Numéro |
OCL
Volume 22, Numéro 5, September-October 2015
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Numéro d'article | D503 | |
Nombre de pages | 11 | |
Section | Dossier: Local soybean supply chain / Approvisionnement local en soja | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ocl/2015028 | |
Publié en ligne | 18 septembre 2015 |
Research Article
Le semis très précoce : une stratégie agronomique pour améliorer les performances du soja en France ?
Very early sowing: an agronomic strategy to improve soybean performance in France?
1 Université Toulouse, INPT ENSAT,
UMR1248 AGIR, 31320
Castanet-Tolosan,
France
2 INRA, UMR1248 AGIR,
31320
Castanet-Tolosan,
France
3 EURALIS SEMENCES,
31700
Mondonville,
France
4 Université Toulouse,
INPT EI Purpan, 31300
Toulouse,
France
5 Terres Inovia – Institut technique
des oléagineux, des protéagineux et
du chanvre, 75378
Paris,
France
6 RAGT 2n SAS,
12033
Rodez,
France
7 Terres Univia – Interprofession des
huiles et protéines végétales, 75378
Paris,
France
* Correspondance :
maury@ensat.fr
Reçu :
4
Mai
2015
Accepté :
5
Juin
2015
Le semis très précoce du soja a été étudié dans l’objectif d’améliorer le potentiel de rendement et/ou de réduire les besoins en eau. Trois variétés, appartenant à différents groupes de maturité, ont été retenues afin d’identifier les traits variétaux d’intérêt pour le semis très précoce. Un ensemble d’essais multilocaux, comportant deux modalités de semis avec irrigation, a été réalisé au cours de 5 années culturales (2010−2014). Le rendement et les besoins en eau ont été déterminés; un suivi dynamique du développement et de la croissance a été réalisé pour la variété Santana. Les effets combinés des basses températures et de la photopériode en réponse au semis précoce se traduisent par une production de biomasse aérienne réduite en phase végétative et une augmentation de la durée de remplissage des graines. Les valeurs maximales de rendement sont observées pour le semis très précoce, mais en moyenne le rendement est sensiblement plus faible en semis très précoce (3,7 t/ha vs. 3,9 t/ha). L’irrigation pour conduire les cultures dans des conditions proches de l’ETM a été sensiblement plus faible en semis très précoce (170 mm vs. 182 mm). Une variété tardive (groupe de maturité II) apparaît mieux adaptée au semis très précoce qu’une variété de groupe de maturité I. Cette étude constitue une première référence agronomique d’évaluation du semis très précoce du soja et suggère que des types variétaux très tardifs pourraient améliorer le potentiel de rendement du soja en semis très précoce pour des conduites irriguées dans le Sud-Ouest de la France.
Abstract
This study was carried out on very early sowing of soybean in order to improve potential yield and/or reduce water requirements. Three varieties belonging to different maturity groups were selected to identify varietal traits of interest in very early sowing. A set of multi-location irrigated trials consisting in two sowing dates was performed from 2010 to 2014. Yield and water requirements were determined; crop development and growth was monitored on cv. Santana. The combined effects of low temperatures and photoperiod in very early sowing resulted in limited aboveground biomass production during vegetative period and increased grain filling duration. Maximal values for yield were observed in very early sowing modality, although yield was slightly lower in very early sowing compared to conventional one (3.7 t/ha vs. 3.9 t/ha). The amount of water brought by irrigation for meeting ETM conditions was slightly lower in very early sowing (170 mm vs. 182 mm).
A late variety (maturity group II) appears better adapted to very early sowing compared to a maturity group I variety. This study stands as the first agronomical reference for evaluating early sowing of soybean and suggests that late-varietal type could improve soybean potential yield for early sowing in irrigated cropping conditions of South-Western France.
Mots clés : Semis précoce / Glycine max (L.) Merrill / basses températures / soja / réponse photopériodique / idéotype de plante
Key words: Early sowing / Glycine max (L.) Merrill / low temperatures / soybean / photoperiodic response / plant ideotype
© P. Maury et al., published by EDP Sciences, 2015
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
1 Introduction
Le soja est une culture légumineuse ne nécessitant pas d’engrais azoté, conduite avec peu de traitements phytosanitaires et fournissant des graines riches en protéines (38 à 42 % de la matière sèche en moyenne). Le principal facteur limitant de la production de soja en France est l’eau (Merrien, 1994). En effet, cette culture d’été est souvent exposée à une demande climatique évaporative élevée face à des ressources hydriques restreintes, nécessitant généralement une conduite irriguée dans les systèmes de culture du Sud-Ouest de la France. Un déficit hydrique imposé durant la période de remplissage des graines s’avère particulièrement pénalisant pour le rendement du soja (Pardo et al., 2015). Deux principales stratégies pourraient permettre d’améliorer le potentiel de rendement du soja et/ou réduire les besoins en eau et l’irrigation : (i) sélectionner des génotypes tolérants la sécheresse et (ii) avancer la date de semis pour éviter la période sèche aux stades les plus sensibles du cycle de développement. Le semis précoce pourrait permettre également d’augmenter le potentiel de rendement du soja par un allongement du cycle cultural. Cependant, le semis très précoce du soja, avancé d’un à deux mois par rapport à la période habituelle (1er au 15 mai dans le Sud-Ouest de la France), induit une baisse significative de la température au moment du semis et pendant les premiers stades de la croissance végétative. Une telle exposition aux basses températures non gélives (inférieures à 15 °C) peut s’avérer préjudiciable pour différents processus physiologiques dans le cas d’une espèce thermophile (liée à l’origine tropicale du soja), en particulier pour la germination et la croissance hétérotrophique (Littlejohns et Tanner, 1976), la mise place de la symbiose fixatrice d’azote atmosphérique (Zhang et al., 1995) et la photosynthèse (Allen et Ort, 2001; Guy et al., 1997; Strauss et van Heerden, 2011) et ainsi pénaliser le rendement de la culture. De plus, le soja étant une espèce sensible à la photopériode (Garner et Allard, 1920), le semis très précoce pourrait affecter le développement des plantes (Kantolic et Slafer, 2007; Zhang et al., 2001). Plusieurs études ont été publiées sur le semis précoce du soja (Bastidas et al., 2008; Chen et Wiatrak, 2010, Hu et Wiatrak, 2012) mais la plupart de ces travaux concernent des conditions culturales aux USA avec des cultivars très tardifs (groupe de maturité > III). À notre connaissance, des références agronomiques sur le semis très précoce du soja pour des situations culturales proches du Sud-Ouest de la France en termes de conditions thermiques × photopériodiques n’ont pas été reportées dans la littérature. Parmi les 13 groupes de maturités de classification des génotypes de soja (000 pour les plus précoces à X pour les plus tardifs), les génotypes cultivés en milieu tempéré relèvent généralement des groupes de maturités 000 à III (Van Heerden et al., 2004). Des variétés plus précoces que le groupe de maturité 000, dites « très très précoces » sont aujourd’hui aussi utilisées dans le Nord de la France. Les effets combinés de la photopériode et des basses températures (associées au semis très précoce à des latitudes élevées − de l’ordre de 43 °N pour le Sud de la France) sur les performances agronomiques de cultivars à groupes de maturités conventionnels (I à II) pour la culture du soja dans le Sud de la France restent à évaluer.
