Open Access
Foreword
Numéro
OCL
Volume 21, Numéro 2, March-April 2014
Numéro d'article D201
Nombre de pages 3
Section Dossier: Oil crops and supply chain in Africa / La filière oléagineuse en Afrique
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2014006
Publié en ligne 5 mars 2014

Ce dossier sur les « oléagineux d’Afrique » comprend huit articles. Chacun se focalise sur une ressource photosynthétique produisant des fruits et/ou des graines oléoprotéagineux. Ces organes des plantes produisent des protéines, des huiles et graisses naturelles qui doivent couvrir les besoins en nutrition humaine et animale, en énergie et dans l’industrie oléochimique du continent. Ces articles ont également été soigneusement choisis pour représenter la répartition géographique de ces agroressources entre l’Afrique du Nord, l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique Centrale et l’Afrique du Sud. L’ensemble offre au lecteur une lisibilité des marchés locaux ou régionaux et ce d’autant plus que notre commande a été focalisée sur (i) les zones de production et volumes produits; (ii) l’organisation de la production et de la commercialisation; (iii) les freins et leviers. Pour répondre à ce questionnement, la classification futile trouvée est la répartition des agroressources en cultures de rente par la présentation de modèles de culture oléicole (olive) et de culture oléoprotéagineuse (arachide), en culture de haute valeur ajoutée (karité), en culture nouvelle (soja), en cultures non conventionnelles. Un aparté est fait sur la culture émergente énergétique de Jatropha.

À l’examen des supports constituant ce dossier, le lecteur constate que le continent africain est importateur d’oléagineux. La part des pays d’Afrique s’étiole sans cesse dans les échanges mondiaux.

Le cas de la filière olive en Tunisie est unique. Elle résiste à l’érosion grâce à la vitalité de l’oléiculture raisonnée. Celle-ci s’appuie sur la diversité des variétés répandues sur tout le territoire. La question de l’aménagement du territoire est également soulevée. À cela, il faut associer un outil technologique modernisé de production d’huile d’olive de qualité destinée à la consommation locale et à l’exportation. La préférence de l’UE pour cette production d’huile garantit l’entrée en devises. Aussi, l’intérêt des institutions techniques et de la recherche institutionnelle milite en faveur du soutien de l’amélioration de l’activité de l’huile d’olive dotée de composés naturels associés à un bénéfice santé pour les consommateurs.

En revanche, la situation de la filière olive au Maroc est dépendante exclusivement de deux variétés locales. Ceci explique entre autres raisons le déficit en produits de l’olive du Maroc. Conscient de ce déficit généralisé en huiles végétales, compensé particulièrement par les importations en huile de soja des États-Unis – soutenus par les accords de libre-échange entre les deux pays –, le Maroc met aujourd’hui les bouchées doubles par le biais du plan Maroc Vert. Selon les perspectives de développement des oléagineux au Maroc, Lesieur Cristal contribuerait aux côtés du Maroc à la diversification des cultures oléagineuses par la réintroduction du tournesol et du colza en association avec l’olive.

La situation en Afrique subsaharienne est des plus préoccupantes. Le cas de la filière arachidière illustre la place marginale qu’occupent les deux producteurs significatifs des pays ACP oléagineux. Selon AGRITRADE en 2012, le Nigéria (2 636 230 tonnes en 2011/2012) et le Sénégal (1 286 860 tonnes en 2011/2012) ne produisent que 10 % de la production mondiale (37 643 609 tonnes en 2011/2012) alors que le Sénégal était le leader dans les années 1950 et 1960 sur le marché des produits arachidiers. Les aléas climatiques et notamment une sécheresse récurrente au nord des pays sahariens, la mauvaise gouvernance dans la production et la commercialisation des arachides, l’effondrement des prix et la chute de production se sont traduits par la trop grande irrégularité des volumes mis sur le marché. Concurrencé sur le continent par les pays voisins producteurs – Soudan, Gambie – et à l’extérieur par les nouveaux producteurs – Chine, Inde, Argentine, USA –, la part des produits arachidiers du Sénégal a fortement reculé sur les marchés traditionnels dans l’UE et en France. Néanmoins, l’avenir des produits arachidiers du Sénégal repose sur la maîtrise des facteurs techniques (variétés productives résistantes à la sècheresse) et sur d’autres débouchés potentiels. On évoque deux voies possibles de diversification : la diversification géographique et la diversification de la production. La première orienterait la production vers la satisfaction des besoins grandissants du marché africain. La deuxième serait orientée vers la production d’arachide de bouche ou de confiserie avec des possibilités de marché à l’exportation dans l’UE et dans d’autres régions du monde.

