Numéro |
OCL
Volume 18, Numéro 6, Novembre-Décembre 2011
Structures des lipides dans les aliments et impacts nutritionnels
|
|
---|---|---|
Page(s) | 352 - 358 | |
Section | Dossier | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ocl.2011.0419 | |
Publié en ligne | 15 novembre 2011 |
Quel niveau de preuve faut-il exiger en nutrition pour établir des recommandations ?1
Hôpital Pitié-Salpêtrière, Service endocrinologie et prévention des maladies cardiovasculaires, Pavillon Husson Mourier, 15 avenue de la nouvelle Pitié, Paris
Abstract
Like what is done for medical practice, any recommendations on nutrition must be built on a body of evidence to establish the credibility. But what level of evidence does it require? The levels of evidence in nutrition should be improved. Indeed, the fantastic wealth of information undermines the profession, and may be harmful to patients. However, it is not possible to have a level of evidence in the field of nutrition equivalent to that required for the drug. This conference examines the contribution in terms of level of évidence of various epidemiological studies: observational studies, intervention studies, meta-analysis. Finally, the inclusion of all this elements – metaanalysis of observational studies and intervention studies, pathophysiology, is still the best way to bring credibility to the recommendations in nutrition.
Key words: level of evidence / cardiovascular prevention
© John Libbey Eurotext 2011
Niveau de preuve et classe de recommandation
En tant que responsable d’un service impliqué dans la préventions des maladies cardiovasculaires depuis des années, je m’interroge sur le niveau de preuve qu’il faut exiger en nutrition avant d’implémenter des conseils aux patients (encadré 1).
En cardiologie comme dans le domaine de la prévention des maladies cardiovasculaires, la notion de niveau de preuve a pris une grande importance. Ce qui signifie que plus un seul médicament n’arrive sur le marché sur le marché sans être associé à un niveau de preuve en termes de diminution des événements cliniques.
Encadré 1. Conflits d’intérêts
Le Pr. Bruckert déclare :
-
Être inventeur principal dans le cadre du brevet apnée du sommeil et fibrate (Solvay)
-
Être expert à l’HAS et AFSSAPS.
-
Être investigateur principal de recherche menée par Genfit (GFT), Danone, Fondation Cœur et Artères, Genzyme
-
Avoir reçu un financement pour des projets de recherche Université du Canada, MSD-SP, GENFIT, Novartis, Unilever, GSK
-
Avoir animé des réunions de formation médicale, et/ou avoir eu une activité de consultant, et/ou d’intervenant pour les laboratoires MSD-SP, Pfizer, Astra Zeneca, Novonordisk, Danone, Lu-Kraft, Unilever, AMT, Genzyme
Une approche nouvelle qui représente un changement fondamental par rapport à ce qui se faisait-il y a encore 15 ou 20 ans. On ne se contente plus d’un impact favorable sur les taux de HDL-cholestérol (une augmentation) ou de VDL-cholestérol (une diminution). Même doublant le taux de bon cholestérol, un médicament, aujourd’hui n’arrivera sur le marché qu’une fois la preuve établie de la diminution des infarctus du myocarde ou de la mortalité cardiovasculaire qui lui sont associées.
Un changement tout autant fondamental est également survenu en ce qui concerne les recommandations de pratiques médicales. Aucune recommandation aujourd’hui, n’est proposée sans être graduée selon son niveau de classe, compris entre 1 correspondant à une recommandation très forte qu’il faut absolument faire, et 3 pour une recommandation à l’inverse qu’il ne faut pas faire (figure 1).
Figure 1. Le niveau de preuve est utilisé systématiquement dans les recommandations de pratique médicale |
Le niveau de preuve est également rapporté à 3 niveaux : un niveau A le plus élevé, un niveau B intermédiaire et un niveau C le plus faible, lequel exigeant des recommandations à consensus d’experts. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut pas faire des recommandations. Un niveau de preuve C peut très bien être associé à une recommandation de classe 1.
Par exemple, nous pensons que même sans un niveau de preuve élevé on ne peut pas ne pas faire un électrocardiogramme à un patient qui se plaindrait d’une douleur dans la poitrine.