L’objectif de cette étude a été de déterminer les effets du semis très précoce sur le développement, la croissance, et le rendement du soja en conduite irriguée, et également d’identifier les traits variétaux d’intérêt pour améliorer les performances agronomiques du soja en semis très précoce en France. Dans cet objectif, un ensemble d’essais au champ a été réalisé sur la période 2010 à 2014 en conduite irriguée dans le Sud-Ouest de la France avec des types variétaux tardifs de différents groupes de maturités (I et II), et en 2013 et 2014, un suivi dynamique du développement et de la croissance a été effectué pour la variété de référence Santana de groupe de maturité intermédiaire (I/II).
2 Matériel et méthodes
2.1 Dispositif expérimental et conduite culturale
Un ensemble d’essais au champ, comportant deux modalités de semis (très précoce et conventionnel), a été réalisé au cours de 5 années culturales (2010−2014) dans 5 lieux du Sud-Ouest de la France (B : Béziers 34, Ma : Mauguio 34, Mo : Mondonville 31; R : Rivières 81; E : En Crambade 31) afin d’explorer les performances agronomiques du semis très précoce de soja dans différentes conditions pédoclimatiques et pour deux variétés de soja appartenant à deux groupes de maturités (GM) différents (GM I − Isidor et GM II − Ecudor). Les essais conduits en 2013 et 2014 sur le site d’En Crambade intègrent une troisième variété de groupe de maturité intermédiaire I /II (Santana). Cette variété a fait l’objet d’un suivi plus détaillé pour analyser l’effet du semis très précoce sur la dynamique de croissance et de développement des plantes. Le semis très précoce a été réalisé environ 1,5 mois avant le semis conventionnel (environ à la mi-mars pour le semis très précoce et au début du mois de mai pour le semis conventionnel). Les cultures ont été conduites dans des conditions hydriques proches de l’évapotranspiration maximale (ETM), en pilotant l’irrigation à l’aide de sondes tensiométriques placées à différentes profondeurs dans le sol selon la méthode Irrisoja (CETIOM). Pour une combinaison lieu × année donnée, le dispositif expérimental comporte le facteur « date de semis » à deux modalités en split plot, le facteur « variétés » à deux modalités (3 modalités en 2013 et 2014) retomisées en sous blocs, avec 1 à 3 blocs selon l’essai; l’unité expérimentale étant une parcelle d’environ 10 m2.
Fig. 2 Effet de la date de semis (conventionnel et très précoce) sur le développement des plantes (exprimé en nombre de jours depuis le semis) pour deux années culturales (gauche : 2013, droite : 2014). Stades de développement pour la variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade : « sem » correspond à semis, « lev » à levée, R1 à début floraison, R3 à début formation des gousses, R5 à début remplissage des graines, R6+ à remplissage avec graine de 11 mm de long, R7 à début maturité des gousses, et R8 à maturité. La signification des stades de développement est précisée dans le matériel et méthodes. |
Fig. 3 Effet de la date de semis (conventionnel et très précoce) sur le développement (exprimé en temps thermique depuis le semis, température de base 6 °C) pour deux années culturales (gauche : 2013, droite : 2014). Stades de développement pour la variété « Santana » de groupe maturité I/II, site En Crambade. La signification des stades de développement est précisée dans le matériel et méthodes. |
2.2 Variables climatiques et agronomiques (rendement et teneur en protéines)
Des stations météorologiques localisées à proximité des essais ont permis de déterminer différentes variables : précipitations (mm), températures journalières maximales et minimales, évapotranspiration (mm), rayonnement global (GR, MJ/m2).
Le rendement en graines (t/ha) aux normes commerciales (14 % humidité et 2 % impuretés) a été estimé à partir de la récolte mécanique des graines sur une parcelle élémentaire d’environ 10 m2. La teneur en protéines des graines a été calculée à partir de la détermination de la teneur en azote total des graines (méthode Dumas, EURO EA-3000, Eurovector Spa, Milan).
2.3 Phénologie et suivi dynamique de la croissance de la variété Santana
Un suivi régulier à l’échelle de la parcelle élémentaire a permis de déterminer les dates de réalisation de 8 stades phénologiques de la variété Santana en 2013 et 2014 (Fehr et Caviness, 1977), stades illustrés par Pedersen (2004) : levée (lev), début floraison (R1), formation des gousses (R3), formation des graines (R5), une gousse contenant une graine verte remplissant la cavité de la gousse (R6), une gousse contenant une graine a atteint sa couleur de maturité (R7, maturité physiologique), pleine maturité i.e. 95 % des gousses sont à R7 (R8). Un stade phénologique supplémentaire (noté R6+), caractérisé par le développement d’une graine verte qui atteint 11 mm de long dans l’un des 4 nœuds les plus élevés sur la tige principale a également été déterminé. Un stade est atteint lorsque 50 % des plantes de la parcelle élémentaire sont à ce stade.
