Open Access
Issue
OCL
Volume 18, Number 6, Novembre-Décembre 2011
Structures des lipides dans les aliments et impacts nutritionnels
Page(s) 365 - 371
Section Fondamental
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2011.0413
Published online 15 November 2011

© John Libbey Eurotext 2011

Introduction

Les CLA font l’objet d’une recherche intense depuis le début des années 1990, notamment pour évaluer les modalités de leur effet anti-obésité (Roche et al., 2001). Si cette activité est bien documentée et avérée dans certains modèles animaux (souris (West et al., 1998), hamsters (Navarro et al., 2009), rats génétiquement obèses (Kelley et Erickson, 2003), en revanche les effets sont plus ténus et controversés chez l’humain (Whigham et al., 2007). Certains pointent un risque d’aggraver le syndrome métabolique chez des sujets consommant des préparations contenant l’isomère t10,c12 et chez qui ce syndrome préexiste (Riserus et al., 2002). Finalement, plus que son efficacité vis-à-vis de la réduction de la masse grasse, le point prépondérant devient la question de l’absence d’effets délétères. Nous avons choisi d’évaluer le retentissement biologique de la consommation de CLA contenant l’isomère t10,c12 sur des adipocytes humains sous-cutanés en culture, le tissu adipeux étant une cible majeure pour les CLA dans le cadre des effets anti-obésité et d’insulino-résistance.

Matériel et méthode

Notre approche a consisté à mesurer de la façon la plus exhaustive possible la réponse aux traitements par une analyse transcriptomique par biopuce couplée à une analyse métabolomique réalisée par spectrométrie de masse (figure 1). Cette stratégie a permis de sélectionner les réponses transcriptomiques qui donnaient lieu à une réponse fonctionnelle métabolique. Six cultures initiales d’adipocytes ont été divisées en 3 lots pour être incubées pendant 48 heures par (50 μM chacun sous forme d’acide gras libre lié à l’albumine) l’acide linoléique, l’isomère t10,c12 ou un mélange commercial de CLA enrichi à 90 % avec l’isomère c9,t11 et t10,c12. La mesure de l’expression des gènes de ces cultures a été réalisée sur des biopuces pangénomiques Agilent 43k. Le profilage métabolique a été accompli par spectrométrie de masse sur extraits cellulaires polaires et non-polaires. Après extraction et ajustement informatique des signaux et curation, les données ont été traitées avec des méthodes d’analyses multivariées en mode PLS principalement (figure 2). Une première analyse a permis d’obtenir 1 359 gènes, 80 signaux métaboliques non polaires et 23 polaires qui étaient sensibles aux traitements (taux de classification globale pour la mesure de la spécificité des traitements de 94,12 %). De façon intéressante, les variables lipidiques étaient dans l’ensemble diminuées par les traitements aux CLA comparativement au traitement avec l’acide linoléique. À ce stade, même réduite l’abondance des variables biologiques affectées par les traitements ne permettait pas une interprétation compréhensible de l’information biologique. Pour faciliter celle-ci, nous avons regroupé les gènes sélectionnés en 63 voies biologiques à l’aide du logiciel d’enrichissement Metacore (figure 3). L’activité biologique de chacune d’entre elles a été quantifiée par la construction de nouvelles variables « voies biologiques ». Ceci a été accompli à partir des valeurs d’expression des gènes constitutifs de chaque voie, « compressés » en une valeur unique et représentative de la voie biologique (méthode d’analyse multibloc avec construction de variables représentatives par PLS hiérarchique). Pour les métabolites, un procédé analogue a été réalisé, sauf que le métabolome n’étant pas précisément annoté, nous avons construit les nouvelles variables métaboliques sur la base de la proximité statistique des signaux métaboliques détectés (méthode de regroupement par classification hiérarchique ascendante) (figure 3). Sept ensembles métaboliques ont ainsi pu être construits et leur intensité quantifiée. Nous avons vérifié que la compression en ensembles biologiques ne modifie pas la classification des groupes de traitements en analyse discriminante (taux global de classification de 88,24 %). Notre but était de sélectionner les voies biologiques au niveau génomique qui avait la meilleure traduction au niveau métabolomique, et qui avait donc la meilleure chance d’avoir une traduction fonctionnelle. Nous avons calculé un indice de détermination R2 = 0,66 entre la réponse génomique et la réponse métabolomique (analyse de régression multivariée PLS); après une étape supplémentaire de sélection des meilleurs prédicteurs génomiques et des meilleurs prédits métabolomique (critères VIP et R2Y/Q2Y de l’analyse PLS), nous avons retenu 45 voies biologiques au niveau génomique et 3 ensembles métaboliques qui étaient liés avec un indice de détermination R2 = 0,90.

thumbnail Figure 1.

