, plus de 50 % de la surface du tournesol était ensemencée avec du tournesol riche en acide oléique « alto oleico ») tandis qu’au milieu des années 2000 cette valeur n’était que de 5 %.

16

« …un risque accru d’événements cardiovasculaires est associé aux AG trans d’origine technologique et aux AG trans totaux, à des niveaux élevés de consommation (plus de 1,5 % et 2 % de l’AET, respectivement) dans les études épidémiologiques d’observation. » (Anses, 2011).

17

Par exemple, une boisson au lait préparée à la maison en mélangeant du café ou du chocolat avec du lait accompagnée du pain beurré et de la marmelade et/ou des biscuits sucrés.

18

Période 1996–1997 à 2012–2013. Propos de l’un des auteurs, Esteban Carmuega, publiés dans le journal La Nación  (Bär, 2016). 

19

Propos d’Esteban Carmuega publiés dans le journal La Nación (Bär, 2016).

20

En 2011, les exportations du secteur d’aliments et de boissons ont dépassé les 29 000 millions de dollars tandis que les importations du secteur étaient seulement de 1660 millions de dollars (Boyadjián, 2012).

21

COPAL (Coordinadora de las Industrias de Productos Alimenticios). À partir de données de l’Indec.

22

La première loi National des aliments (18284/69) de 1969 inclut en annexe le premier code alimentaire national dont le décret d’application a été publié en 1971. Ce code est basé sur le règlement alimentaire de la Nation de 1953 qui avait déjà servi de modèle à la réglementation latino-américaine des aliments des années 1960 (Ariosti et Olivera Carrión, 2014).

23

Disposition 7730/2011 de l’Administración Nacional de Medicamentos, Alimentos y Tecnología.

24

Centro de Estudios sobre la nutrición infantil (Argentine).

25

Les autres objectifs du Plan Argentina Saludable portent sur la lutte contre le tabagisme, à travers le Programa Nacional de Control del Tabaco, et la promotion de l’activité physique, à travers le Programa Nacional de Lucha contra el Sedentarismo.

26

Mercado Común del Sur, en français Marché commun du Sud, est un groupement économique de plusieurs pays d’Amérique latine dont Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay.

27

Résolution de 2003 Mercosur GMC n° 46/03 sur « L’étiquetage nutritionnel des produits emballés » (Punto focal Argentina, 2003).

28

À partir du 1er août 2006, l’étiquetage nutritionnel des aliments emballés devient obligatoire en Argentine suite à l’intégration dans le Code alimentaire argentin des résolutions du Mercosur sur la question.

29

Article « 155 tris » du code alimentaire argentin (Resolución Conjunta SPReI N° 137/2010 y SAGyP N° 941/2010) : « Le contenu d’acides gras trans de production industrielle dans les aliments ne doit pas être supérieure à : 2 % du total des graisses dans les huiles végétales et les margarines destinées à la consommation directe et 5 % du total de graisses dans le reste des aliments. Ces limites ne s’appliquent pas aux graisses en provenance des ruminants, y compris la graisse d’origine laitière ».

30

Propos du secrétaire de promotion et contrôle des MNT du ministère de la Santé, Sebatián Laspiur, lors du lancement de la campagne « Argentine 2014 libre de graisses trans ».

31

Données de 2014.

33

Sauf spécification particulière, la source du texte sous ce titre est le rapport FAO et al. (2017).

34

Ce processus a été décrit de manière détaillée par Pérez-Escamilla et al. (2017).

35

L’une des principales divergences porte sur la considération, dans la définition, des acides gras trans d’origine naturelle à côté des acides gras trans d’origine industrielle (Colón-Ramos et al., 2013).

Citation de l’article : Sebillotte C. 2018. L’Argentine dans le contexte latino-américain : consommations alimentaires, santé et politiques nutritionnelles. OCL 25(1): D109.

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