Open Access
Numéro
OCL
Volume 22, Numéro 5, September-October 2015
Numéro d'article D508
Nombre de pages 8
Section Dossier: Local soybean supply chain / Approvisionnement local en soja
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2015033
Publié en ligne 18 septembre 2015

© J. Recknagel, published by EDP Sciences, 2015

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thumbnail Fig. 1

Surfaces des légumineuses à graines (ha) en Allemagne entre 1990 et 2014 (BMEL). Une figure couleur est disponible sur le site à www.ocl-journal.org.

1 Une culture historiquement mineure face à de gros besoins

En Allemagne la culture du soja a suscité l’intérêt des agronomes depuis plus de cent ans, surtout quand il existait un problème d’approvisionnement en protéines, comme lors des première et deuxième guerres mondiales, ou bien dans des contextes mettant en évidence les effets néfastes d’une forte dépendance de l’Europe aux importations de soja. Cela a été par exemple le cas après la première crise du pétrole dans les années 70 qui a abouti à un soutien des prix pour les légumineuses avec un prix minimum pour le soja de l’ordre de l’équivalent de 60 €/quintal (q) en 1986, 50 €/q en 1988 et 38 €/q en 1990. L’Allemagne a vécu alors une première hausse des surfaces cultivées en légumineuses, y compris en soja avec un maximum de 2 400 ha en 1990, pic de loin moins important que celui observé en France qui a atteint au maximum 134 000 ha en 1989.

Aujourd’hui, les importations nettes de soja en Allemagne atteignent 3 à 4 millions de tonnes (t) de graines par an et plus de 2 millions de tonnes par an de tourteaux de soja (BMELV 2012). Pour substituer ces importations, il faudrait cultiver du soja sur 2,5 millions d’hectares soit l’équivalent de 20 % des terres labourables allemandes avec une récolte de 2,5 t/ha en moyenne, ce qui n’est pas réaliste.

2 Le soja en Allemagne – une petite niche grandissante dans la niche des légumineuses à grosses graines

À partir de 1996, l’arrivée du soja OGM1 et la demande croissante du marché chinois ont conduit à une réduction de plus en plus marquée de l’offre en soja non-OGM sur le marché mondial. En conséquence le soja non-OGM a pu toucher une prime sur le soja OGM oscillant souvent entre 30 et 70 €/t mais dépassant parfois les 100 €/t et rendant plus attractive la culture du soja en Europe. Néanmoins, en Allemagne la culture du soja est une niche dans la niche des légumineuses graines dont les surfaces ont chuté de plus de 200 000 ha entre 1998 et 2003 pour atteindre 84 000 ha en 2008, dû surtout au pois qui passait de 150 000 ha à 50 000 ha dans la même période (Fig. 1). Dans la période 1998–2008, la féverole a elle reculé doucement de 25 000 à 10 000 ha, et le lupin, culture bien adaptée aux sols sableux du nord-est de l’Allemagne oscillait entre 20 000 et 50 000 ha. Après un nouveau point bas à 75 000 ha en 2013 dont 25 000 ha en bio (BÖLW 2015), la sole de légumineuses à grosses graines a amorcé une franche remontée en 2014 (93 000 ha), qui va sans doute s’intensifier en 2015 avec une augmentation estimée pour la surface des pois de 100 % (Destatis, 2015) et du soja d’environ 75 %.

thumbnail Fig. 2

Surface de soja dans les Länder de l’Allemagne entre 2003 et 2014 (BMEL; à partir de 2005 estimation par Sojaförderring (voir Encadré 3) sur une base de données PAC des Länder les plus importants). Une figure couleur est disponible sur le site à www.ocl-journal.org.

