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OCL
Volume 10, Number 5-6, Septembre-Décembre 2003
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Page(s) | 405 - 424 | |
Section | Fondamental | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ocl.2003.0405 | |
Published online | 15 September 2003 |
Alimentation animale et valeur nutritionnelle induite sur les produits dérivés consommés par l’homme : Les lipides sont-ils principalement concernés ?
Membre de l’Académie de Médecine. Directeur de l’unité Inserm U26 de Neuro-pharmaco-nutrition, Hôpital Fernand-Widal, 200, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75745
Paris Cedex 10
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jean-marie.bourre@fwidal.inserm.fr
Dans quelle mesure la nourriture reçue par les animaux induit-elle une modification (amélioration ou au contraire dégradation) de la valeur nutritionnelle des aliments qui en sont issus pour la nourriture de l’homme ? La réponse à cette question varie selon la nature des nutriments (vitamines, minéraux, acides gras poly-insaturés indispensables des graisses, acides aminés indispensables des protéines), et aussi de l’espèce considérée. Le problème est de rechercher l’impact réel des formulations des rations utilisées dans les élevages sur la valeur nutritionnelle des produits (viandes, lait et laitages, fromages et œufs, etc.), et donc leur influence sur la santé du consommateur, évidemment dans un sens favorable. Les acides gras poly-insaturés oméga-3 (ω3) bénéficient de deux grands axes de valorisation. Le premier réside dans leur importance quantitative et leurs rôles dans le cadre de la mise en place et du maintien de divers organes, le cerveau au premier chef. Le second se trouve dans la prévention de diverses pathologies, les maladies cardio-vasculaires occupant une place prépondérante \; avec, depuis peu, les maladies neuro-psychiatriques, stress, dépression et démence. Compte tenu des implications en termes de maladies, cardio-cérébro-vasculaires entre autres, le contrôle de la nature des acides gras constitutifs des graisses représente donc un enjeu considérable en ce qui concerne les viandes issues d’animaux terrestres, maritimes et aériens, du lait, des laitages, fromages et des œufs. Car la qualité des graisses données en nourriture animale détermine fondamentalement la valeur nutritionnelle des aliments qui en sont dérivés, pour la consommation humaine. Bien évidemment, il est relativement difficile de modifier la composition en acides gras des phospholipides constitutifs des membranes biologiques intégrées dans la multitude de types cellulaires, dont la spécificité est largement sous contrôle génétique. En revanche, la nature des acides gras des triglycérides de réserve (trouvés en quantité plus ou moins importante selon les localisations anatomiques c’est-à-dire les morceaux de boucherie) peut varier notablement en fonction de la nourriture reçue par les animaux. En les contrôlant, il est possible de contribuer à un meilleur état sanitaire des consommateurs. Les conséquences (qualitatives et quantitatives) des modifications de la composition de l’alimentation animale sur la valeur des produits dérivés consommés par l’homme sont plus amples chez les mono-gastriques que chez les poly-gastriques. Car, par exemple, les bactéries intestinales hydrogénantes de ces derniers transforment en acides gras saturés une fraction notable des acides gras poly-insaturés présents dans leur alimentation, leur faisant par conséquent perdre leur intérêt biologique. Ainsi, dans les meilleures conditions, en nourrissant par exemple les animaux avec des graines de lin ou de colza, la teneur en acide alpha-linolénique est multipliée par environ 2 dans la viande de bœuf, par 6 dans celle de porc, par 10 dans le poulet, par 40 dans les œufs. En nourrissant les animaux avec des extraits de poissons ou d’algues (huiles), la quantité de DHA (acide cervonique, 22:6ω3) est multipliée par 2 dans la viande de bœuf, par 7 dans le poulet, par 6 dans les œufs, par 20 dans le poisson (saumon). Pour obtenir de tels résultats, il ne s’agit que de respecter la physiologie des animaux, ce qui était fréquemment le cas avec les méthodes traditionnelles. Il convient de mettre l’accent sur les poissons, dont la valeur nutritionnelle pour l’homme en termes de lipides (déterminée par la quantité d’acides gras oméga-3) peut varier considérablement selon la nature des graisses avec lesquelles les animaux sont alimentés. L’objectif de prévention de certains aspects des maladies cardio-vasculaires (et d’autres pathologies) peut être atteint ou au contraire contrarié