Aux environs des trois stades phénologiques R1, R5 et R6+, les parties aériennes des plantes présentes sur une placette d’environ 1 m2 pour chaque parcelle élémentaire ont été prélevées et la matière sèche a été déterminée après passage à l’étuve à 80 °C (+/− 5 °C) pendant environ 48 h.
2.4 Analyses statistiques
L’effet des facteurs agronomiques a été évalué à l’aide d’une analyse de variance (ANOVA) à deux facteurs « date de semis » et « variété »; les moyennes et écart types pour les différentes combinaisons de modalités ont été calculés, et le test t de Student a été utilisé pour la comparaison de moyennes. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel PASW Statistics V18 (SPSS Inc., USA).
3 Résultats
3.1 Conditions climatiques associées à l’analyse de la croissance et du développement
Les essais conduits en 2013 et 2014 à En Crambade visaient à analyser l’effet du semis très précoce sur les processus de croissance et de développement dans des conditions hydriques non limitantes. Le semis très précoce conduit à exposer les plantes aux basses températures en début de cycle cultural (Fig. 1); la température moyenne journalière pour la période levée – floraison (R1) en 2013 est de 14 °C en semis très précoce (14,8 °C en 2014) vs. 15,6 °C en semis conventionnel (17,7 °C en 2014). Comparativement à 2014, l’année 2013 se caractérise en début de cycle cultural par des températures moyennes journalières plus faibles et un cumul de précipitations plus élevé (315 mm du 15/03 au 30/06, vs. 242 mm en 2014). En revanche, en période reproductrice R3-R6+, les conditions climatiques de l’année 2013 se traduisent par des températures moyennes journalières plus élevées (23 °C vs. 20,5 °C en 2014) et des précipitations comparables. Pour conduire les cultures dans des conditions non limitantes en eau face aux demandes climatiques de ces deux années culturales, un apport d’eau d’irrigation sensiblement plus élevé a été nécessaire en 2013 par rapport à 2014 (de l’ordre de 145 mm en 2013 et 125 mm en 2014). Pour ces deux années climatiques avec des disponibilités hydriques élevées (cumul de précipitation du 15 mars au 30 septembre de 473 et 387 mm en 2013 et 2014 respectivement, vs. 344 mm en moyenne sur la période 2001−2014, station climatique CETIOM En Crambade 31), l’apport d’eau d’irrigation a été similaire pour le semis conventionnel et le semis très précoce. Les conditions de basses températures en début de cycle cultural, plus marquées en 2013 par rapport à 2014, conduisent à retarder le développement des plantes : la durée du cycle cultural (semis-maturité R8) est de 157 jours et 139 jours pour le semis conventionnel en 2013 et 2014, respectivement (191 jours et 179 jours pour le semis très précoce en 2013 et 2014, respectivement).
Fig. 1 Positionnement du cycle cultural (semis-R8), pour le semis très précoce et conventionnel, relativement aux conditions climatiques (précipitations mensuelles et températures moyennes journalières) pour deux années culturales (gauche : 2013, droite : 2014). Site En Crambade, variété de groupe de maturité I/II Santana. |
3.2 Effet du semis très précoce sur le développement des plantes
La durée du cycle de développement (semis-maturité R8) est significativement plus élevée en semis très précoce par rapport au semis conventionnel (augmentation de 35 et 40 jours en 2013 et 2014, respectivement − Fig. 2), principalement en raison d’une augmentation de la durée de la phase semis-début floraison (stade R1) sous l’effet des basses températures associées au semis très précoce. La floraison (R1) pour le semis très précoce s’observe tout de même plus tôt en référence à la date calendaire (mi-juin en semis très précoce vs. fin juin en semis conventionnel). Ces conditions thermiques n’ont pas affecté significativement la nodulation des plantes (données non présentées), qui a été estimée à partir du calcul d’un indicateur basé sur la taille et le nombre de nodules par plante au stade R1 (CETIOM, 2004).
Fig. 4 Effet de la date de semis (conventionnel et très précoce) sur les valeurs de la photopériode du semis à la récolte pour deux années culturales (gauche : A-2013, droite : B-2014). Les stades de développement levée et R1 sont indiqués à l’aide de traits verticaux en pointillé (bleu pour semis conventionnel, noir pour semis très précoce) et la période R3 à R6+ est indiquée par une zone colorée (bleu pour semis conventionnel, noir pour semis très précoce). Stades de développement pour la variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade. |
Fig. 5 Effet du semis très précoce sur l’augmentation de matière sèche aérienne du couvert durant les périodes levée à R1, R1 à R5 et R5 à R6+ (gauche : 2013, droite : 2014). Variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade. |
En référence à une température de base de croissance de 6 °C, les durées « thermiques » du cycle de développement (semis-maturité R8) sont relativement proches pour le semis très précoce (2070 °C j) et le semis conventionnel (1910 °C j); les principaux stades de développement des plantes apparaissent assez bien synchronisés entre semis très précoce et conventionnel (Fig. 3). La photopériode moyenne durant la phase levée-début floraison (R1) est cependant différente pour les deux types de semis (Fig. 4) : de l’ordre de 14 h20 pour le semis très précoce vs. 14 h 55 pour le semis conventionnel. Une réduction de la photopériode pourrait conduire à « accélérer » le développement dans le cas d’une plante de jours « courts » comme le soja. Cependant, la floraison n’est pas observée plus tôt pour le semis très précoce vs. conventionnel (la floraison est observée à environ 700 à 800 °C j après la levée). Le nombre de nœuds de la plante au début de la floraison (R1) est aussi comparable pour les deux dates de semis : 7,4 nœuds vs. 6,6 nœuds pour le semis très précoce et conventionnel, respectivement. Contrairement à la période « végétative » les plantes en condition de semis très précoce vs. conventionnel sont exposées à des photopériodes plus élevées durant la période reproductrice (de R3 à R6+), en particulier en 2014 (augmentation de l’ordre de 20 et 30 min en 2013 et 2014, respectivement – voir Fig. 4). Cette augmentation de la photopériode est associée à une augmentation de la durée de la période R3 à R6+ (de l’ordre de 60 à 70 °C j en 2013 et 2014, respectivement – voir Fig. 3). Une augmentation de la photopériode en période reproductrice conduit à « ralentir » le développement chez une plante de jours courts. Le rapport des durées thermiques de la période R3 à R6+ entre semis conventionnel et très précoce permet de quantifier le frein photopériodique (FP) s’exprimant sur le développement, ici la valeur de FP est de l’ordre de 0,9.