Le soja, après 1990 a vu sa surface en Allemagne réduite à 230 ha en 1996. Jusqu’en 2008 il n’a plus dépassé les 1 000 ha, mais depuis 2009 on peut constater une montée régulière jusqu’à 10 000 ha en 2014 (Fig. 2). En Bade-Wurtemberg, un land du sud de l’Allemagne, le soja a dépassé la surface de la féverole en 2012. Cette évolution est sans doute due aussi au soutien politique. En effet, quatre Länder (Bavière, Bade-Wurtemberg, Rhénanie du Nord-Westphalie et Basse Saxe) ont élaboré des « plans protéine » afin d’augmenter la production protéique à partir des fourrages et des tourteaux de colza mais aussi de l’introduction du soja régional, et donc de consolider une filière régionale non-OGM, qui profite d’une demande soutenue du marché. Cette relance se manifeste par le soutien de projets de recherche, comme le projet pour l’extension de la culture du soja en Allemagne 2011–2013. Ce dernier a été suivi d’un projet modèle, visant à développer la culture de soja grâce à un conseil spécialisé et des démonstrations auprès de 120 agriculteurs dans tous les Länder, à l’exception de l’extrême Nord de l’Allemagne. En revanche, un soutien par des aides directes comme en France n’existe quasiment plus : depuis 2005, l’Allemagne a découplé les aides PAC2 pour les grandes cultures qui sont désormais indépendantes de la culture cultivée. Toutefois dans le cadre des mesures agri-environnementales du deuxième pilier de la PAC, 4 des 16 Länder proposent des aides pour les rotations avec 4 ou 5 cultures, dont parfois un minimum de 5 % de légumineuses. À partir de 2015, le soja conventionnel sera pris en compte dans le cadre du verdissement et pourra être cultivé sur les surfaces d’intérêt écologique (SIE) avec un facteur de 0,7 comme les autres légumineuses graines. Cette opportunité va sans doute favoriser son développement, sous condition que la semence et l’inoculum soient disponibles et les débouchés à portée, ce qui n‘est pas encore le cas partout. Mais grâce aux initiatives diverses au niveau national et des Länder, un réseau d’information et de conseil ainsi que des efforts pour créer des filières un peu partout en Allemagne existent, le tout étant accessible sur le site du réseau soja allemand www.sojafoerderring.de.

3 Deux filières alimentaires de longue date pour un maintien historique du soja en Allemagne du Sud

La première hausse de la surface de soja a conduit aux premiers investissements dans des installations pour toaster le soja en vue des débouchés aliments porc et volaille dans la région de Bade chez ZG-Raiffeisen à Kehl sur le Rhin et en Bavière chez l’entreprise Stadlhuber à partir de 1992. Ces deux installations ont traité les graines de soja non déshuilées, soit en rendant service aux agriculteurs qui reprenaient ensuite leur propre soja pour l’élevage, soit en intégrant le soja dans leurs aliments divers, fabriqués sur place.

Encadré 1. Principaux critères du cahier des charges pour le soja bio destiné à la production de tofu chez le fabricant allemand Taifun

Livraison et évaluation de la qualité des graines de soja

  • Le soja issu de la production sous contrat Taifun est livré directement après la récolte au collecteur indiqué. Séchage et stockage sont interdits. Pas de vente à des tiers.

  • Semence achetée chez Taifun ou réplique/reproduction de la propre récolte d‘une semence acheté l’année précédente, après analyse d’un échantillon de 4 kg avant le 10 février chez Taifun sur OGM et taux de germination (aux frais de Taifun) et sous condition de payement des droits de l’obtenteur (0,25 CAD/kg).

  • Au moins 10 échantillons représentatifs par benne sont pris pendant le déchargement en présence du fournisseur. Poids minimum du total des échantillons : 3 kg. Un kg sera gardé chez Taifun, 2 kg de l’échantillon servent pour les analyses de qualité, base du prix de payement.

  • Prix payé (à 88 % de MS) de 910 e/t pour 43 % de protéine (en MS) + 10 e/t par % de XP en plus jusqu’à 45 % et – 30 e/t par%de XP en moins jusqu’à 41 % (en dessous 800 e/t)

  • Prime, récolte précoce’ de 40 e/t pour des livraisons avant le 5 octobre avec une humidité entre 13 et 17 %.

  • Déduction de 15 e/t en cas de plus de 10 % d’impuretés pesé après le premier nettoyage.