Une embellie viendrait de l’arbre à beurre : le karité. Cette plante pousse spontanément et uniquement dans les zones semi-arides des savanes arborées de la Gambie à l’Ouganda. C’est une des composantes majeures de l’agroforesterie « naturelle » dans la zone sèche de l’Afrique subsaharienne. Elle est la source intrinsèque de matière grasse solide des populations rurales notamment des femmes qui se livrent à l’activité de la collecte de fruits tombés à terre à maturité. Elles en font leur pendant d’or qui assure leurs revenus ainsi que leur indépendance économique. Grâce à sa composition chimique, notamment à sa richesse en stéarine, le beurre de karité est prisé en alimentaire comme substitut naturel du beurre de cacao pour la production de chocolat. Par sa fraction insaponifiable originale (3–12 %), composée de constituants mineurs et bioactifs (alcools triterpéniques, phénols, stérols et karitène), de nouveaux marchés de haute valeur ajoutée s’ouvrent en cosmétique et dans les marchés de bioactifs en pleins essor...Rarement répertorié dans les statistiques des banques de données mondiales, l’arbre à beurre et les produits du beurre de karité se prêtent à la démarche de développement durable qui va de l’arbre aux usages en sauvegardant son impact sociétal, notamment le bénéfice apporté à l’économie des femmes et à l’aménagement des vastes territoires subsahariens de savane qui abritent la plante pérenne.

L’exemple de l’introduction de la culture de soja en Afrique du Sud montre le dynamisme des biotechnologies vertes dans ce pays. Cette stratégie aboutit à la production d’un oléoprotéagineux recherché pour ses protéines nutritives afin de répondre à la demande de soja et de farine en forte croissance ces dernières années en Afrique du Sud. Comme pour toute nouvelle culture, la banalisation auprès des consommateurs des produits de soja n’est pas encore acquise. Il reste à résoudre la question d’acceptabilité du soja et de ses produits dans les habitudes alimentaires des populations locales de zones de production.

Enfin, quel est le devenir du Jatropha dont la culture semblait prometteuse dans les zones désertiques : (i) haute productivité en huile en raison d’un rendement très élevé de 2270 litres d’huile de haute qualité biodiesel par hectare; (ii) rempart du désert; (iii) séquestrant du CO2; (iv) pourvoyeur de nouveaux emplois. Claudine Campa de l’IRD donne sa vision de la stratégie de développement du Jatropha en Afrique subsaharienne. « Plus particulièrement entre 2008 et 2009, l’Afrique de l’Ouest a assisté au montage de projets très ambitieux sur la culture du Jatropha curcas, plante originaire d’Amérique, non encore domestiquée mais présentant un fort potentiel de production de biodiesel. Très souvent basés sur la culture à grande échelle, ces projets n’ont pas donné les résultats escomptés, surtout lorsqu’il s’agissait d’obtenir des bénéfices immédiats. La plupart des travaux scientifiques qui ont suivi ont montré qu’une des causes principales des mauvaises performances obtenues (faible croissance, faible productivité, mauvaise résistance aux agresseurs...) était d’avoir mis en culture des plants sans sélection préalable en ce qui concernait leur possible adaptation aux conditions climatiques locales. En mettant la charrue avant les bœufs, les promoteurs de la culture intensive du Jatropha n’ont abouti qu’à fournir à ses détracteurs de nouveaux arguments contre son implantation en Afrique et à perdre la confiance des agriculteurs.