3.3 Effet du semis très précoce sur la dynamique de production de biomasse, le rendement et la teneur en protéines des graines
Durant la période végétative de la levée à R1, ainsi que de R1 à R5, l’accumulation de matière sèche aérienne est sensiblement plus faible pour le semis très précoce par rapport au semis conventionnel (Fig. 5). Durant la période R5 à R6+, l’accumulation de matière sèche aérienne est significativement plus élevée en semis très précoce (Fig. 5), en particulier en 2013 sous l’effet d’une augmentation de la durée R5 à R6+. Cette modification de dynamique d’accumulation de biomasse en réponse au semis très précoce est sans conséquence notable sur le rendement et la teneur en protéines des graines en 2013 (Fig. 6). Comparativement au semis conventionnel, le semis très précoce en 2014 montre une augmentation significative de 4 points de la teneur en protéines et une baisse (non significative) du rendement de 1 q/ha.
Fig. 6 Effet du semis très précoce sur le rendement (à gauche) et la teneur en protéines des graines (à droite). Valeurs moyenne + / – 2 × erreur standard. Variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade. |
Fig. 7 Effet du semis très précoce sur le rendement en graines aux normes (14 % humidité, 2 % impuretés) pour deux variétés appartenant à des groupes de maturité différents : groupe maturité I − Isidor (à gauche) et groupe maturité II − Ecudor (à droite) – 5 années (2010−2014) et 5 lieux (commune et N° de département) du Sud-Ouest de la France (B : Béziers 34, Ma : Mauguio 34, Mo : Mondonville 31; R : Rivières 81; E : En Crambade 31). Les lignes horizontales indiquent le rendement moyen (en trait plein pour le semis conventionnel, et pointillé pour le semis très précoce). |
3.4 Effet du semis très précoce sur les performances agronomiques de types variétaux contrastés
Le rendement et la teneur en protéines de deux variétés de soja (Isidor et Ecudor) ont été évalués, en semis très précoce et conventionnel, à l’aide d’un dispositif multi-local (5 lieux du Sud-Ouest de la France) au cours de 5 années culturales (2010−2014). Ces deux variétés de soja ont été retenues pour leurs différences en termes de groupe de maturité (GM I pour Isidor < GM II pour Ecudor, l’écart de développement entre les variétés est de l’ordre de 4 jours à la floraison et à maturité) et de potentiel de développement foliaire (Indice foliaire-IF à R5 pour Isidor < IF Ecudor, par exemple IF à R5 en 2014 est égal à 5 et 5,7 pour Isidor et Ecudor, respectivement). Pour ces deux types variétaux, le semis très précoce permet d’obtenir un rendement supérieur au semis conventionnel dans quelques situations (Fig. 7), en particulier lorsque les conditions de température et d’humidité sont favorables à la levée : cas de 2012, 2013 et 2014 (sauf en 2013 à Mondonville en raison de conditions très humides en semis très précoce). Les valeurs maximales de rendement sont observées pour le semis très précoce, même si en moyenne le rendement est sensiblement plus faible (3,7 t/ha en semis très précoce vs. 3,9 t/ha en semis conventionnel) en raison d’une variabilité plus élevée du rendement. La variété de groupe de maturité II présente des rendements plus élevés que la variété de groupe de maturité I, plus particulièrement en semis très précoce (0,58 t/ha vs. 0,32 t/ha pour le semis conventionnel). Ce résultat laisse supposer qu’une variété de groupe de maturité supérieur au groupe II pourrait s’avérer particulièrement performante en semis très précoce, le stade de maturité R8 ayant alors lieu à une période de l’année encore favorable pour la récolte (la récolte des semis très précoces ayant généralement lieu 8 jours avant celle des semis conventionnels pour une variété de même groupe de maturité I/II).
Fig. 8 Différence d’apport d’eau par irrigation entre semis très précoce et conventionnel pour conduire les cultures dans des conditions non limitantes en eau (proches de l’ETM) pour 5 années culturales (2010−2014) et 5 lieux (commune et N° de département) du Sud-Ouest de la France (B : Béziers 34, Ma : Mauguio 34, Mo : Mondonville 31; R : Rivières 81; E : En Crambade 31). |
L’accélération du développement observé en phase végétative (i.e., floraison à un niveau de développement foliaire plus faible) en réponse à la photopériode en semis très précoce, pourrait s’avérer pénalisant pour le développement des gousses et l’élaboration du nombre de graines (via une limitation de la source carbonée), plus particulièrement dans le cas d’une variété à développement foliaire et efficacité photosynthétique faibles. La variété Ecudor, comparativement à la variété Isidor, présente un potentiel de développement foliaire plus élevé et également une meilleure réponse du rendement au semis très précoce (l’écart de rendement entre les deux variétés étant de 0,58 t/ha en semis très précoce vs. 0,32 t/ha en semis conventionnel). De manière globale sur l’ensemble des essais du dispositif, la teneur moyenne en protéines est comparable ou sensiblement plus élevée en semis très précoce par rapport au semis conventionnel (Ecudor : 41,9 % vs. 41,6 % en semis conventionnel et Isidor : 44,4 % vs. 43,4 % en semis conventionnel). Par ailleurs, la quantité moyenne d’eau apportée par irrigation sur l’ensemble des essais du dispositif pour conduire les cultures dans des conditions proches de l’ETM (Fig. 8) a été sensiblement plus faible en semis très précoce (170 mm) par rapport au semis conventionnel (182 mm). L’économie d’eau d’irrigation en réponse au semis très précoce est fortement marquée (environ 80 mm) dans des situations climatiques à forte demande évaporatrice en période estivale, cas de Béziers en 2010, 2011 et 2012.