selon la nature des acides gras présents dans la chair de poisson, conséquence directe de la nature des graisses avec lesquelles ils ont été nourris. Il en est de même pour les œufs, les œufs « oméga-3 » étant en fait voisins des œufs naturels \; point de valorisation considérable montrant leur intérêt : ils participent à la formulation de certains laits adaptés pour nourrissons, dont la composition est la plus proche de celle du lait de femme. Les glucides sont présents en quantités relativement faibles chez les animaux, sauf dans certains tissus, dans lesquels la teneur de glycogène n’est pas négligeable. De plus, les concentrations en glucides se modifient selon la qualité et la durée de la maturation après l’abattage, processus indispensable pour permettre de rendre la viande comestible. En tout état de cause, leur présence n’influe que sur les qualités organoleptiques, mais pas sur la valeur nutritionnelle glucidique. Bien que le muscle contienne des quantités importantes de protéines, leurs compositions, c’est-à-dire leurs profils en acides aminés, sont sous contrôle génétique. Pour une espèce donnée (et même une race), les modifications de l’alimentation des animaux peuvent induire des évolutions quantitatives au niveau des protéines, mais peu d’améliorations qualitatives. Une manipulation génétique susceptible d’enrichir en tel ou tel acide aminé indispensable est probablement illusoire, sauf pour le lait. Globalement, en ce qui concerne les mammifères, les oiseaux et les poissons, toutes inflexions importantes des minéraux et des vitamines dans la ration des animaux (par défaut ou par excès) peuvent perturber la physiologie des organes, et par conséquent les performances zootechniques, ce qui relève de l’examen vétérinaire \; exception faite de certaines vitamines lipo-solubles, en particulier de la vitamine E, et, dans une moindre mesure de la vitamine D. Les faibles variations susceptibles d’être éventuellement obtenues ne permettraient toutefois pas de participer significativement à l’amélioration de la couverture de besoins nutritionnels de l’homme. Les produits tripiers font exception, mais ils ne sont plus consommés que marginalement et ne peuvent concourir significativement à la couverture moyenne des besoins en nutriments de l’homme. Toutefois, concernant les poissons, de notables différences peuvent être observées selon les lieux de pêche et les saisons (entre autres), et, par voie de conséquence très probable, selon les élevages (pour les vitamines D et E, l’iode le fer et le sélénium). Pour les œufs, la composition varie beaucoup selon les formulations des aliments donnés aux poules pondeuses (principalement pour les vitamines A, D et E et plusieurs éléments, dont l’iode). Une nouvelle approche se dessine avec les micro-nutriments non indispensables pour l’homme trouvés dans les produits animaux destinés à la consommation humaine. Il s’agit, par exemple, des caroténoïdes liposolubles. Parmi ceux-ci, la lutéine et la zéaxanthine sont présentes dans le jaune de l’œuf, contribuant à sa coloration. Or, des travaux très récents montrent que ces molécules peuvent être quantitativement augmentées dans l’œuf par une alimentation appropriée des poules pondeuses. Point nouveau, la consommation d’œufs ainsi enrichis a permis d’accroître les concentrations des deux caroténoïdes dans le sang de volontaires humains, et par conséquent dans leur rétine. Par ailleurs, on sait que ces substances sont présentes dans l’œil, en particulier dans la rétine. Or, une augmentation de la prise alimentaire de lutéine et de zéaxanthine induit leur accroissement dans la rétine. D’autre part, il est bien connu que la cataracte comme la dégénérescence maculaire liée à l’âge sont presque 2 fois moins fréquentes chez les sujets dont la teneur de ces substances est grande dans le sang, par rapport à ceux dont la teneur est basse. D’autres molécules peuvent être impliquées : les CLA, dont les intérêts sont multiples, en particulier avec leur effet d’augmentation de la masse maigre et de diminution de la masse grasse \; et même peut-être une nouvelle « vitamine » décrite récemment comme telle, la vitamine PQQ (pirroloquinoline quinone), qui relèverait du groupe des vitamines B. Quelle est l’incidence sur les prix payés par les consommateurs ? En fait, pour les acides gras oméga-3, le surcoût reste modeste par rapport au gain considérable de valeur nutritionnelle : ainsi, l’augmentation de 5 % du prix de l’œuf se traduit par une multiplication par 10 de son contenu en acides gras oméga-3, et par conséquent divise par presque autant le prix du gramme d’acide gras oméga-3. Pour le poisson