  • Déduction en cas d’impuretés majeures (plus de 6 pierres et mottes de terre > 4,5 mm dans l’échantillon de 2 kg) : –40 e/t

  • Déduction en cas d’impuretés variétales > 3 % : –40 e/t Déclassement comme soja alimentation animale (un cas sur 80 en moyenne des dernières années) :

    • si l’humidité de la livraison est inférieure à 10 % ou si elle dépasse 25 %,

    • si le pourcentage de graines verdâtres dépasse 5 % du poids total,

    • si le nombre de fruits de morelle noire dépasse 15 par kg,

    • si plus d’un fruit de xanthium dans toute la livraison de soja,

    • si plus d’un grain de maïs dans l’échantillon de 2 kg,

    • si ≥ 0,1% d’OGM,

    • si les normes BNN (commerce bio allemand) pour les résidus de pesticides sont dépassées.

  • Le séchage des graines de soja est à la charge de l’agriculteur. Tous les prix sont valables pour une humidité de référence de 12 %. Le facteur de perte est de :

    • 1,3 pour une humidité de 12,1 à 19,9 %,

    • 1,5 pour une humidité de 20% et plus.

En même temps surgissaient les premiers ateliers de tofu (aliment à base de soja), eux aussi de plus en plus orientés vers la production locale de soja. Pendant la période « creuse » autour des années 2000 ces manufactures en développement rapide ainsi que l’agriculture biologique, pour laquelle la culture de soja s’avérait déjà une culture très intéressante et rentable, ont soutenu la culture de soja en Allemagne et lui ont évité une disparition totale. Suite à l’arrivée du soja transgénique en Amérique vers la fin des années 1990, ces transformateurs se posaient des questions sur l’approvisionnement en soja non-OGM. En réponse, ils ont développé la contractualisation de la culture avec les agriculteurs régionaux, en organisant toute la filière, du choix de la variété optimale, y compris son inscription dans le catalogue européen, jusqu’à la transformation en tofu et une multitude de produits qui en découlent, en passant par la réception de la récolte, son nettoyage et son stockage. Le pionnier de cette approche depuis 1997, l’entreprise Life-Food de Fribourg en Brisgau (www.taifun-tofu.de) vient de dépasser les 1 600 ha de soja bio contractualisés en 2014. Pour cela, il dépasse les frontières de l’Allemagne vers la France (Alsace, Franche-Comté, Bourgogne) et l’Autriche puisque sa variété préférée est Primus, une variété précoce de groupe 00 qui n’arrive à maturité que dans les régions les plus chaudes de l’Allemagne. Un cahier de charges de 20 pages a été établi. Il comprend pas mal d’instructions et exige plusieurs analyses mais pas de certification extérieure dépassant le cadre de la certification bio (Encadré 1). Par contre, les contrats pour le soja régional conventionnel restent jusqu’aujourd’hui assez basiques (Encadré 2 l’exemple de Rieder Asamhof sur 1 page).

Encadré 2. Contrat pour production/livraison de Soja régional conventionnel avec commande de semences et inoculum pour la récolte 2015

(Bavière, janvier 2015)

entre l’entreprise Rieder Asamhof GmbH & Co. KG, Hauptstrasse 1, 86438 Kissing et Agriculteur

Traduction par Jürgen Recknagel

§1 : Parcelles de culture pour vente de récolte
 
Le producteur s’engage à cultiver du soja non-OGM pour la récolte 2015 sur la parcelle suivante et à livrer toute la récolte issue de cette parcelle : nom : . . . surface : . . . ha
 
Au cas où ce contrat ne peut pas être honoré en quantité et qualité habituelle pour cause de force majeure telle que sècheresse, grêle ou mauvaise récolte le producteur doit en informer immédiatement. Il est interdit de fournir du soja sous présent contrat aux tiers.
 
§2 : Réception
 
Le producteur livrera la marchandise à 86 510 Ried. La Rieder Asamhof GmbH & Co. KG s’engage à accepter la marchandise et à la payer selon les conditions du Section 4.
 
§3 : Critères de qualité
 
Impuretés 2% maxi, Le soja doit être sain, loyal et marchand et convenir aux exigences de la réglementation alimentaire. Interdiction d’apporter des boues de stations d’épuration sur la parcelle les 3 ans précédents la culture du soja. La contamination OGM (p. ex. par transport ou stockage) doit être évitée sous toutes les circonstances. A la livraison un échantillon de contrôle sera prélevé. En cas de besoin il sera analysé par un laboratoire neutre. Le résultat servira comme base de décompte.
 