4 Discussion
4.1 Quels effets des basses températures et de la photopériode sur le développement du soja en semis très précoce ?
Le semis très précoce conduit à allonger le cycle cultural du soja, en raison d’une augmentation de la durée de la période semis-floraison (R1), ainsi que de la durée de la période post floraison R3 à R6+. Un écart de 45 jours au semis entre semis très précoce et conventionnel, se traduit par un écart d’environ 15 jours à la floraison (R1) et 8 jours à maturité récolte. Les basses températures associées au semis très précoce expliquent l’augmentation de la durée (en jours) de la période semis-floraison (R1) pour les deux années culturales étudiées; le temps thermique semis-floraison étant similaire pour les deux modalités de semis. Ce résultat repose sur le concept du temps thermique en °C j (réponse linéaire du processus de développement à la température) avec l’hypothèse d’une température de base de croissance de 6 °C. Cette valeur de température de base de 6 °C apparait la mieux adaptée pour rendre compte du développement de variétés de soja contrastées pour la tolérance au froid dans différentes conditions thermiques (Schleppi, 1988). En revanche, d’autres travaux montrent que la température de base pourrait être différente selon les processus considérés : par exemple 4 °C pour la germination (Covell et al., 1986) vs. 8 à 12 °C pour le développement des gousses (Lawn et Hume, 1985). Enfin, chez le maïs, Tsimba et al. (2013) proposent une valeur de température de base de croissance différente entre la période végétative et la période de remplissage des grains. À partir de l’analyse de différentes espèces, Parent et al., (2010) montrent que l’ensemble des processus de développement (durée des phases phénologiques, vitesses de germination, de division cellulaire, d’initiation foliaire), contrairement aux processus métaboliques, présentent une réponse unique à la température chez une espèce donnée. Sur la base de lois thermodynamiques, ces auteurs proposent un formalisme non linéaire pour rendre compte des effets de la température sur les différents processus de développement, en prenant en compte deux paramètres : la température pour laquelle la vitesse du processus est maximale (32 °C pour le soja) et la gamme de températures (18 °C à 43 °C dans le cas du soja) pour laquelle la vitesse du processus de développement est au moins égale à la moitié de la vitesse maximale. Ces deux paramètres présentent une variabilité interspécifique significative, mais ne montrent pas de variabilité intraspécifique (Parent et Tardieu, 2012). Un formalisme de réponse non linéaire du développement à la température a été retenu dans le modèle de simulation de développement du soja « SOYDEV »; ce modèle a permis d’améliorer (en référence au modèle de culture CROPGRO) la qualité de prédiction des stades de développement du soja dans des environnements climatiques variés et différentes dates de semis-valeurs de RMSE de l’ordre de 3 à 4 jours (Setiyono et al., 2007).
Concernant les effets photopériodiques sur le développement des plantes (Major, 1980), deux seuils photopériodiques et un paramètre de sensibilité sont généralement considérés : la photopériode maximale (noté Pmax), la photopériode critique (Pcrit) et le niveau de sensibilité à la photopériode. Dans le cas d’une plante de jours courts comme le soja, si la valeur de la photopériode est inférieure à Pmax, la photopériode est dite optimale (ou saturante) et aucun frein photopériodique (FP) ne s’exerce sur le développement (FP est considéré égal à 1); au contraire, si la photopériode est supérieure à Pcrit alors le frein photopériodique sur le développement est maximal (FP est compris entre 0 et 1). Dans le cas où la valeur de la photopériode est comprise entre Pmax et Pcrit, la valeur du frein est fonction du niveau de sensibilité à la photopériode. L’exposition des plantes à des photopériodes plus faibles durant la phase végétative en situation de semis très précoce ne s’est pas traduite par une « accélération » du développement (i.e., réduction du temps thermique de la période levée – floraison en semis très précoce comparativement au semis conventionnel), alors que le soja est une plante de jours « courts ». Deux hypothèses peuvent être proposées pour expliquer ce type de « non réponse » photopériodique : 1) La variété du groupe de maturité I/II étudiée est insensible à ces conditions photopériodiques à cette phase du développement ou (2) la température de base (Tb) retenue (6 °C) n’est pas appropriée (une Tb trop faible conduit à une surestimation du temps thermique levée-floraison pour le semis très précoce vs. semis conventionnel). Le nombre de nœuds de la plante à la floraison (R1) étant similaire pour les deux modalités de semis valide l’hypothèse d’une variété insensible à ces conditions photopériodiques à cette phase du développement (FP = 1), avec une température de base de croissance de 6 °C. Des différences variétales concernant le niveau de sensibilité à la photopériode et les seuils de réponse photopériodiques (Pmax et Pcrit) ont été reportées chez le soja (Major, 1980). Des valeurs de Pmax variant de 13 h 30 à 15 h (et Pcrit comprises entre 15 h et 16 h) ont été reportées pour des variétés appartenant à différents groupes de maturités (V à VIII), avec des valeurs de Pmax et Pcrit plus faibles pour les variétés appartenant aux groupes de maturités les plus tardifs (Board et Hall, 1984). En revanche, lors de la phase reproductrice R3-R6+, l’exposition des plantes en semis très précoce à des photopériodes plus élevées comparativement au semis conventionnel génère un frein photopériodique sur le développement (FP est estimé à 0,9). La variété étudiée présente donc une sensibilité variable à la photopériode selon les phases de développement. Une telle indépendance de la réponse du développement à la photopériode entre la phase post-floraison et la phase végétative a été reportée chez le soja (Kantolic et Slafer, 2001). Ces résultats suggèrent que la sensibilité de la variété à la photopériode est à prendre en compte pour prévoir le développement du soja en semis très précoce en France; ces effets seront d’autant plus prononcés avec une augmentation de latitude (la variation de photopériode du 21 mars au 21 juin est d’environ 3 h pour une latitude de 43 °N et près de 4 h pour 49 °N − gamme de latitudes comprenant les deux principaux bassins de production du soja en France : Sud-Ouest et Nord-Est).