Il faut cependant noter que quelques projets continuent à être menés et à fournir des résultats prometteurs. Ils sont en général le fruit de programmes co-construits, montés en partenariat entre entreprises et populations locales, en collaboration avec les agriculteurs exploitants. Par l’installation de cette concertation, les projets répondent mieux aux intérêts des différentes parties ainsi qu’aux évolutions du marché. Avec l’appui de l’IRAM (bureau d’étude français spécialisé dans le développement rural) et du GERES (ONG axée sur l’accès à l’énergie), les différents intervenants de ces projets menés essentiellement au Mali, au Bénin, au Burkina Faso et au Sénégal se sont regroupés au sein d’un réseau : JatroREF. Un site (www.jatroref.org), à l’attention des participants mais également des décideurs, présente les avancées dans les différents domaines de recherche et de valorisation de Jatropha.

Un des principaux participants est l’Agence Nationale de Développement des Biocarburants (ANADEB), agence malienne créée conjointement, en 2009, par les ministères chargés de l’Énergie, de l’Agriculture, de l’Environnement, de l’Économie, du Commerce et des Finances. Cette agence a contribué à la définition d’une norme (MN-09-01/002 :2011) définissant les caractéristiques de l’huile végétale pure (HVP) de Jatropha pour un usage dans les moteurs diesel stationnaires et mobiles, ainsi que les méthodes pour les mesurer. Adaptée à la fois aux capacités de productions des huileries maliennes et aux besoins des moteurs, cette norme constitue une référence commune pour les acteurs de la filière. Depuis 2013, l’ANADEB développe le projet « Promotion de la production et l’utilisation de l’huile de Jatropha comme biocarburant durable au Mali ». Financé par le gouvernement, le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNud) et le Fonds pour L’Environnement Mondial (FEM), son montant estimatif s’élève à 6 712 000 dollars.

Témoin de la diversité des actions menées autour du Jatropha, le site propose également des modèles de culture innovants ou des utilisations possibles de la plante autres que celles de la production de biocarburants.

Il semble donc que la culture du Jatropha ait toujours un avenir en Afrique de l’Ouest. Cette culture et son exploitation sont envisagées de façon raisonnée et sans avoir forcément comme but ultime la production de biodiesel. »

En effet, il faut savoir que plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre sont convoités par les investissements étrangers en tant que bases pour la production d’huile de palme à des fins énergétiques (biodiesel), pour les besoins des pays commanditaires. L’Afrique est sollicitée en tant que fournisseur de superficies aux sociétés étrangères : Sime Darby ou Wilman International en Sierra Leone (45 000 ha), Libéria (450 000 ha), Olan au Gabon (300 000 ha). D’autres projets vont voir le jour au Cameroun, au Congo, en Zambie, en République Démocratique du Congo. L’Afrique risque une fois encore d’être piégée dans une mono spécialisation qui rappelle les vestiges du passé récent et les échecs d’aujourd’hui.

Et si l’on examinait sereinement le potentiel du Golfe de Guinée en ressources locales oléoprotéagineuses non conventionnelles en dehors des péripéties des tendances haussières ou baissières des statistiques des cultures de rentes? On se rend compte qu’un gisement non exploité d’un grand nombre de « petites espèces » représente une source de richesse en matières grasses et huiles naturelles à travers la diversité des acides gras spécifiques et techniques les contenant et la biodiversité de ces petites espèces disponibles d’Afrique Centrale jusqu’en Afrique de l’Ouest.

La diversité et la biodiversité sont ainsi des apports précieux en création variétale pour passer de petites espèces dont le potentiel de développement est mal défini aux grandes cultures. Le travail du sélectionneur peut commencer pour un rêve d’une nouvelle évolution verte en Afrique subsaharienne...


© Z. Mouloungui, published by EDP Sciences, 2014

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