§4 : Prix de rachat après récolte (au choix) franco silo 86 510 Ried ou 86 438 Kissing
 
Prix de base : 38,00 e/q net (12,0-14,5% humidité), payable 30 jours après livraison
 
Frais de séchage : >14,5–20,0 % humidité =0,11 e par %; >20 % = 0,12 e par %
 
Suppléments : 1,00 e/q <12,0 – 11,0 % humidité ; 1,00 e/q <11,0 % humidité
 
2,00 e/q en cas de paiement en mars 2016 (indépendamment de la date de livraison)
 
Commande de semences : variété (sous réserve) Merlin, Amandine, Sultana, Tourmaline pour . . . . ha. Inoculant pour ..... ha.
 
........................................      ........................................
 
Lieu, Date, Producteur Lieu, Date, Rieder Asamhof GmbH & Co. KG
 
Ce contrat n’est valable qu’après confirmation de Rieder Asamhof GmbH&Co. KG; surface max. 700 ha ; Producteurs de longue date ont la priorité (date limite 27.02.2015) ; nouveaux producteurs seront acceptés s’il reste de la surface (date limite 13.03.2015).
 

Encadré 3. Un outil de promotion du soja à l’échelle de l’Allemagne : le Sojaförderring

Le « Cercle allemand pour la promotion du soja » est une association fondée en 1980 dans le sud-ouest de l’Allemagne. Elle vise à promouvoir la culture du soja en Allemagne par mise à disposition des informations essentielles et coordination de l’expérimentation entre les Länder. Elle regroupe une centaine de membres parmi toute la filière (sélectionneurs, agriculteurs, négoces et coopératives, conseil, recherche et transformateurs). Son site-web sert actuellement aussi comme plateforme d’information du projet modèle soja du ministère de l’agriculture allemand : www.sojafoerderring.de

4 La sole de soja se développe plus vite en dehors des zones maïsicoles

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, en Allemagne le soja ne se trouve pas seulement dans les secteurs les plus chauds, où sa surface est limitée à cause d’une forte concurrence du maïs grain (irrigué), mais surtout dans les secteurs où les autres cultures ont plus de difficultés que le soja. Il peut s’agir du colza et des céréales en situations plutôt sèches comme dans le secteur de Würzburg (nord de la Bavière), où le soja a pu montrer sa supériorité au niveau des marges suite aux fortes gelées de l’hiver 2011/12, lesquelles ont libéré des surfaces de céréales et de colza; ou au contraire en situation trop arrosée où les céréales souffrent des maladies. C’est pourquoi la majorité de la surface allemande cultivée en soja se trouve dans des zones aux sommes de températures moins élevées, situées en dehors des vallées du Rhin supérieur ou du Danube, dans les régions de 250 à 500 m d’altitude de Bavière et du Bade-Wurtemberg. Il existe même des exploitations cultivant du soja très précoce de groupe 000 avec succès plus au nord jusqu’à la latitude de Berlin. Après la Bavière (4336 ha) et le Bade-Wurtemberg (2836 ha), c’est ainsi le Brandebourg (1233 ha), land autour de Berlin, qui se situe au 3ième rang des Länder allemands cultivant du soja en 2014 (Figs. 2 et 3).

thumbnail Fig. 3

Bassins de production de soja en Allemagne (Recknagel, Roßberg, Neukampf 2014). Une figure couleur est disponible sur le site à www.ocl-journal.org.

5 Bassins de production : en situation de bonne compétitivité – climatique ou proche de collecteurs attractifs

Pour une production durable, les conditions climatiques sont sans doute la base, mais pour un élargissement de la sole, il faut des collecteurs engagés et le traitement thermique à proximité ainsi qu’une commercialisation du produit final à un prix qui permet de payer aux agriculteurs un prix intéressant pour leur soja.

