DANS LE RETRO - Origine des stérilités mâles et des variétés hybrides de tournesol en France et dans le monde
Par : Bernard (Jean-Marie) VIVIER, INRAE – Agri-Obtentions, Clermont-Ferrand, France (retraité)
"L’huile alimentaire la plus utilisée jusqu’en 1970 en France était l’huile d’arachide importée. Au début des années 60, le gouvernement a pris la décision de développer des espèces oléagineuses métropolitaines, qui remplaceraient à terme les importations d’arachide, et a demandé à l’INRAE de conduire des programmes de Recherche et Développement colza et tournesol. Cette dernière espèce n’était pas cultivée en France, excepté dans le Sud Est sur de très petites surfaces, essentiellement pour les oiseaux (Gris Strié de Provence) et dans des jardins pendant la guerre pour parer au manque d’huile. A cette époque, la culture du tournesol était très importante en URSS, principalement dans le sud de la Russie et en Ukraine, avec des variétés population qui avaient été sélectionnées pour leur richesse en huile par V. PUSTOVOIT à Krasnodar.
Découverte de la stérilité mâle génique
Simone LENOBLE, en charge du programme tournesol à Clermont-Ferrand, prit contact avec l’institut russe (VNIIMK) à Krasnodar pour importer des échantillons des différentes variétés, en collaboration avec l’association des multiplicateurs de semences oléagineuses (USGOS/AMSOL) et le CETIOM (aujourd’hui Terres Inovia) pour les produire, expérimenter et vulgariser à grande échelle. En 1962, les premiers échantillons ont été cultivés en pépinière pour les comparer et dès cette année il a été observé une plante qui n’avait pas de pollen : elle était mâle stérile. La probabilité de trouver un tel type est extrêmement rare, comparable à certaines découvertes en recherches médicales.
Cette plante mâle stérile ne présentait aucune coloration particulière (on disait « verte »). Dans la pépinière il y avait une ancienne variété française appelée Nain Noir qui présentait une coloration rouge sur les tiges, pétioles et bord des feuilles. Son pollen a servi pour féconder la plante mâle stérile. Les graines issues du croisement ont été semées en serre en Octobre 1962. Les plantes, à la levée, étaient toutes colorées (« rouge »). Ce caractère était donc supposé dominant.
En février 1963 j’ai intégré le laboratoire tournesol à la station INRAE de Clermont-Ferrand et nous avons observé à la floraison que la totalité des plantes produisaient du pollen (mâles fertiles) et elles ont été autofécondées par ensachage des capitules. Nous avons semé les graines produites au printemps 1963 et à la floraison, les ¾ des plantes qui étaient « rouges » étaient également mâles fertiles et le ¼ de plantes « vertes » étaient toutes mâles stériles (ce qui suivait loi génétique de Mendel). Les deux caractères étaient génétiquement liés très fortement On venait de découvrir la stérilité mâle, dite génique, du tournesol, marquée par la présence ou absence de coloration rouge (Leclercq, 1966). Cependant, le caractère de stérilité mâle est génétiquement récessif et on ne peut pas obtenir une descendance entièrement mâle stérile. Pour permettre un croisement avec une autre lignée, afin de produire un hybride homogène, un travail d’élimination des plantes « rouges mâle fertile » était nécessaire. De nombreuses variétés russes et bulgares ont servi de parents mâles pour féconder ces plantes mâles stériles. Pour permettre des travaux de sélection et recherche à plus grande échelle, deux techniciens furent recrutés.
La première variété hybride de tournesol
Les essais comparatifs au champ pour le rendement et la teneur en huile ont abouti à l’inscription au catalogue officiel du 1er hybride mondial en 1970 appelé INRA 6501. A cette même époque, la station INRAE de Montpellier a inscrit la variété population ISSANKA.
La culture commerciale du tournesol en France avait démarré vers 1968 avec les variétés populations importées d’URSS par l’USGOS/AMSOL et vulgarisées par le CETIOM/Terres Inovia. La production d’INRA 6501 et les essais de nouveaux croisements ont été assurés par la collaboration entre l’INRAE et des établissements semenciers implantés dans les régions à climats adaptés au tournesol : la Limagne, la Vallée du Rhône, l’Ouest et le Sud Ouest.