Schéma général du protocole utilisé pour l’analyse multi-omique des adipocytes en culture traités par différentes formes de CLA.

thumbnail Figure 2.

Graphe d’analyse discriminante en mode PLS représentant la réponse biologique multi-omique (transcriptomique et métabolomique) des adipocytes pour chacun des trois traitements : 18/2_P, traitement à l’acide linoléique; 10/12_P, traitement avec l’isomère t10,c12_CLA; mix_P, traitement avec le mélange commercial d’isomères de CLA.

thumbnail Figure 3.

Procédure de regroupement des variables biologiques individuelles en ensemble biologique plus réduit par une méthode d’analyse en composante PLS hiérarchique. A) procédure générale; B) procédure de regroupement des métabolites et gènes non-annotés en fonction de leur proximité statistique

Ainsi, 43 voies biologiques au niveau génomique dont l’activité était modifiée par les traitements aux CLA avaient un lien statistique avec 3 ensembles métaboliques (figure 4).

thumbnail Figure 4.

Analyse PLS représentant l’association entre la réponse multigénique aux traitements (43 voies biologiques identifiées au niveau génomique) et la réponse multimétabolique (3 blocs de métabolites) pour chaque culture d’adipocyte; R2 = 0.88, n = 16 cultures d’adipocytes différentes.

Afin de mieux préciser quelles étaient les voies génomiques qui paraissaient avoir le plus d’association avec la réponse métabolomique, nous avons recherché à l’aide d’une analyse en matrice de corrélations quelles étaient les voies biologiques génomiques qui étaient directement appariées aux ensembles métabolomiques. Cette analyse est visualisée sous la forme d’un graphe d’interaction, dans lequel nous avons extrait un sous-graphe correspondant aux relations appariées entre réponse génomique et réponse métabolomique (figure 5). La superposition de l’activité globale de chaque voie biologiques en fonction des traitements indique que certains ensembles sont plus sensibles au mélange commercial de CLA, et d’autres à l’isomère t10,c12 seul (figure 5). Un examen de la littérature sur les voie métaboliques du sous-graphe indique que celles-ci sont toutes impliquées dans des phénomènes d’insulino-résistance et d’intolérance au glucose dans les phénomènes d’obésité (figure 6). La contribution calculée des facteurs génomiques à la réponse métabolomique indique que la voie du GABA-récepteur est prépondérante.

thumbnail Figure 5.

Effet des traitements sur l’intensité de la réponse des voies génomiques liées au métabolome cellulaire. Les valeurs d’intensité des voies biologiques correspondent aux scores composites calculés par PLS hiérarchique. Par convention, les valeurs de régulation par le traitement contrôle sont toujours représentées en valeur positive, les groupes traités étant considérés relativement aux valeurs contrôles .a,b,c P < 0,05. Les liens entre les noeuds du réseau représentent des coefficients de corrélations de Spearmann (rho > 0,7), soit positif (trait plein), soit négatif (trait pointillé).

thumbnail Figure 6.

Conséquence fonctionnelle de l’administration de l’isomère t10,c12-CLA et d’un mélange commercial de CLA sur l’adipocyte humain culture (Prada et al., 2009; Sakamoto et al., 2009; Bastard et al., 2002; Tsuboyama-Kasaoka et al., 2000; Araujo-Vilar et al., 2009; Wade et al., 2005)

Conclusion

Il apparaît que l’exposition d’adipocytes humains en culture aux CLA s’accompagne de la modification de la régulation d’au moins 45 voies biologiques différentes liées à des changements du métabolome. Parmi ces 45 voies, 6 sont directement liés aux modifications du métabolome cellulaire (lipidome essentiellement) et concernent des effets biologiques liées à l’apoptose, la régulation de gènes liés à la lipodystrophie, la tolérance au glucose, l’adipogenèse et à l’insulino-résistance. Au-delà des effets déjà rapportés des CLA sur l’apoptose et l’inflammation dans le tissu adipeux, nous rapportons un impact de ces acides gras sur la transmission de neuromédiateurs et sur l’activité du protéasome. L’analyse en réseau indique la façon dont l’ensemble des phénomènes sont en interaction pour produire des changements fonctionnels (modification du métabolome). Peu de différences sont notées entre l’exposition à l’isomère t10,c12-CLA ou au mélange commercial de cet isomère avec l’isomère c9,t11-CLA, ce qui confirme chez l’humain tout comme chez les modèles murins que l’isomère t10,c12-CLA est biologiquement actif.