4.2 Quels impacts du semis très précoce sur la dynamique de croissance et les performances agronomiques du soja ?
Le semis très précoce modifie la dynamique d’accumulation de matière sèche, avec une croissance « réduite » en début de cycle (de la levée à la formation des graines) mais mieux maintenue en fin de cycle. La durée thermique de la période levée à R1 est comparable pour les deux modalités de semis; en revanche, l’augmentation de matière sèche aérienne durant cette même période (levée à R1) est sensiblement plus faible pour le semis très précoce par rapport au semis conventionnel. Concernant le processus de développement levée-R1, la vitesse de développement plus faible en semis très précoce (sous l’effet des basses températures) est « compensée » par un allongement de la durée (en jour) de développement. Dans le cas du processus de croissance, la prise en compte du temps thermique ne permet pas de compenser la réduction de la vitesse d’accumulation de matière sèche en semis très précoce (la durée thermique du processus étant similaire pour les deux modalités de semis alors que l’accumulation de matière sèche est plus faible en semis très précoce). La capacité du couvert végétal à convertir le rayonnement incident en matière sèche (ou efficience « photosynthétique » d’utilisation du rayonnement) serait plus faible en semis très précoce − par rapport au semis conventionnel − sur la période levée à R1 (l’accumulation de matière sèche étant réduite en semis très précoce alors que le couvert accumule une quantité de rayonnement incident plus élevée sur la période – données non présentés). Ce résultat suggère une sensibilité plus marquée du processus de croissance (i.e., l’efficience photosynthétique) au semis très précoce comparativement au processus de développement. En revanche, Parent et al., (2010) montrent que les processus de développement (durée des phases phénologiques, division cellulaire, initiation foliaire...) sont plus sensibles à une baisse de la température par rapport aux processus photosynthétiques (assimilation nette de CO2). Par conséquent, la sensibilité accrue de l’efficience photosynthétique aux basses températures en semis très précoce pourrait résulter des effets combinés des basses températures et de rayonnements photosynthétiques sursaturants conduisant à un phénomène de photoinhibition – altération durable du potentiel photosynthétique (Osmond, 1994). Une telle réduction d’efficience photosynthétique liée à un phénomène de photoinhibition induit par les basses températures a été reportée pour différentes cultures, comme le maïs et le colza (Baker et al., 1994). Concernant le soja, si le coût énergétique de la fixation symbiotique peut être pris en charge par une stimulation de l’activité photochimique de la photosynthèse en conditions optimales de croissance (Maury et al., 1993), l’activité fixatrice d’azote augmente la sensibilité de la plante à la photoinhibition lors d’un déficit thermique, i.e. limitation chloroplastique à l’assimilation du CO2 (Guy et al., 1997). Une limitation stomatique de la photosynthèse est aussi reportée chez le soja sous l’effet des basses températures nocturnes (8 °C) conduisant à une baisse d’assimilation de CO2 (de l’ordre de 50 %) durant la phase diurne (Heerden Van et al., 2004).
L’accumulation de matière sèche aérienne de R5 à R6+ est plus élevée pour le semis très précoce comparativement au semis conventionnel. Un potentiel d’accumulation de matière sèche plus élevé après R5, favorable au remplissage des graines, pourrait conduire à augmenter le rendement en semis très précoce; ce qui n’est pas observé. Le rendement moyen de l’ensemble des essais de 2010 à 2014 est sensiblement plus faible en semis très précoce (3,7 t/ha vs. 3,9 t/ha). Le rendement en semis très précoce pourrait être limité par la taille du puits (nombre de graines et/ou poids maximal des graines). La période R1 à R5.5 constitue une période critique pour l’élaboration du rendement (Pedersen, 2004), via la détermination du nombre de gousses et de graines. En raison de défauts de reproduction systématiquement élevés chez le soja (i.e., avortement des gousses), le taux de croissance du couvert végétal (fonctionnement de la source) à cette période R1-R5 est un facteur déterminant pour l’élaboration du nombre de graines comparativement aux nombres de fleurs et de nœuds (Egli 2013). Par conséquent, la plus faible accumulation de matière sèche aérienne observée en semis très précoce durant la période R1 à R5 pourrait conduire à limiter le nombre de graines et le potentiel de rendement. Une stratégie culturale pourrait consister à augmenter la densité de peuplement en semis très précoce afin d’améliorer le potentiel de la source de R1 à R5 via une fermeture plus rapide du couvert. Cette stratégie permettrait aussi de « compenser » la faible efficience photosynthétique associée au semis très précoce en phase végétative. Un allongement de la durée de la phase R3 à R6, via une sensibilité plus prononcée de la variété à la photopériode en post-floraison, constitue un levier complémentaire à un taux de croissance élevé pour améliorer le fonctionnement de la source et ainsi augmenter le nombre de graines (Kantolic et Slafer, 2001). Même si l’activité photosynthétique du couvert de R3 à R6 apparaît corrélée au nombre de graines et au rendement, d’autres facteurs comme l’allocation du carbone dans la plante (i.e., modification de l’indice de récolte) peuvent contribuer à expliquer des variations du rendement en réponse à une modification de date de semis (De Bruin et al., 2010). Cette analyse du développement et de la croissance repose sur deux années climatiques (2013 et 2014) et devra être confrontée à l’étude d’une plus large gamme de scénarios climatiques.