En médecine toutes les thérapeutiques ou actions diagnostiques ne reposent pas obligatoirement sur un niveau de preuve élevé. Ceci est particulièrement vrai dans le domaine de la pédiatrie ou les études sont difficiles à conduire.
Ces situations mises à part et pour en venir au thème de cette conférence, il est devenu effectivement fondamental d’essayer d’améliorer le niveau de preuve en nutrition. La multiplication des affirmations fantaisistes qui inondent les médias et souvent véhiculées par des « nutritionnistes », décrédibilisent l’ensemble de la profession, sont potentiellement dangereuses et constituent au fond une manipulation de la population.
Les patients viennent vers nous en consultation, porteurs de messages faux qui constituent une bonne partie du problème.
Sur un autre plan, il faut reconnaître qu’on ne peut pas disposer en nutrition du même niveau de preuve que dans le domaine du médicament. Des études d’intervention rigoureuses ne peuvent pas être réalisées faute de placebo pour certains aliments ou de la possibilité de remplacer un aliment-nutriment par un autre. Les méthodologies deviennent ainsi très complexes et par ailleurs l’alimentation est un tout car fréquemment c’est un comportement dans son ensemble qui pose problème. Enfin et contrairement à la prise de médicament, l’alimentation n’a pas pour unique vocation de nous maintenir en bonne santé.
L’étude de cas-témoins Interheart montre bien la difficulté d’établir le caractère bénéfique ou nocif d’un seul aliment.
Cette étude associant 52 pays et près de 30 000 participants avait pour but de comparer certains paramètres chez des patients ayant fait un infarctus du myocarde avec ceux d’un groupe témoin. En particulier elle permit de mettre en évidence une agrégation des comportements alimentaires. Trois types furent ainsi identifiés. Un comportement qualifié d’« oriental » regroupant tofu, soja ; un comportement « occidental » à base d’aliments frits, de snack, d’œufs, de viande, et un comportement « prudent » consommant beaucoup de fruits et légumes.
Si l’exposition au risque de MCV de ces groupes apparaît comme bien différenciée, l’étude montre aussi qu’il l’impossibilité de désigner un aliment en particulier comme responsable ou facteur de risque de MCV (figure 2).
Figure 2. Études des habitudes alimentaires dans INTERHEART. D’après Iqbal R, et al. Circulation 2008; 118 : 1929. |
Nous consommons des associations d’aliments et c’est bien là la difficulté du problème
Néanmoins les médias n’hésitent pas à véhiculer un grand nombre d’affirmations posant problème du point de vue de leurs niveaux de preuves.
Ainsi :
-
le chocolat protège des MCV;
-
les pépins de framboises protègent des cancers ;
-
les acides gras du beurre sont bons pour la santé;
-
les AGPI donnent le cancer;
-
le beurre évite d’avoir la peau sèche.
Des limites des études d’observation : l’exemple des vitamines E et B
S’il est clair que l’affirmation d’un bénéfice santé, devrait toujours être associé à niveau de preuve satisfaisant, quelques exemples montreront la nécessité en particulier pour les professionnels de santé de garder un œil extrêmement critique sur les études d’observation.
Sont regroupées sous cette notion des études dont l’objectif est « d’identifier les facteurs associés à des événements de santé et ne reposant pas sur une démarche expérimentale »1. Les événements de santé peuvent être la survenue d’une maladie, ou la protection vis-à-vis de cette même maladie. Les facteurs d’exposition peuvent être un risque (le tabac, tel ou tel comportement alimentaire) ou un bénéfice (par exemple un traitement). Leur but est toujours d’étayer avec la meilleure démarche possible les hypothèses testées à partir de ces observations.
L’histoire de la vitamine E est de ce point de vue particulièrement édifiante.
De nombreuses études montraient en effet que les gens qui prenaient de la vitamine E, se révélaient nettement moins sujet à des maladies cardiovasculaires.
