Open Access
Issue
OCL
Volume 17, Number 1, Janvier-Février 2010
Dossier : Comment peut-on améliorer la qualité nutritionnelle des graisses animales ?
Page(s) 47 - 51
Section Nutrition – Santé
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2010.0288
Published online 15 January 2010

© John Libbey Eurotext 2010

Les lipides de la chair des poissons se caractérisent par leur richesse en acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AGPI-LC) de la série oméga-3 ou n-3, en particulier l’acide eicosapentaénoïque (C20:5 n-3 ou EPA) et l’acide docosahexaénoïque (C22:6 n-3 ou DHA). L’abondance de ces acides gras (AG) à longue chaîne n-3 est une particularité du monde aquatique. Le phytoplancton, à la base de la chaîne trophique des animaux aquatiques, possède (à l’exception des chlorophycées) l’équipement enzymatique nécessaire à la synthèse d’acide alphalinolénique (C18:3 n-3), précurseur de l’EPA et du DHA. Ces AG sont ensuite transférés par la voie alimentaire aux étages supérieurs de la chaîne trophique, zooplancton puis crustacés, mollusques et poissons dont la composition en AG de la chair reflète celle des lipides de leur nourriture. Les AGPI-LC n-3 sont les constituants majeurs des phospholipides où ils jouent un rôle primordial dans le maintien de la fluidité membranaire. Ils sont particulièrement importants chez les animaux poïkilothermes – dont la température corporelle est identique à celle du milieu – pour maintenir la fonctionnalité des membranes, même à basse température. D’après Crockett (2008), leur concentration dans les phospholipides des membranes cellulaires est inversement proportionnelle à la température de vie des animaux. On trouve aussi les AGPI-LC dans les triglycérides de réserve, lipides neutres qui constituent une forme de stockage d’énergie facilement mobilisable. L’augmentation des réserves énergétiques musculaires sous forme de lipides se traduit donc par une augmentation du contenu en EPA et en DHA de la chair des poissons.

Les poissons sont la principale source d’AGPI-LC n-3 dans l’alimentation humaine. La demande en poisson pour la consommation humaine est en constante progression, en raison de la croissance de la population mondiale. Or, depuis plus de 20 ans, les captures de pêches stagnent autour de 85-90 millions de tonnes par an (FAO, 2008) dont environ deux tiers sont disponibles pour la consommation humaine. Le développement de l’élevage est donc nécessaire pour répondre à la demande. Au cours des 15 dernières années, la production aquacole mondiale s’est accrue de plus de 8 % par an. Actuellement, près de 50 % des produits aquatiques consommés dans le monde proviennent de l’élevage (FAO, 2008). En France, cette proportion n’est que de 15 % mais tend à augmenter d’année en année (FranceAgrimer). Outre la régularité des approvisionnements, la traçabilité et la fraîcheur, l’un des atouts de l’aquaculture est la possibilité de moduler la composition de la chair des poissons par les pratiques d’élevage. Le muscle des poissons présente une grande plasticité tant pour sa teneur en lipides que pour sa composition en AG. Cet article décrit les différentes stratégies permettant d’optimiser la teneur en AGPI-LC n-3 de la chair des poissons par les pratiques d’élevage : augmentation de la teneur en lipides du muscle par le taux d’alimentation, le contenu énergétique de l’aliment ou la sélection génétique, dans les limites permises par l’espèce, modification de la composition en AG en fonction de la nature des huiles du régime alimentaire, prévention de la dégradation des acides gras polyinsaturés (AGPI) par peroxydation grâce à l’apport alimentaire d’antioxydants.

Effet de l’alimentation sur la teneur en lipides de la chair des poissons

Le taux d’alimentation (taille de la ration) et le contenu énergétique de l’aliment sont les moyens les plus efficaces pour moduler la teneur en lipides de la chair des poissons d’élevage. Les lipides étant plus concentrés en énergie que les glucides (39,5 kJ/g lipide contre 17,2 kJ/g glucide) et mieux digérés par les poissons d’eau froide, l’augmentation du contenu en énergie digestible des aliments aquacoles est généralement réalisée par adjonction de lipides. L’augmentation de l’apport énergétique alimentaire (via la quantité d’aliment distribuée ou le contenu énergétique de l’aliment) conduit, chez pratiquement toutes les espèces, à une augmentation des lipides corporels accompagnée d’une diminution de la teneur en eau (Corraze et Kaushik, 1999). Cependant, on observe de grandes disparités entre espèces quant aux compartiments corporels dans lesquels sont stockés les lipides.