La teneur moyenne en protéines est comparable (en 2013) ou sensiblement plus élevée (en 2014) en semis très précoce par rapport au semis conventionnel. Les effets de modifications de date de semis sur les teneurs en huile et en protéines des graines restent encore aujourd’hui très controversés dans la littérature, en raison d’interactions complexes années × cultivar × date de semis (Bastidas et al., 2008; Hu et Wiatrak, 2012). Les conditions thermiques, ainsi que les conditions hydriques de fin de cycle conduisent à une modification des dynamiques d’accumulation de l’huile et des protéines (Rotundo et Westgate, 2010); l’accumulation de l’huile étant fortement dépendante de l’assimilation carbonée en fin de cycle, alors que les processus de remobilisation favorisent l’accumulation des protéines. Un ratio source (surface foliaire)/puits (nombre de grains) élevé à R5.5, indicateur du potentiel de remobilisation du carbone et de l’azote, conduit à une augmentation de la teneur en protéines (Rotundo et al., 2009). Les teneurs en huile et en protéines des graines sont aussi très dépendantes de la position de la graine sur la plante, les graines les plus basses présentent généralement une teneur en protéines plus élevée; Escalante et Wilcox (1993) observent au contraire une augmentation de la teneur en protéines des graines lorsque celles-ci sont positionnées sur des nœuds plus élevés. Une modification de distribution des gousses au sein de la plante en réponse au semis précoce pourrait ainsi affecter la teneur en protéines des graines à la récolte.
4.3 Quels idéotypes pour améliorer les performances du soja en semis très précoce ?
En conditions hydriques non limitantes, le rendement du soja en semis très précoce pour des variétés de groupes de maturités I et II est sensiblement plus faible comparativement au semis conventionnel (3,7 t/ha vs. 3,9 t/ha), l’écart de rendement étant moins marqué pour la variété la plus tardive (GM II). La maturité R8 pour le semis très précoce est atteinte environ 8 jours avant le semis conventionnel (en référence au temps calendaire), ce résultat suggère que des types variétaux plus tardifs pourraient mieux valoriser la période de culture offerte par un semis très précoce. Les variétés de soja se distinguent également par les types de croissance (déterminée, semi-déterminée et indéterminée). Le type déterminé se caractérise par une séparation temporelle entre les phases végétatives et reproductrices; alors que les développements végétatifs et reproducteurs coexistent pendant une partie du cycle cultural (généralement de R1 jusqu’au stade R3.5 correspondant à la mi-élongation des gousses à R5) dans le cas du type indéterminé (Setiyono et al., 2007; Sinclair, 1984). À ces deux types de croissance s’ajoute un type semi-déterminé dont les caractéristiques de croissance sont intermédiaires entre les deux types précédents, et dont relèvent les 3 variétés retenues dans cette étude. Dans les années 1980, l’amélioration génétique du soja en France a conduit à sélectionner ce type de croissance, en particulier pour améliorer la tolérance à la verse des variétés tardives de GM I et II (Roumet et al., 2010). Dans le cas de variétés de groupes de maturités II et III, les types déterminés − comparativement aux types indéterminés − présentent un rendement plus élevé dans des environnements à fort potentiel de rendement, en revanche les rendements sont similaires lors de contraintes imposées dès la fin de la phase végétative (Heatherly et Elmore, 2004). Ces résultats suggèrent que des types variétaux plus tardifs que ceux retenus dans nos essais (GM > II) et à croissance de type déterminé pourraient améliorer le potentiel de rendement du soja en semis très précoce pour des conduites irriguées dans le Sud-Ouest de la France. De telles variétés appartenant à des GM plus élevés (i.e. > II) se caractérisent généralement par une plus forte sensibilité à la photopériode (Board et Hall, 1984, Setiyono et al., 2007), une telle sensibilité à la photopériode (plus particulièrement en phase post-floraison) constitue un caractère favorable pour le semis très précoce irrigué pour les conditions de culture du soja dans le Sud-Ouest de la France. En revanche, les types indéterminés présentent une plus forte capacité d’acclimatation à des stress courts, et pourraient ainsi s’avérer plus performants dans des situations environnementales plus fluctuantes, e.g. un semis très précoce conduit en l’absence d’irrigation ou en irrigation restrictive.
Concernant les processus de croissance, les résultats présentés dans cette étude suggèrent une perte d’efficacité de conversion du rayonnement intercepté en biomasse pour le semis très précoce sous l’effet des basses températures. Différents indicateurs physiologiques ont été proposés pour le screening de génotypes pour la tolérance aux basses températures (Allinne et al., 2010), dont un indice photochimique déterminé par la mesure de la fluorescence des chlorophylles a (Strauss et al., 2006). Une tolérance photosynthétique aux basses températures est un caractère essentiel pour assurer une croissance foliaire rapide et atteindre rapidement la fermeture du couvert (Allen et Ort, 2001). Un type variétal à fort potentiel de développement foliaire et efficacité photosynthétique pourrait s’avérer plus adapté au semis très précoce en assurant un potentiel de fonctionnement de la source suffisant pour l’élaboration du nombre de graines.
5 Conclusion
Le développement du soja en semis très précoce irrigué est affecté par les basses températures en début de cycle cultural, et également par les conditions photopériodiques. La sensibilité de la variété à la photopériode en phase végétative et en phase post-floraison est à prendre en compte pour prévoir le développement de la culture dans une large gamme de dates de semis. Comparativement au développement, les processus de croissance (i.e., l’efficience photosynthétique) présentent une sensibilité plus marquée aux basses températures associées au semis très précoce, pouvant ainsi pénaliser les performances agronomiques. Cette analyse du développement et de la croissance repose sur deux années climatiques (2013 et 2014) et devra être confrontée à l’étude d’une plus large gamme de scénarios climatiques. Concernant les performances agronomiques de variétés de groupes de maturité I à II, les valeurs maximales de rendement sont observées pour le semis très précoce, même si en moyenne le rendement est sensiblement plus faible pour cette modalité de semis. La teneur en protéines des graines est similaire ou légèrement plus élevée en semis très précoce; les apports d’eau d’irrigation sont légèrement plus faibles et la maturité récolte est atteinte plus tôt (en jour calendaire). Cette étude constitue une première référence agronomique d’évaluation du semis très précoce du soja pour des conditions culturales irriguées du Sud-Ouest de la France et suggère des traits variétaux d’idéotypes adaptés à un avancement significatif de la date de semis dans une perspective d’amélioration du rendement potentiel du soja. Dans cette perspective, des types variétaux plus tardifs que ceux retenus dans nos essais (groupe de maturité supérieur à II), à croissance de type déterminé, sensibles à la photopériode en phase post floraison, à fort potentiel de développement foliaire et à efficacité photosynthétique élevée à basses températures présenteraient un ensemble de traits favorables pour le semis très précoce dans des systèmes irrigués. La conduite culturale, via une augmentation de la densité de peuplement en semis très précoce pourrait également constituer un levier complémentaire pour améliorer le potentiel photosynthétique du couvert et les performances agronomiques.