Les différentes cultures et les contrôles de pureté de semences ont permis de déterminer les distances d’isolement nécessaires, la pollinisation étant assurée essentiellement par les abeilles qui pouvaient butiner à un kilomètre ou plus de leur ruche.
La multiplication du parent femelle nécessitait de semer très dense et d’éliminer les plantes « rouges » dans les rangs désignés femelles sur lesquelles on récoltait les semences, et les plantes vertes dans les rangs désignés mâles, qui fournissaient le pollen, ce qui demandait un énorme travail de main d’œuvre et de même pour les femelles en production de l’hybride commercial.
Obtention d’une stérilité mâle cytoplasmique
En parallèle, sous la direction d’André CAUDERON, Patrice LECLERQ, qui succédait à Simone LENOBLE partie à LUSIGNAN (86) pour s’occuper des plantes fourragères, continuait les recherches, réalisant des croisements interspécifiques en pépinière entre Helianthus annus, le tournesol cultivé et des espèces voisines sauvages dont des échantillons avaient été fournis par le scientifique américain, C.HEISER.,
D’un de ces croisements entre l’espèce sauvage Helianthus petiolaris et Helianthus annuus, il a obtenu une stérilité mâle cytoplasmique (un caractère déterminé par le cytoplasme avec une hérédité maternelle). Publié par Leclercq (1969), cette stérilité mâle donnent des descendances dont 100% des plantes ne produisent pas de pollen et ainsi permet une production de semences hybrides simplifiée. Les parents mâles devaient porter un gène qui restaure la fertilité mâle des hybrides et qui a été trouvé chez plusieurs espèces d’Helianthus (Kinman, 1970, Leclercq, 1971). Le premier hybride mondial cytoplasmique, inscrit sur le Catalogue français en 1973 s’est appelé RELAX pour évoquer la facilité du travail.
Cette stérilité mâle cytoplasmique, distribuée sans brevet, toujours utilisée librement et très largement à travers le monde, a permis de donner un énorme essor au tournesol peu valorisé dans beaucoup de pays jusque-là (Vear, 2010). Cet essor fut porté aussi par des pionniers de la vulgarisation et de la mécanisation.
Conclusion
Ces découvertes de stérilités males chez le tournesol ont rendu possible l’obtention de variétés hybrides homogènes en précocité et en taille en comparaison avec les variétés populations, simplifiant les interventions agronomiques. Elles ont rendu possible aussi un progrès plus rapide en sélection pour des caractères tels que les résistances aux maladies ou les qualités d’huile qui peuvent être fixés dans des lignées parentales (Vear 2016). Elles sont la base de nombreux programmes de sélection développés en Europe, en Amérique du Nord et du Sud et plus récemment en Asie..
La culture de cette espèce est toujours promise à un bel avenir car elle est peu exigeante en intrants, tolérante à la sécheresse et elle permet de produire plusieurs types d’ huile de qualité très recherchée par les consommateurs.
Références
Kinman ML. 1970. Letter to Participants. Proc 4th Int Sunflower Conf, Memphis, TN, USA, June 23–25, 1970
Leclercq P. 1966. Une stérilité male utilisable pour la production d’hybrides simples de tournesol. Ann. Amélior.Pl. 16 :135-144.
Leclercq P. 1969. Une stérilité mâle cytoplasmique chez le tournesol. Ann. Amelior.Pl. 19: 99–106.
Leclercq P. 1971. La stérilité mâle cytoplasmique du tournesol 1. Premières études sur la restauration de la fertilité. Ann Amélior Pl. 21: 45–54.
Vear F. 2010. Classic Genetics and Breeding. In “Genetics, Genomics and Breeding of Sunflower” ed. Kole C. Science Publishers Inc. Jersey, N.H, USA. : 51-77.
Vear F 2016. Changes in sunflower breeding over the last fifty years. OCL 2016, 23(2) D202.
Bernard Vivier dans une publicité pour une variété INRAE vers 1978