Une explication physiopathologique solide permettait de rendre compte de son rôle protecteur dans l’athérosclérose (figure 3). Enfin la vitamine E se révélait bénéfique sans présenter d’effet secondaire. Tout était ainsi réuni pour que la vitamine E soit remboursée par la sécurité sociale.
Figure 3. Le processus d’oxydation : le mauvais cholestérol oxydé provoque le début de l’arthérosclérose |
Voici par exemple une étude publiée en 1993 dans le New England Journal of médecine (figure 3) portant sur 39 910 Américains de 40 à 75 ans sans MCV.
Une évaluation de bonne qualité de la consommation de vitamine E avait été effectuée ainsi qu’un ajustement sur l’âge et les facteurs de risque CV pour ne pas attribuer à tort un lien entre la consommation de vitamine et la réduction des MCV. Et conclusion : les sujets consommant la vitamine E présentaient en analyse multivariée, tenant compte de tous les autres paramètres, un risque relatif de faire une MCV de 0,64 soit une diminution très significative du risque de 36 %
Une autre étude toujours en 1993 publiée par le New England Journal of Medicine et portant sur 87 245 infirmières de 34 à 59 ans sans maladie cardiovasculaire ni cancer (figure 4) présentait des résultats extraordinairement similaires : les femmes du top quintile de consommation en vitamine E présentaient un risque relatif de faire une MCV de 0.66 soit une réduction très significative de 34 % après ajustement pour l’âge et le tabac.
Figure 4. Études épidémiologiques d’observation et lien entre vit. E et MCV. D’après Stampfer MJ et al., N Engl J Med 1993 |
Les études d’intervention sur des populations randomisées au hasard2 avec effet placebo versus vitamine E furent ainsi mises en œuvre dont les résultats purent être étudiés en méta-analyse.
Cette méthode consiste à rassembler (méta) les données issues d’études comparables et à les réanalyser au moyen d’outils statistiques adéquats ce qui permet avec un nombre important de patients et d’événements d’arriver à des conclusions plus solides que ne le permettaient les études individuelles. »3.
Réalisées par la Cochrane, un institut présentant une solide réputation d’indépendance ces analyses ont porté sur des effectifs considérables (232 550 participants dont 164 439 en prévention primaire (pas de maladie au départ)) randomisé dans des essais vitamine E ou anti-oxydant vs placebo.
Globalement l’étude du risque relatif de faire une MCV ainsi évalué, révèle que la vitamine E est strictement d’aucun effet préventif sur le risque de MCV (figure 5), et loin d’atténuer l’effet des facteurs mis en cause (tabac, diabète, LDL-c et HTA) elle apparaît comme associée en méta-analyse, à une augmentation significative de la mortalité.
Figure 5. Comparaison des études de bonne et mauvaise qualité par la meta-analyse de la Cochrane. D’après Bjelakovic G et al. Cochrane database of systematic review 2008. |
Des explications a posteriori ont été avancées pour justifier ces résultats, mettant en cause la dose, le caractère non naturel de la vitamine E utilisée dans les études, la qualité de la population, etc. Et les études se poursuivant on s’aperçoit aujourd’hui que chez l’animal la vitamine E aurait plutôt un effet pro-oxydant. Quoi qu’il en soit, une erreur fondamentale et historique a bel et bien été commise.
Une erreur semblable a été faite dans un champ de la prévention cardiovasculaire concernant l’homocystéine une substance pro-inflammatoire dont le rôle dans l’athérosclérose a été suspecté. Alors que des études d’observation ont conclu à l’implication d’une élévation de l’homocystéine dans la genèse des maladies cardiovasculaires, toutes les études d’intervention se sont révélées négatives. Une étude française publiée en 2010, a testé les vitamines du groupe B à doses nutritionnelles (et non plus de fortes doses) versus un placebo confirme que quand on prend la vitamine B on a une baisse de l’homocystéine dans le sang mais aucun effet préventif sur le risque MCV sinon même une légère augmentation de la mortalité totale (figure 6).
Figure 6. Vitamines B et risque CV en étude d’intervention. D’après Galan S, et al. Br J Med 2010 |
Ces résultats devraient être gardés en mémoire tant ils mettent en évidence la possibilité d’une discordance spectaculaire entre ce qu’on observe à travers les études d’observation, et les effets réels mis en évidence par les études d’intervention.