L’intérêt du semis très précoce de soja comme une stratégie d’esquive de la sécheresse, grâce à un déplacement des besoins hydriques de la plante au cours du cycle cultural, est à évaluer dans des systèmes plus contraints par l’eau (conduite en sec par exemple). Les données acquises dans le cadre de ces essais multi-locaux « semis très précoces » intégrant des conduites en sec, permettront de paramétrer et d’évaluer le modèle dynamique de culture STICS (Brisson et al., 2003) pour une large gamme de semis de soja afin d’explorer par simulation numérique différentes combinaisons génotypes × environnements pédoclimatiques × conduites culturales (semis très précoce et sec/irrigué). Ainsi, l’expérimentation et la modélisation agronomique permettront d’identifier des idéotypes et des conduites adaptées au semis très précoce, en particulier dans un contexte de changement climatique.
Remerciements
Les travaux présentés relèvent du projet de recherche « Sojamip » (http://www6.inra.fr/sojamip) associant différents partenaires (Euralis Semences, RAGT2n, CETIOM, ONIDOL, INPT, ENSAT, INRA) et bénéficiant d’un soutien financier de la région Midi-Pyrénées. Nous remercions Allemann Camille, El Magraoui Sarah, Calvet Fabien et Labarrère Michel pour l’aide technique apportée à la réalisation des essais agronomiques.
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Cite this article as: Pierre Maury, Fety Nambinina Andrianasolo, Francis Alric, Monique Berger, Gilles Beugniet, Charlotte Chambert, Luc Champolivier, Anthony Doumenc, André Estragnat, Amandine Gras, Patrice Jeanson, Pierre Jouffret, Françoise Labalette, Romain Thomas, Eric Justes, Philippe Debaeke. Le semis très précoce : une stratégie agronomique pour améliorer les performances du soja en France ?. OCL 2015, 22(5) D503.
Liste des figures
Fig. 2 Effet de la date de semis (conventionnel et très précoce) sur le développement des plantes (exprimé en nombre de jours depuis le semis) pour deux années culturales (gauche : 2013, droite : 2014). Stades de développement pour la variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade : « sem » correspond à semis, « lev » à levée, R1 à début floraison, R3 à début formation des gousses, R5 à début remplissage des graines, R6+ à remplissage avec graine de 11 mm de long, R7 à début maturité des gousses, et R8 à maturité. La signification des stades de développement est précisée dans le matériel et méthodes. |
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Fig. 3 Effet de la date de semis (conventionnel et très précoce) sur le développement (exprimé en temps thermique depuis le semis, température de base 6 °C) pour deux années culturales (gauche : 2013, droite : 2014). Stades de développement pour la variété « Santana » de groupe maturité I/II, site En Crambade. La signification des stades de développement est précisée dans le matériel et méthodes. |
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Fig. 1 Positionnement du cycle cultural (semis-R8), pour le semis très précoce et conventionnel, relativement aux conditions climatiques (précipitations mensuelles et températures moyennes journalières) pour deux années culturales (gauche : 2013, droite : 2014). Site En Crambade, variété de groupe de maturité I/II Santana. |
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Fig. 4 Effet de la date de semis (conventionnel et très précoce) sur les valeurs de la photopériode du semis à la récolte pour deux années culturales (gauche : A-2013, droite : B-2014). Les stades de développement levée et R1 sont indiqués à l’aide de traits verticaux en pointillé (bleu pour semis conventionnel, noir pour semis très précoce) et la période R3 à R6+ est indiquée par une zone colorée (bleu pour semis conventionnel, noir pour semis très précoce). Stades de développement pour la variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade. |
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Fig. 5 Effet du semis très précoce sur l’augmentation de matière sèche aérienne du couvert durant les périodes levée à R1, R1 à R5 et R5 à R6+ (gauche : 2013, droite : 2014). Variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade. |
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Fig. 6 Effet du semis très précoce sur le rendement (à gauche) et la teneur en protéines des graines (à droite). Valeurs moyenne + / – 2 × erreur standard. Variété « Santana » de groupe maturité I/II et site En Crambade. |
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Fig. 7 Effet du semis très précoce sur le rendement en graines aux normes (14 % humidité, 2 % impuretés) pour deux variétés appartenant à des groupes de maturité différents : groupe maturité I − Isidor (à gauche) et groupe maturité II − Ecudor (à droite) – 5 années (2010−2014) et 5 lieux (commune et N° de département) du Sud-Ouest de la France (B : Béziers 34, Ma : Mauguio 34, Mo : Mondonville 31; R : Rivières 81; E : En Crambade 31). Les lignes horizontales indiquent le rendement moyen (en trait plein pour le semis conventionnel, et pointillé pour le semis très précoce). |
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Fig. 8 Différence d’apport d’eau par irrigation entre semis très précoce et conventionnel pour conduire les cultures dans des conditions non limitantes en eau (proches de l’ETM) pour 5 années culturales (2010−2014) et 5 lieux (commune et N° de département) du Sud-Ouest de la France (B : Béziers 34, Ma : Mauguio 34, Mo : Mondonville 31; R : Rivières 81; E : En Crambade 31). |
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