Nous avons pu noter une régulation inverse de voies biologiques potentiellement impliquées dans le développement du diabète de type 2 des CLA comparativement au traitement contrôle. Ceci confirme les précautions qu’il convient de prendre concernant la consommation de ce produit et ses dérivés commerciaux chez l’humain.

L’approche multi-omique sans a priori que nous avons mis en œuvre a détaillé l’ensemble des modifications qui interviennent au niveau de l’adipocyte traité aux CLA, et de sélectionner parmi les processus biologiques affectés au niveau génomique ceux qui étaient les plus liés à des modifications du métabolome. Contrairement aux approches classiques qui ne considèrent généralement les variables biologiques qu’indépendamment et individuellement, notre approche considère ces variables en ensembles biologiques (« pathway ») modélisés mathématiquement et permet une représentation simple et compréhensible de phénomènes complexes. Cette modélisation est à notre sens plus proche de la réalité où les phénotypes sont déterminés plus par des modifications de voies biologiques en interaction que par des événements moléculaires isolés. Au-delà de cette étude sur les CLA, l’approche originale de génomique fonctionnelle multi-omique que nous avons développée grâce à cette étude ouvre des perspectives intéressantes pour rechercher les mécanismes moléculaires qui ont une portée sur les phénotypiques moléculaires. Nous allons compléter nos résultats par l’identification des métabolites correspondant aux masses moléculaires détectées et qui ont été affectés par les traitements, ce qui donnera des informations complémentaires sur la façon dont des ensembles de gènes peuvent retentir sur certains aspects du métabolisme cellulaire1.


1

Article issu d’un projet de recherche ayant bénéficié du soutien du Groupe lipides nutrition (Gln).

Références

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Pour citer cet article : Martin JC, Bencharif K, Berthet B, Banzet N, Bott R, Defoort C, Alessi MC. Évaluation de l’exposition d’adipocytes humains sous-cutanés en culture aux acides linoléiques conjugués par une approche multi-omique. OCL 2011; 18(6) : 365–371. doi : 10.1051/ocl.2011.0413

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Schéma général du protocole utilisé pour l’analyse multi-omique des adipocytes en culture traités par différentes formes de CLA.

Dans le texte
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Graphe d’analyse discriminante en mode PLS représentant la réponse biologique multi-omique (transcriptomique et métabolomique) des adipocytes pour chacun des trois traitements : 18/2_P, traitement à l’acide linoléique; 10/12_P, traitement avec l’isomère t10,c12_CLA; mix_P, traitement avec le mélange commercial d’isomères de CLA.

Dans le texte
thumbnail Figure 3.

Procédure de regroupement des variables biologiques individuelles en ensemble biologique plus réduit par une méthode d’analyse en composante PLS hiérarchique. A) procédure générale; B) procédure de regroupement des métabolites et gènes non-annotés en fonction de leur proximité statistique

Dans le texte
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Analyse PLS représentant l’association entre la réponse multigénique aux traitements (43 voies biologiques identifiées au niveau génomique) et la réponse multimétabolique (3 blocs de métabolites) pour chaque culture d’adipocyte; R2 = 0.88, n = 16 cultures d’adipocytes différentes.

Dans le texte
thumbnail Figure 5.

Effet des traitements sur l’intensité de la réponse des voies génomiques liées au métabolome cellulaire. Les valeurs d’intensité des voies biologiques correspondent aux scores composites calculés par PLS hiérarchique. Par convention, les valeurs de régulation par le traitement contrôle sont toujours représentées en valeur positive, les groupes traités étant considérés relativement aux valeurs contrôles .a,b,c P < 0,05. Les liens entre les noeuds du réseau représentent des coefficients de corrélations de Spearmann (rho > 0,7), soit positif (trait plein), soit négatif (trait pointillé).

Dans le texte
thumbnail Figure 6.

Conséquence fonctionnelle de l’administration de l’isomère t10,c12-CLA et d’un mélange commercial de CLA sur l’adipocyte humain culture (Prada et al., 2009; Sakamoto et al., 2009; Bastard et al., 2002; Tsuboyama-Kasaoka et al., 2000; Araujo-Vilar et al., 2009; Wade et al., 2005)

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