Le rôle complexe du comportement
L’envie de se maintenir en bonne santé
Pourquoi une telle discordance ? Pourquoi les études d’observation trouvent-elles des relations qui ne se confirment pas en intervention, c’est-à-dire dans des études qui donnent le véritable signe de l’efficacité ?
Le vrai problème tient à la complexité des comportements humains.
Le fait de consommer des vitamines, des antioxydants, de boire 2 verres de vin (ou de prendre un traitement hormonal de la ménopause) connote un comportement (l’envie de se maintenir en bonne santé), un état psychologique (une humeur non dépressive) et souvent un niveau socioculturel différents de ceux qui ne se comportent pas ainsi. Or, il est très difficile voire impossible de faire un ajustement correct sur ces différents facteurs d’autant plus qu’ils peuvent être associés
Tel est le problème de fond que l’on ne sait pas traiter et qui très certainement explique cette discordance importante entre observations et interventions.
Lorsqu’on a envie de se maintenir en bonne santé on est effectivement en meilleure santé
Ces différents comportements et le niveau socioculturel jouent un rôle majeur dans le risque cardiovasculaire. Une situation dont sont conscients bien des auteurs lorsque leurs observations sont conduites rigoureusement. Ainsi dans l’étude de 1993 sur la vitamine E les auteurs prudents signalent que l’association avec le risque CV n’est pas synonyme d’effet préventif : « Although these prospective data do not prove a cause-and-effect relation, they suggest that among middle-aged women the use of vitamin E supplements is associated with a reduced risk of coronary heart disease. Randomized trials of vitamin E in the primary and secondary prevention of coronary disease are being conducted; public policy recommendations about the widespread use of vitamin E should await the results of these trials. »
« La télévision tue »
Un autre exemple de la complexité des comportements est illustré par la relation entre télévision et santé. Une étude publiée dans Circulation en 2010 a ainsi établi que le temps passé devant la télévision était linéairement corrélé aux facteurs de risque cardiométabolique.
Portant sur les habitudes de vie de 8 800 adultes et après ajustement sur âge, sexe, tour de taille et niveau d’activité physique, l’étude montre que chaque heure passée devant sa télévision quotidiennement est associée à une augmentation de :
-
11 % des décès toutes causes;
-
9 % des décès par cancer;
-
18 % des risques de maladie cardiovasculaire associée au décès.
Pourquoi ?
Ce qui montre bien qu’on n’arrive pas à ajuster correctement sur tout ce qui sous-tend nos comportements.
Alcool, santé, statut social et MCV
Peut-on mesurer l’action cardioprotectrice de l’alcool souvent évoquée ?
La consommation d’alcool est de fait liée à un ensemble de paramètres comportementaux dont il est très difficile de faire abstraction.
C’est ce que vient de vérifier une étude de Boris Hansel et ses collègues portant sur 149 773 personnes de la Communauté urbaine de Paris-Ile-de-France et récemment publiée dans l’European Journal of Clinical Nutrition.
Si a bien été vérifié le fait que les personnes buvant modérément présentent un moindre risque de faire une MCV que les abstinents totaux ou les gros buveurs, les résultats ont aussi montré qu’une consommation modérée d’alcool est également un puissant marqueur général d’un statut social optimal et donc d’un meilleur état de santé et que tel pourrait bien être la raison principale de cet effet protecteur d’une consommation modérée.
L’effet placebo
L’effet placebo est une autre manifestation de l’impact des affects associés au comportement sur le résultat des études, et que les études d’intervention justement se doivent de prendre en compte.
D’où ce traitement inactif, le placebo, administré en double aveugle, à l’insu du sujet comme à l’insu du médecin, dans le cadre des études d’intervention lorsqu’elles sont rigoureuses.
Il a été constaté en effet une association très stricte entre l’observance, le fait de prendre scrupuleusement son médicament-placebo et la mortalité : pour les maladies cardio-vasculaires par exemple le taux de mortalité est abaissé de 44 % chez les personnes prenant scrupuleusement leur placebo (du latin « je plais »).