il devrait en être de même [2]. L’acide alpha-linolénique est trouvé de manière très privilégiée dans l’huile de colza, où il est le moins onéreux. Etant donné le déficit considérable des acides oméga-3 dans l’alimentation des Français (moins de 50 % de apports recommandés pour l’acide alpha-linolénique), il convient de promouvoir les aliments qui apportent, quotidiennement dans une ration alimentaire usuelle, plusieurs décigrammes d’acide alpha-linolénique et\\ou quelques centaines de milligrammes d’EPA + DHA, tout en respectant un rapport oméga-6\\oméga-3 proche de 5 et en minimisant les quantités d’acides gras saturés. En alimentation usuelles il s’agit des huiles de colza et de noix (et, dans une moindre mesure, d’huile de soja), des poisson gras \; et, à condition que la nourriture animale ait été correcte, des œufs et des poissons d’élevage.
Abstract
Effect of animal feeding and nutritional value on derived products consumed by humans. Are lipids concerned nearly exclusively ? To what extent does the food given to animals lead to a modification (beneficial or otherwise) of the nutritional value of the food that humans eat ? The answer to this question varies according to the nature of the nutriment : vitamins, minerals, polyunsaturated fatty acids (an indispensable fat), amino acids (protein components, some being indispensable), and also the species. The problem is to determine the true impact of the formulations in chows used on farms and breeding centres on the nutritional value of the products (meat, milk and dairy products, cheese, and eggs, etc), and thus their effect on the health of consumers. Omega-3 polyunsaturated fatty acids have two major virtues. The first lies in their quantitative abundance and their role in the development and maintenance of different organs, primarily the brain. The second is their role in the prevention of different pathologies, mainly the cardiovascular diseases, and more lately the neuropsychiatric disorders, from stress to depression and dementia. Bearing in mind the implications in terms of diseases, cardio-cerebro-vascular among others, control of the nature of fatty acids present in fats thus represents a considerable challenge in the case of meat derived from terrestrial or maritime animals and birds, or indeed of milk, dairy products, cheese, and eggs. Indeed, the quality of fats present in foodstuffs given to animals determines fundamentally the dietary value of the resulting foods intended for human consumption. Of course, it is relatively difficult to modify the fatty acid composition of phospholipids that are components of biological membranes integrated in a multitude of different cell types, whose specificity is largely under genetic control. On the other hand, the nature of fatty acids of reserve triglycerides (found in more or less large amounts depending on the anatomical localisation, that is to say the butcher’s cuts) can vary mainly as a function of the food received by the animal. By controlling this, it is possible to improve the health of consumers. The consequences (qualitative and quantitative) of modifications in the composition of animal foods on the value of derived products consumed by humans are more marked when single-stomach animals are concerned than multi-stomach animals. Because, for example, hydrogenating intestinal bacteria of the latter group transform a large proportion of polyunsaturated fatty acids in their food into saturated fatty acids, thus depriving them of any biological interest. Under the best conditions, and feeding animals with extracts of linseed and rapeseed grains for example, the level of alpha-linolenic acid is increased approximatly two-fold in beef and six-fold in pork, ten-fold in chicken, and forty-fold in eggs. By feeding animals with fish extracts or algae (oils) the level of DHA (cervonic acid, 22:6, n-3) is increased approximately 2-fold in beef, 7-fold in chicken, 6-fold in eggs, and 20-fold in fish (salmon). To obtain such results, it is not sufficient to respect only the physiological needs of the animal, which was generally the case with traditional methods. It is important to stress the role of fish, whose nutritional value for humans in terms of lipids (determined by omega-3 fatty acid levels) can vary considerably according to the type of fats the animals have been fed. The aim of preventing some aspects of cardiovascular disease (and other pathologies) can be achieved, or on the contrary frustrated, depending on the nature of fatty acids present in fish flesh, the direct consequence of the nature of fats with which they have been fed. It is the same for