Ces facteurs ont motivé l’installation d’une troisième unité de traitement, hydrothermique plus sophistiquée que les deux premières, en 1998 près d’Augsbourg en Bavière dans un contexte de production régionale, d’abord en conventionnel et 10 ans plus tard aussi en bio. C’est sous le sigle « Unser Land » (« notre région » en français) qu’ont été créées depuis 1994 des initiatives de production solidaire au niveau des « Landkreise » (cantons) autour d’Augsbourg et Munich. Elles regroupent agriculteurs, collecteurs, transformateurs, artisans, commerçants et restaurateurs afin de promouvoir des aliments issus d’une production régionale – y compris le soja pour l’alimentation de volailles et porcs. Cette filière Soja a été organisée par une entreprise privée le « Rieder Asamhof » qui contractualise en 2014 environ 700 ha de soja (3 ha au départ en 1998) pour la transformation en aliments pour porcs et volailles « Unser Land ». Les installations de ce groupement ont été modernisées en 2007 et sont désormais équipées d’une unité de trituration pour déshuiler le soja jusqu’à 10 % de matière grasse, ce qui facilite son utilisation dans l’alimentation animale. Pour mieux exploiter sa capacité, l’entreprise accepte aussi des lots de soja hors contrat « Unser Land » en gardant l’huile pressée pour frais de trituration et « toastage ». D’autres approches de filière sur une base de collecte et commercialisation aux prix de marché non-OGM conventionnel mais sans le label régional, existent aussi en Bavière, comme celle mise en œuvre par exemple par la société « Bayernhof », créée par 14 organisations regroupant 2000 producteurs de grandes cultures.

En Bade-Wurtemberg, à côté de Taifun/Life-Food, pionnier de la contractualisation du soja bio pour son tofu, deux collecteurs d’importance existent pour le soja en alimentation animale. Le premier est la coopérative ZG Raiffeisen avec son réseau de collecte depuis la bordure ouest du Land, du lac de Constance au sud le long du Rhin jusqu’au Palatinat, la Hesse et la Bavière au nord. La coopérative comprend aussi une unité de fabrication d’aliments concentrés de bétail, équipée d’une installation de toastage à Kehl sur le Rhin, en face de Strasbourg. Le second est la Kraichgau-Raiffeisen à Eppingen dans le bassin loessique entre Heilbronn, Karlsruhe et Heidelberg, qui collabore avec un moulin régional, équipé d’une installation de traitement moderne pour le soja. Chacune des deux coopératives va contractualiser autour de 1000 ha de soja en 2015 pour assurer ses approvisionnements en aliments non-OGM destinés à des productions label non-OGM et IGP3. Ces quantités suffisent pour la demande des petits et moyens producteurs d’oeufs avec commercialisation en direct qui demandent une alimentation pas seulement non-OGM mais aussi d’origine régionale pour satisfaire les attentes de leur clientèle.

En revanche pour répondre aux programmes non-OGM des grands distributeurs comme REWE ou EDEKA, les quantités de soja produites en Allemagne ne sont pas (encore) suffisantes. C’est dans ces cas que le soja produit dans le cadre de l’initiative « Donau-Soja » (« Soja Danube ») entre en jeu. Il s’agit de produire et certifier du soja issu du bassin versant du Danube, qui va de la Forêt Noire en Allemagne jusqu’à la mer noire, en traversant l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie ainsi que plusieurs pays de l’ex Yougoslavie. La zone de culture englobe même quelques régions de Pologne et d’Ukraine de même que le Nord de l’Italie. Le soja (graines, tourteaux, graines toastées, etc.) est certifié par des organismes spécialisés extérieurs aux frais des opérateurs. De plus, l’association Soja Danube contrôle directement à ses frais le soja via des échantillonnages et analyses plus ou moins systématiques en fonction des risques de contamination OGM évalués pour chaque pays (cf. article consacré à l’initiative Soja Danube dans le présent dossier). Du soja ainsi certifié et labellisé est disponible depuis 2012 en quantité suffisante pour alimenter quelques programmes d’aliments non-OGM dans les pays de l’Europe occidentale. L’entrée de ce soja « local européen » dans les marchés s’est avérée moins exigeante dans le secteur de la volaille où les premiers exemples existent déjà en Autriche et en Suisse que dans le secteur porcin, secteur sensible aux prix élevés, où les premiers contrats n’ont été signés qu’en 2015. Mais avec la croissance de la production du soja dans la région du Danube qui pourrait passer de 3,8 millions de tonnes en 2011 à 7,5 millions de tonnes pour 2015, un élargissement de son utilisation est en vue.