Sur l’hypertension artérielle autre exemple, l’effet placebo se traduit par une baisse statistique de 2 à 3 mm de mercure au bout d’un mois et demi. La prise d’un placebo, impacte le niveau de sécrétion de cortisol (une hormone stéroïde secrétée par la glande surrénale à partir du cholestérol) et par ce biais a un effet sur la tension artérielle.
Par ailleurs le placebo a tout une série d’impacts sur la santé (figure 7).
Figure 7. Le plus souvent le placebo est important comme comparateur. Analyse systématique de l’effet placebo. D’après Lancet fev 2010 |
Il a aussi été montré dans de grandes études portant sur des milliers de sujets une corrélation entre le fait de prendre un placebo et l’augmentation du risque de se mettre en arrêt maladie. Comme si le fait de prendre ce qui se présente comme un « médicament » sur une longue durée inclinait plus facilement à se sentir malade.
L’analyse des mécanismes à l’œuvre derrière l’effet placebo est sans conteste un immense chantier qui s’ouvre à la recherche.
Autres limites pragmatiques des études d’intervention en nutrition
Certaines populations sont difficiles à étudier, par exemple les enfants. Tout ce qui est fait en pédiatrie est extrapolé des données et résultats obtenus chez les adultes. En conséquence les préconisations y sont d’un niveau de preuve moins élevé.
Une autre limite des études d’intervention tient à la difficulté, et même à l’impossibilité dans certains cas de constituer un placebo. Ainsi, il n’est tout simplement pas possible, faute d’un placebo disponible, d’étudier en double aveugle l’effet sur la santé du poisson, du vin rouge, des amandes (dont le caractère protecteur de MCV est pourtant très souvent avancé).
Le coût des études en nutrition (où le rapport investissement/rentabilité est plus élevé en alimentation que dans le domaine des médicaments) est également un facteur limitant, spécialement dans un pays ou de grandes études nutritionnelles sont rarement prises en charge par la puissance publique. Or, pour être de bonne qualité, les études en nutrition doivent porter sur des cohortes importantes (plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de sujets)
Enfin les études ne sont pas toujours extrapolables à toutes les populations et ne présentent pas une validité infinie dans le temps (le contexte peut changer) : ainsi les études les plus récentes montrent que les oméga-3 ne protègent pas des MCV, le profil de la population ayant changé.
Risque et niveau de preuve
Face au risque un faible niveau de preuve suffit
Autant un niveau de preuve élevé est nécessaire pour recevoir des allégations portant sur le caractère protecteur d’un médicament ou d’un nutriment, autant face à un risque existant un niveau de preuve faible est suffisant pour légitimer une contre-indication.
Deux exemples illustreront ces situations.
Les acides gras trans : malgré le faible niveau de preuve de leurs effets toxiques, la seule présence d’étude d’observation sur l’augmentation du taux de cholestérol LDL qui leur serait associée, a suffi pour préconiser leur diminution dans l’alimentation !
Les amandes à l’inverse sont un produit que les études révèlent comme corrélé à une diminution du cholestérol, seulement aucune étude n’a pu être faite en double aveugle dans la mesure où l’on ne sait pas fabriquer le placebo d’une amande. Il n’est donc pas possible de démontrer de façon formelle que la consommation d’amandes diminue effectivement le niveau de cholestérol. Et toute allégation à leur sujet ne serait pas recevable faute d’un niveau de preuve suffisant.
Pourtant les amandes sont un produit intéressant, meilleur que la plupart des produits consommés par exemple à l’apéritif et de plus satiétogène.
L’usage du niveau de preuve doit aussi parfois tenir compte des situations particulières. Ainsi il serait difficile en cas de risque faible, de supprimer un aliment peu cher et largement consommé, d’autant que sa suppression pourrait entraîner un nouveau comportement aussi risqué.
Parfois le risque peut ne concerner qu’une population particulière : doit-on mettre en garde contre le jus de pamplemousse sous prétexte, que sous statine, il peut entraîner le doublement de la teneur en certaines statines dans le sang ?