Les poissons constituent des réserves énergétiques sous forme de dépôts de lipides dans différents endroits du corps : sous la peau (tissu adipeux sous-cutané), dans la cavité abdominale autour du tube digestif (tissu adipeux périviscéral), dans le foie, le cerveau, le muscle rouge et le muscle squelettique blanc où la majorité des adipocytes sont dispersés entre les fibres musculaires et sont particulièrement abondants au sein des cloisons de tissu conjonctif séparant les feuillets musculaires (Henderson et Tocher, 1987). L’importance relative des dépôts lipidiques dans ces différents sites est caractéristique de l’espèce considérée. Par exemple, le foie est un site majeur de stockage des lipides chez la morue comme chez beaucoup d’autres poissons marins, alors que le tissu adipeux périviscéral est le site de stockage prédominant chez les salmonidés comme la truite. La capacité des tissus musculaires à stocker des lipides est à la base d’une classification qui distingue des espèces maigres (moins de 2 % de lipides dans le muscle), des espèces grasses (teneurs en lipides dans le muscle supérieures à 8-10 %) et des espèces dites « intermédiaires » qui déposent les lipides dans le muscle (2 à 8 g/100 g) et dans d’autres sites tels que le tissu adipeux périviscéral comme c’est le cas chez la truite (Médale, 2009). Les résultats de différentes études (Regost et al., 2001 ; Santinha et al., 1999 ; Gélineau et al., 2001) rapportés dans le tableau 1 montrent que l’accroissement des dépôts de lipides résultant d’une augmentation de l’apport énergétique alimentaire concerne principalement les sites préférentiels de stockage : le foie chez le turbot, le foie et dans une moindre mesure le muscle chez la daurade, le tissu adipeux périviscéral et le muscle chez la truite. Chez les espèces maigres comme la morue, le turbot, la sole, qui ont des capacités très limitées à stocker leurs réserves énergétiques sous forme de lipides dans le muscle, la teneur en lipides du muscle est peu sensible aux facteurs d’élevage (Regost et al., 2001 ; Jobling et al., 2008 ; Borges et al., 2009). En revanche, chez les espèces intermédiaires (truite, daurade, etc.) ou grasses (saumon, anguille, etc.), le compartiment lipides musculaires est d’une remarquable plasticité. La figure 1 illustre les variations de teneur en lipides du muscle de la truite arc-en-ciel en fonction du taux d’alimentation (25, 50, 75 ou 100 % de la satiété) et en fonction du contenu énergétique de l’aliment (16,8 ou 21,6 MJ/kg aliment). Un changement de régime alimentaire pendant un à deux mois suffit pour obtenir des variations significatives de la teneur en lipides du muscle chez les salmonidés, indépendamment des variations de poids (Rasmussen, 2001). Les capacités maximales de stockage des lipides dans le compartiment musculaire des espèces intermédiaires et grasses ne sont pas clairement établies. Des résultats contradictoires sont parfois rapportés. D’après certains auteurs (Einen et Skrede, 1998), la teneur en lipides du muscle du saumon atlantique n’augmente plus au-delà d’un taux de lipides alimentaires de 34 %, suggérant que les capacités maximales de stockage des graisses dans le tissu musculaire sont atteintes. En revanche, d’autres auteurs (Hemre et Sandnes, 1999) rapportent que la teneur en lipides de la chair continue à augmenter avec un régime contenant 47 % de lipides. Ces différences peuvent être liées à l’âge et la taille des poissons, la teneur en lipides du muscle augmentant avec le poids de l’animal, quelle que soit l’espèce (Shearer, 1994) ou à des variations individuelles d’origine génétique.

thumbnail Figure 1.