6 En AB4, le soja est souvent la culture phare des grandes cultures

En agriculture biologique, le soja est souvent la grande culture avec la meilleure rentabilité, puisqu’elle ne demande pas d’azote supplémentaire, produit autant qu’en conventionnel (sous condition que les adventices soient bien contrôlées) et qu’elle est deux fois mieux rémunérée que le soja conventionnel.

Pour le secteur bio, la croissance est tirée par les structures de commercialisation des organisations de producteurs « Bioland » et « Naturland ». Leur objectif est de répondre à leurs propres besoins en alimentation humaine et animale et remplacer les importations (Inde, Chine, Italie), de moins en moins garanties au niveau qualité et disponibilité. Ils visent des contrats de longue durée, ce qui aide à maintenir un niveau de prix plus stable et élevé qu’en conventionnel (800–850 €/t en feed et 880–950 €/t en food). Avec le producteur d’aliments bio Meika au sud d’Augsbourg ils bénéficient d’un transformateur qui, depuis 2011 dispose aussi d’une installation moderne pour traiter 6000 t de soja par an, y compris le déshuilage en vue de produire du tourteau (www.meika-biofutter.de/Sojaaufbereitung.html).

7 Du traitement à la ferme jusqu’aux structures industrielles

Enfin, les premières installations de petite taille se développent à la ferme, soit mobiles sur un camion, soit fixes avec une automatisation pour un fonctionnement en continu. Un travail visant à améliorer la régularité et la sécurisation de la qualité est en cours au niveau de l’université technique de Munich. Ces travaux sont soutenus par le ministère de l’agriculture allemand qui, après un projet pour le développement de la culture de soja en Allemagne (2011–2013) cofinance dorénavant un réseau de démonstrations pour le soja (2014–2017), encadré par quelques projets spécifiques de recherche.

Outre les petites et moyennes entreprises ayant des origines artisanales en Allemagne du Sud et celles encore moins développées dans l’ouest et le nord de l’Allemagne, des exemples de structures plus grandes existent en Allemagne de l’est (ex RDA). Par exemple une grande unité moderne pour la production de « lait » de soja près de Schwerin a été reprise par la marque autrichienne MONA. On peut aussi citer une ancienne huilerie de colza, qui a été transformée pour traiter du soja sous la tutelle de KTG agrar SE en 2011 avec une capacité de 40 000 t/a. Cette grande entreprise agricole internationale gère plus de 40 000 ha de cultures en conventionnel et en bio, en Allemagne de l’est et dans les Pays Baltes, dont plusieurs milliers hectares de soja. Elle dispose en plus de l’infrastructure pour la transformation en alimentation animale et humaine et pour la logistique (www.ktg-agrar.de). En février 2015 au salon « BioFach » à Nuremberg, cette société a signé des contrats cadre de fourniture de soja non-OGM pour 12 Mio.€.

L’ensemble des organismes de collecte ainsi que les sites de transformation de soja en Allemagne sont répertoriés sur le site www.sojafoerderring.de, (www.sojafoerderring.de/nach-der-ernte/) (encadré) ainsi qu’en Figure 4.

thumbnail Fig. 4

Unités de transformation des graines de soja en Allemagne (2015).

8 Bio et labels régionaux pour booster le soja allemand

Finalement on peut constater que le soja en Allemagne se développe bien. La croissance annuelle de la surface cultivée a été de 2500 ha/an en 2013 et 2014 ce qui correspond à un taux de 50 et 25 %. Puisque la part du bio en 2014 n’était que 6,5 % de la SAU5, la croissance en conventionnel est plus marquée qu’en bio, ce qui implique une tendance à la baisse de la part du soja bio, qui en 2014 était de l’ordre de 25 %.

Au niveau des marchés on peut constater, que le soja allemand destiné à l’alimentation humaine est quasiment tout bio. La production est encore loin de satisfaire la demande spécifique au niveau de la qualité, d’autant que cette demande augmente de l’ordre de 10 % par an. L’importation de 19 000 t de soja bio en 2009 (Schaack, 2011) et 34 000 t en 2011 (BÖLW, 2015) prouve que la demande pour l’alimentation animale en bio est aussi encore loin d’être satisfaite. D’où un niveau de prix bien élevé et une différenciation entre alimentaire et animale plutôt faible.