Le niveau de preuve n’est pas une donnée binaire
Comment s’y repérer donc en matière de niveau de preuve ?
Si on prend l’exemple des MCV on s’aperçoit que les niveaux de preuve associés aux études se répartissent selon une espèce de gradient (figure 8).
Figure 8. Le niveau de preuve n’est pas une donnée dichotomique. |
Une étude d’intervention avec une baisse de la morbidité des MCV, correspond au plus haut niveau de preuve.
Une étude portant sur un critère intermédiaire comme l’athérosclérose, apporte un niveau de preuve élevé mais plus faible.
Une étude sur le LDL-cholestérol qui est un facteur causatif des MCV, apporte un niveau de preuve relativement satisfaisant.
À l’inverse les études pathophysiologiques invitent à la plus grande prudence.
Une autre notion importante est l’utilisation de la méta-analyse permettant d’évaluer la qualité des études (j’ai rappelé plus haut leur importance dans le cas de la vitamine E)
Les critères de qualité d’une étude d’intervention pour le non-spécialiste
Afin de pouvoir évaluer et éventuellement critiquer les publications il convient d’examiner attentivement (c’est ce qui est enseigné aux étudiants) :
-
la puissance de l’étude (particulièrement importante pour une étude de « non-effet ») et vérifier que le nombre de sujets concernés est important;
-
la randomisation : il est nécessaire qu’elle ait été réalisée au hasard par ordinateur et indépendamment des investigateurs;
-
le double aveugle : les produits doivent avoir été préparés indépendamment et être effectivement non reconnaissables;
-
le suivi : il doit être complet et concerner également les patients « perdus de vue » afin que le recensement des éventuels effets secondaires soit complet.
Conclusion
Il faut s’efforcer d’élever le niveau de preuve pour que le niveau d’information du grand public soit amélioré.
Il faut avoir un esprit critique et connaître les limites des études d’observation, connaître les critères de qualité des études d’intervention, se méfier des modes et des gourous
Les recommandations thérapeutiques et les consensus prenant en compte l’ensemble des éléments (études d’observation, d’intervention, physiopathologie) sont la meilleure base de réflexion et de préconisations dans notre domaine.
Mode de répartition permettant d’obtenir une composition rigoureusement semblable des 2 groupes de patients de l’essai, participant à l’essai, excepté en ce qui concerne l’intervention projetée : le premier groupe reçoit le traitement (Vita.E), tandis que le second reçoit le placebo (http://www.ebm.lib.ulg.ac.be/prostate/typ_etud.htm)
Pour citer cet article : Bruckert E. Quel niveau de preuve faut-il exiger en nutrition pour établir des recommandations ? OCL 2011 ; 18(6) : 352–358. doi : 10.1051/ocl.2011.0419
Liste des figures
Figure 1. Le niveau de preuve est utilisé systématiquement dans les recommandations de pratique médicale |
|
Dans le texte |
Figure 2. Études des habitudes alimentaires dans INTERHEART. D’après Iqbal R, et al. Circulation 2008; 118 : 1929. |
|
Dans le texte |
Figure 3. Le processus d’oxydation : le mauvais cholestérol oxydé provoque le début de l’arthérosclérose |
|
Dans le texte |
Figure 4. Études épidémiologiques d’observation et lien entre vit. E et MCV. D’après Stampfer MJ et al., N Engl J Med 1993 |
|
Dans le texte |
Figure 5. Comparaison des études de bonne et mauvaise qualité par la meta-analyse de la Cochrane. D’après Bjelakovic G et al. Cochrane database of systematic review 2008. |
|
Dans le texte |
Figure 6. Vitamines B et risque CV en étude d’intervention. D’après Galan S, et al. Br J Med 2010 |
|
Dans le texte |
Figure 7. Le plus souvent le placebo est important comme comparateur. Analyse systématique de l’effet placebo. D’après Lancet fev 2010 |
|
Dans le texte |
Figure 8. Le niveau de preuve n’est pas une donnée dichotomique. |
|
Dans le texte |
Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.
Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.
Le chargement des statistiques peut être long.