 Effet du taux d’alimentation et du contenu énergétique de l’aliment sur la teneur en lipides du muscle de la truite arc-en-ciel (1,8 à 3,2 kg).

Tableau 1.

L’augmentation du taux de lipides alimentaires affecte différemment la teneur en lipides des compartiments corporels selon les espèces.

Ce sont les triglycérides de réserve qui sont responsables de la quasi-totalité de l’accroissement de la teneur en lipides observé dans le muscle suite à une augmentation de l’apport énergétique alimentaire, la teneur en phospholipides demeurant quasi inchangée (Takeuchi et al., 1978). Comme l’illustre le tableau 2, la proportion d’AGPI n-3 augmente avec la teneur en lipides du muscle, au détriment des AG mono-insaturés, la proportion d’AG saturés restant stable dans les lipides neutres comme dans les phospholipides (Kim et al., 1989). La composition en AG des phospholipides est affectée lorsque le taux de lipides de l’aliment passe de 9 à 13,5 % et reste stable au-delà. En revanche, la proportion d’AGPI n-3 des lipides neutres (triglycérides) du muscle augmente graduellement avec le taux de lipides de l’aliment, lorsque la source de lipides est de l’huile de poisson. Dans ce cas, plus la chair du poisson est grasse, plus elle apporte d’EPA et de DHA.

Tableau 2.

L’augmentation du taux de lipides alimentaires affecte la teneur en lipides du muscle et différemment les compartiments corporels selon les espèces (d’après Kim et al. (1989)).

Sélection génétique pour la teneur en lipides du muscle

L’apport énergétique alimentaire, s’il permet de modifier la teneur en lipides du muscle de nombreuses espèces de poissons, affecte aussi d’autres compartiments corporels. Dans le cadre d’une collaboration interne à l’Inra, nous avons recherché la possibilité de modifier spécifiquement la teneur en lipides et en AGPI-LC n-3 de la chair des poissons par sélection génétique. La sélection génétique est une pratique relativement récente en aquaculture. Elle a eu comme premier objectif d’optimiser la vitesse de croissance des poissons. Cependant, les quelques résultats concernant le déterminisme génétique de l’engraissement, obtenus en particulier chez le saumon, suggéraient une héritabilité moyenne à haute (0,2 à 0,47) pour la teneur en lipides musculaires (Gjerde et Schaeffer, 1989 ; Gjedrem, 1997).

Deux lignées expérimentales de truites arc-en-ciel ont été créées, à l’Inra, par sélection divergente pour la teneur en lipides du muscle (Quillet et al., 2005). Les valeurs de teneurs en lipides et en EPA et en DHA du muscle des truites issues de la troisième génération de sélection divergente sont rapportées dans le tableau 3. Comme attendu, le taux de lipides du muscle est plus élevé pour la lignée muscle gras (+50 %) que pour la lignée muscle maigre (Kolditz et al., 2008), la sélection s’est donc avérée rapidement efficace. Cependant, la sélection génétique n’a pas modifié la composition en AG des lipides du muscle. Les proportions d’EPA et de DHA sont semblables dans le muscle des deux lignées (3,8 et 21,7 % respectivement pour l’EPA et le DHA lorsque l’aliment contient 10 % de lipides ; 6,4 % d’EPA et 25,3 % de DHA lorsque l’aliment contient 23 % de lipides). En réponse à une augmentation du taux de lipides alimentaires, la teneur en lipides du muscle augmente chez les deux lignées (+52 % pour la lignée muscle maigre, +59 % pour la lignée muscle gras) ainsi que les proportions d’EPA et de DHA. Dans le cas présent, la proportion d’EPA a augmenté plus fortement que celle de DHA, car l’huile incorporée dans l’aliment était riche en EPA. En conséquence, la consommation de 100 g de chair de la lignée muscle gras apporte davantage d’EPA et de DHA que 100 g de chair de la lignée muscle maigre, uniquement parce que sa teneur en lipides est plus élevée. En revanche, la consommation de 100 g de chair de truite nourrie avec le régime à 23 % de lipides apporte davantage d’EPA et de DHA que 100 g de chair de truite nourrie avec l’aliment à 10 % de lipides à la fois parce que la chair est plus riche en lipides et parce que les proportions d’EPA et de DHA sont augmentées (tableau 3). La teneur en lipides du muscle peut donc être gérée à la fois par sélection génétique et par l’apport alimentaire ; en revanche, la nature des AG de la chair semble, jusqu’à présent, exclusivement contrôlée par l’apport alimentaire. Des travaux sont en cours pour rechercher d’éventuelles variations d’origine génétique de la teneur en AGPI-LC n-3 du muscle chez différentes familles de bars et de truites.