eggs, “omega-3 eggs” being in fact more or less similar to natural eggs \; which is a big point in their favour \; they are used in the formulation of certain formula milks for infants, whose composition is closest to that of breast milk. Carbohydrates are present in relatively low amounts in animals, except in certain tissues in which the level of glycogen is moderate. Moreover, the concentration of carbohydrates changes depending on the quality and duration of the maturing process after slaughtering, an indispensable step for making meat comestible. In any case, the presence of carbohydrates affects only the organoleptic properties, but not nutritional values. Though muscles contain large amounts of protein, their compositions, that is to say their amino acid profiles, are under genetic control. For a given species (and even race), modification of animal feeding can induce quantitative changes at the protein level but little qualitative improvement. Genetic manipulation able to increase one or another indispensable amino acid is probably illusory, except for milk. In general, as far as mammals, birds, and fish are concerned, any major alterations in minerals and vitamins can perturb the physiology of organs, and consequently the results of breeding. Exceptions are some fat-soluble vitamins, in particular vitamin E, and to a lesser extent vitamin D. However, the small variations that might perhaps be obtained would not permit any significant improvement in satisfying the nutritional needs of humans. The tripes are an exception, but their consumption is now marginal, and could not contribute significantly to dietary improvements. Indeed, by adequate feeding of the animals, it is easily possible to change the nutritional value of eggs (mainly at the level of vitamins A, D and E, and for some elements such as iodine) and fish (for vitamins D and E, and many elements, particularly iodine, selenium and iron). A new approach is under investigation using micronutrients that are not indispensable for humans and are found in animal products destined for human consumption. An example are the liposoluble carotenoids. Among these, lutein and zeaxanthine are present in egg yolk and contribute to its colour. Interestingly, recent works have shown that the level of these substances in the egg can be increased by feeding laying hens an appropriate diet. A new find is that eating eggs enriched in this manner has increased the concentration of these two carotenoids in the blood of volunteers, and consequently in their retinas. This means that these substances already present in the eye, in particular in the retina, can be increased by lutein and zeaxanthine. It is well known that cataract and macular degeneration due to age are two-fold less frequent in subjects whose blood level of these substances is high compared to those with low blood levels. Other substances are on the horizon : for example the CLA’s, which have many interesting properties, in particular their effect of increasing lean mass and decreasing fat mass. There is also perhaps also a new vitamin that as been described recently, vitamin PQQ (pirroloquinoline quinone), which would belong to the B group of vitamins. What is the effect on the price paid by the consumer ? In fact, the additional cost is modest compared to the considerable gain in nutritional value. Thus, for an increase of 5 % in the price per egg there is a tenfold increase in omega-3 levels, and consequently an almost equal decrease in the price per gram of omega-3. Results for fish should be similar [2]. In fact, rapeseed oil (canoal oil) is the best and the cheapest food to provide alpha-linolenic acid. Taken into account the important deficit in omega-3 fatty acids in the usual french food (the same is true in most developed countries), less than 50 % of the recommended dietary allowances, il is obliged to promote foodstuff bringing daily, in usual serving, may decigrams of alpha-linolenic acid and\\or few hundred milligrams of EPA + DHA. The ratio omega-6\\omega-3 must be as close as possible of 5 \; saturated fatty acids must be minimized. In usual food, it is rapessed oil (canola oil) and wallnut oil, soyabean oil to a lesser extend, fatty fishes \; and, if animals have been adequately fed, eggs and farmed fishes.
Mots clés : alimentation animale / acides gras oméga-3 / colza / poisson / œuf / CLA / caroténoïdes / valeur nutritionnelle / prix
Key words: Animal feeding / omega-3 fatty acids / canola / rapessed / fish / egg / CLA / carotenoïds / nutritional value / cost
© John Libbey Eurotext 2003
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