Le soja conventionnel trouve sa place de préférence dans le secteur des produits régionaux ainsi que pour la production des produits de label non-OGM en alimentation animale (volaille, porc). Au niveau des derniers il est concurrencé par le soja issu de l’initiative « Donau-Soja » (Danube-Soja) qui se caractérise par un prix un peu moins élevé et par une meilleure disponibilité ainsi que d’un label basé sur une certification extérieure.

Les perspectives pour le soja bio sont sans doute bonnes, mais limitées en surface par le taux restreint de la SAU en bio. En conventionnel, il y a aussi de bonnes perspectives au niveau de la production des œufs en vente directe, sous condition que les installations de toastage soient à proximité de ces producteurs.

Au niveau des produits régionaux, la croissance sera probablement plus limitée, vu l’engagement nécessaire pour la promotion et la concurrence croissante des grands distributeurs comme REWE et EDEKA qui, eux aussi, ont découvert le label régional pour fidéliser la clientèle. Leurs structures de production ainsi que leur sensibilité aux prix étant plus grandes, ces géants de la grande distribution demandent un approvisionnement sécurisé de quantités importantes à des prix moins élevés. Pour eux, l’alternative est le Danube-Soja européen au prix intermédiaire entre celui du soja non-OGM brésilien et le soja allemand qui pourrait servir comme base pour une production de viande et des œufs non-OGM avec l’atout d’un label reposant sur une origine régionale. D’une part cela risque de réduire la prime du soja non-OGM par rapport au soja OGM et éventuellement de freiner la croissance de la sole du soja en Allemagne dans le futur. D’autre part le niveau de prix d’importation peut continuer d’être soutenu par un cours d’échange élevé du dollar. Mais dès que les filières courtes proches des agriculteurs arriveront à bien s’organiser, le soja allemand pourra servir comme base pour des aliments vraiment régionaux qui se démarqueront des produits de la grande région Europe par une nette plus-value, laquelle permettra de payer à l’agriculteur un prix attractif pour son soja. Celui-ci ainsi deviendra plus rentable que d’autres cultures alternatives et permettra à la culture soja de manifester ses atouts au niveau de la diversification de la rotation, de la réduction des intrants et reliquats, en comparaison aux autres oléagineux et légumineuses. Un tel soja « vraiment local » contribuera donc à une meilleure autosuffisance en protéines de haute qualité issues d’une agriculture plus durable que dans pas mal de situations dans le monde.

Sites-web

  1. Unser Land : Futtermittel : http ://www.unserland.info/lebensmittel/erzeuger/57-landwirte-und-verarbeit-ungsbetriebe/113-futtermittel

Hülsenfrüchte : http ://www.unserland.info/index2.php?option =com_content&do_pdf=1&id=59

www.sojafoerderring.de/nach-der-ernte/ersterfasser-partner-fuer-landwirte/

www.sojafoerderring.de/nach-der-ernte/soja-verarbeitung/hersteller/

www.sojafoerderring.de/nach-der-ernte/verarbeitung-zu-futtermitteln/aufbereitungsanlagen-in-deutschland/


1

OGM : organisme génétiquement modifié.

2

Politique agricole commune.

3

Indication géographique protégée (Schwäbisch Hällisches Qualitätsschweinefleisch : www.besh.de).

4

Agriculture biologique.

5

Surface agricole utile.

Références

Cite this article as: Jürgen Recknagel. Le soja local en Allemagne, une demande soutenue, une offre qui s’étoffe. OCL 2015, 22(5) D508.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Surfaces des légumineuses à graines (ha) en Allemagne entre 1990 et 2014 (BMEL). Une figure couleur est disponible sur le site à www.ocl-journal.org.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Surface de soja dans les Länder de l’Allemagne entre 2003 et 2014 (BMEL; à partir de 2005 estimation par Sojaförderring (voir Encadré 3) sur une base de données PAC des Länder les plus importants). Une figure couleur est disponible sur le site à www.ocl-journal.org.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Bassins de production de soja en Allemagne (Recknagel, Roßberg, Neukampf 2014). Une figure couleur est disponible sur le site à www.ocl-journal.org.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Unités de transformation des graines de soja en Allemagne (2015).

Dans le texte

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