Tableau 3.

Effet de la sélection génétique et du contenu énergétique de l’aliment sur le taux de lipides, d’EPA et de DHA du muscle de la truite arc-en-ciel.

Variation de la composition en AG de la chair des poissons en fonction des huiles du régime

La composition en AG de la chair des poissons reflète assez fidèlement la composition en AG des lipides du régime alimentaire. On note d’ailleurs de grandes variations dans la composition en AG des lipides musculaires en fonction des préférences alimentaires des espèces. Alors que, chez les poissons carnivores (généralement espèces des eaux froides à tempérées), 75 % en moyenne des AGPI sont de la série n-3, chez les poissons herbivores ou omnivores comme le tilapia, le pangasius ou la carpe (espèces d’eau chaude ou tropicales), 60 à 80 % des AGPI sont de la série n-6 (Médale, 2009). Lorsque ces animaux sont nourris avec des régimes contenant des huiles de poisson, la concentration en EPA et en DHA de leur chair augmente (tableau 4) (d’après Runge et al., 1987). De même, lorsque des poissons sont nourris avec des aliments contenant des huiles végétales, dépourvues d’EPA et de DHA, en substitution de l’huile de poisson, la teneur en EPA et en DHA de leur chair diminue et celle des AG caractéristiques des huiles végétales incorporées augmente. Globalement, quelle que soit l’espèce, la réponse des AG du muscle à l’apport alimentaire suit une simple loi de dilution, à l’exception du DHA (Robin et al., 2003 ; Jobling, 2004 ; Benedito-Palos et al., 2009). Grâce à la plasticité des lipides musculaires, le profil en AG caractéristique de l’huile de poisson peut être restauré en nourrissant les poissons avec un aliment à base d’huile de poisson durant les derniers mois précédant l’abattage, après un cycle d’élevage avec des aliments à base d’huiles végétales.

Tableau 4.

Composition en acides gras (pourcentage d’acides gras totaux) du muscle de la carpe en fonction de l’huile de l’aliment (d’après Runge et al. (1987)).

L’essor de l’aquaculture utilisant des aliments composés riches en lipides a accru fortement la demande en huile de poisson (Tacon et Metian, 2008). En parallèle, la stagnation des captures de pêche limite la disponibilité de cette matière première. L’aquaculture est confrontée aujourd’hui au double défi de réduire l’emploi de matières premières issues de la pêche pour l’alimentation des poissons d’élevage et de conserver à la chair de poisson la valeur nutritionnelle que lui confère sa richesse en AGPI-LC n-3. Différentes stratégies ont été explorées : choix de différentes huiles de substitution seules ou en mélange, remplacement partiel pendant le cycle d’élevage, alimentation dite « de finition » dans les mois précédant la commercialisation, durée de cette phase de finition et choix des huiles de poissons utilisées. Parmi les alternatives aux huiles extraites des poissons issus de la pêche, seules les huiles végétales sont produites en quantités suffisantes pour répondre à la demande de l’aquaculture, les quantités de lipides provenant des déchets des pêches ou de l’industrie de transformation des poissons, du zooplancton ou d’algues étant actuellement faibles. Les essais de substitution de l’huile de poisson ont, en majorité, été conduits avec des huiles de soja, de palme, de colza et de tournesol qui représentent environ 80 % de la production mondiale d’huiles végétales ainsi qu’avec de l’huile de lin, qui présente l’avantage d’être riche en C18:3 n-3, précurseur de l’EPA et du DHA. Les différentes études montrent que le remplacement de l’huile de poisson par une ou des huiles végétales ne modifie pas la croissance des poissons et la teneur en lipides de leur chair à partir du moment où leurs besoins en AGPI n-3 sont couverts. Les poissons marins sont incapables de synthétiser l’EPA et le DHA, ils doivent trouver ces AG dans l’aliment pour couvrir leurs besoins. Chez les poissons d’eau douce, le C18:3 n-3 peut suffire à couvrir les besoins, mais sa conversion en EPA et en DHA étant limitée, un apport direct d’EPA et de DHA par l’aliment est plus efficace. L’inconvénient majeur du remplacement de l’huile de poisson par des huiles végétales dans les aliments piscicoles est donc le changement de composition en acides de la chair. Ces changements sont d’autant plus marqués que le taux de substitution est élevé (Benedito-Palos et al., 2009 ; Bell et al., 2003a, 2004). L’enjeu des recherches actuelles est de trouver des solutions pour minimiser l’impact négatif des huiles végétales sur le profil en AG de la chair des poissons tout en épargnant l’huile de poisson. L’emploi d’un mélange d’huiles est préférable à un substitut unique. Pour maintenir le rapport n-3/n-6 de la chair aussi élevé que possible, il faut :

  • limiter l’apport de C18:2 n-6 qui est faiblement catabolisé par les poissons pour produire de l’énergie et qui s’accumule dans le muscle ;

  • privilégier l’apport d’AG mono-insaturés, car ils sont efficacement utilisés comme source d’énergie et permettent de limiter la proportion de C18:2 n-6 dans l’aliment ;

  • apporter du C18:3 qui, même s’il est faiblement (poissons d’eau douce) ou pas (poissons marins) converti en EPA et en DHA, permet d’augmenter le rapport n-3/n-6 et contribue à la qualité nutritionnelle de la chair du poisson.

Le but de l’alimentation de « finition » à base d’huile de poisson est de restaurer des teneurs élevées en EPA et en DHA et de diminuer le contenu en C18:2 n-6. Chez le saumon ayant été nourri pendant 50 semaines (de 120 g à 2,3 kg) avec un aliment contenant de l’huile de colza comme seule source de lipide, une alimentation à base d’huile de poisson pendant 20 semaines (2,3 à 3,5 kg) permet de restaurer 90 % des teneurs en EPA et en DHA mais n’élimine que 50 % du C18:2 n-6 accumulé (Bell et al., 2003b). Dans une autre étude avec des saumons de 200 à 500 g, les mêmes auteurs (Bell et al., 2003a, 2004) montrent que la teneur en EPA est rétablie plus rapidement (quatre semaines) que celle en DHA. La durée d’alimentation de finition nécessaire dépend aussi de l’espèce et de l’huile de poisson employée. Elle est plus courte chez des espèces dont le muscle est moins riche en lipides que celui du saumon. Parmi les huiles de poisson, les huiles d’anchois, de sardine et de menhaden sont plus efficaces que les huiles de capelan ou de maquereau, car elles sont plus concentrées en AGPI-LC n-3. Des travaux sont encore nécessaires pour définir les conditions les plus favorables pour réduire le plus possible l’emploi d’huile de poisson tout en optimisant la composition en AG de la chair des différentes espèces de poissons d’élevage.

Protection contre la peroxydation par apport alimentaire de composés antioxydants

Les lipides de la chair des poissons peuvent être facilement dégradés, car les doubles liaisons des AGPI sont particulièrement sensibles au phénomène de peroxydation. En effet, les risques de dégradation par des réactions radicalaires en chaîne augmentent avec le degré d’insaturation des AG (Crockett, 2008). La peroxydation des AG insaturés, qui se produit lors de l’exposition à l’air et à la lumière (conditions rencontrées sur les étals) conduit à la formation d’aldéhydes, de cétones et de radicaux libres. Elle diminue la valeur nutritionnelle des lipides en réduisant la quantité d’AGPI-LC et dégrade les caractéristiques sensorielles du produit en provoquant l’apparition d’odeurs désagréables et parfois l’altération de la couleur (Frigg et al., 1990 ; Tocher et al., 2002, 2003). Des mesures réalisées in vitro avec des explants de muscle de truite et de bar contenant différents taux de lipides montrent que la quantité de produits oxydés formés augmente avec la teneur en lipides du muscle et sa concentration en AGPI-LC (Alvarez et al., 1998). Des phénomènes semblables sont observés in vivo (Tocher et al., 2002).

L’apport alimentaire de composés antioxydants permet de protéger les AG longs de la peroxydation, préservant ainsi la valeur nutritionnelle de la chair des poissons. Plusieurs études conduites chez différentes espèces de poissons ont démontré l’efficacité des tocophérols et en particulier de l’α-tocophérol (vitamine E) pour prévenir la peroxydation des lipides par des réactions radicalaires et réduire ainsi la formation des composés issus de ces réactions tels que les malonaldéhydes (Frigg et al., 1990 ; Tocher et al., 2003). La teneur en vitamine E du muscle de poisson augmente avec le taux de vitamine E de l’aliment (figure 2). La concentration en malonaldéhydes, issus de l’oxydation des lipides, est d’autant plus faible que la chair est riche en vitamine E (Frigg et al., 1990 ; Tocher et al., 2002). Comme l’illustre la figure 2 , des teneurs élevées en vitamine E protègent aussi des phénomènes de peroxydation des lipides qui peuvent se produire pendant le stockage et lors de la décongélation du produit, la formation des composés peroxydés est inhibée. La vitamine E contribue ainsi à la conservation des qualités nutritionnelles du produit en préservant l’intégrité des AG (Stéphan et al., 1995).

thumbnail Figure 2.

 Conséquences du taux de vitamine E de l’aliment sur la teneur en vitamine E dans le muscle de turbot et sa teneur en malonaldéhyde (MDA) dans la chair au moment de l’abattage et après six mois de congélation à – 20 °C (d’après Stéphan et al. (1995)).

Conclusion

Les pratiques d’élevage, en particulier la sélection génétique et l’alimentation permettent donc de moduler la quantité de lipides de la chair des poissons, dans les limites permises par l’espèce. La quantité d’AG longs polyinsaturés n-3 peut être modifiée soit indirectement via la teneur en lipides du filet, soit directement par les huiles contenues dans l’aliment. L’adjonction de substances antioxydantes, telles que la vitamine E dans les aliments, permet de prévenir la dégradation des AG longs poly-insaturés par peroxydation, contribuant ainsi à conserver leur valeur nutritionnelle. Les recherches en cours ont pour objectifs de valoriser au mieux les huiles de poisson, de chercher des substituts efficaces pour maintenir des teneurs élevées en AGPI-LC n-3 dans la chair des poissons d’élevage et d’évaluer la possibilité de sélectionner des familles présentant des capacités particulières pour le stockage d’EPA et de DHA.

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Liste des tableaux

Tableau 1.

L’augmentation du taux de lipides alimentaires affecte différemment la teneur en lipides des compartiments corporels selon les espèces.

Tableau 2.

L’augmentation du taux de lipides alimentaires affecte la teneur en lipides du muscle et différemment les compartiments corporels selon les espèces (d’après Kim et al. (1989)).

Tableau 3.

Effet de la sélection génétique et du contenu énergétique de l’aliment sur le taux de lipides, d’EPA et de DHA du muscle de la truite arc-en-ciel.

Tableau 4.

Composition en acides gras (pourcentage d’acides gras totaux) du muscle de la carpe en fonction de l’huile de l’aliment (d’après Runge et al. (1987)).

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

 Effet du taux d’alimentation et du contenu énergétique de l’aliment sur la teneur en lipides du muscle de la truite arc-en-ciel (1,8 à 3,2 kg).

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

 Conséquences du taux de vitamine E de l’aliment sur la teneur en vitamine E dans le muscle de turbot et sa teneur en malonaldéhyde (MDA) dans la chair au moment de l’abattage et après six mois de congélation à – 20 °C (d’après Stéphan et al. (1995)).

Dans le texte

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