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OCL
Volume 21, Number 4, July-August 2014
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Article Number | D404 | |
Number of page(s) | 5 | |
Section | Dossier: Protein sources in animal feed / Les sources de protéines dans l’alimentation du bétail | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ocl/2014017 | |
Published online | 20 June 2014 |
Research Article
L’autonomie alimentaire des élevages bovins français
Feed self-sufficiency in French dairy farms
1
Institut de l’Élevage Monvoisin - BP 85225, 35652
Le Rheu Cedex,
France
2
Institut de l’Élevage 9, Allée Pierre de Fermat, 63170
Aubière,
France
3
Institut de L’Élevage 9, Rue André Brouard - CS 70510, 49105
Angers Cedex 02,
France
* Correspondance :
benoit.rouille@idele.fr
Reçu : 24 Janvier 2014
Accepté : 19 Mars 2014
L’augmentation de la demande mondiale pour les protéines végétales animales à destination de l’alimentation humaine est une véritable opportunité pour la production bovine. En France, les niveaux d’autonomie massique, protéique et énergétique varient d’un système de production laitière à l’autre mais restent plutôt un niveau élevé (88 %, 77 % et 87 % respectivement). Ces niveaux élevés d’autonomie sont fortement impacté par un lien important avec le sol de l’élevage français. Cependant, des voies d’amélioration restent possibles comme l’utilisation de toute l’herbe disponible, en utilisant les ressources de protéines locales (coproduits) et en intégrant les légumineuses dans les rotations de cultures.
Abstract
Increasing global demand for vegetable and animal proteins for human consumption is a real challenge for cattle production. In France, the levels of dry matter, protein and energy feed self-sufficiency vary from a dairy farming system to another but remain rather a high level (88%, 77% and 87%, respectively). These high levels of self-sufficiency are permitted by an important link to the ground. However, areas for improvement remain possible like using more grass available, using local protein resources (by-products) and incorporating legumes in crop rotations.
Mots clés : Autonomie alimentaire / fourrages / concenters / énergie / protéines
Key words: Feed self-sufficiency / roughages / concentrates / energy / proteins
© B. Rouillé et al., published by EDP Sciences, 2014
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.
L’accroissement de la demande mondiale pour les protéines végétales et animales pour l’alimentation humaine, combiné à des aléas climatiques crée des tensions sur les disponibilités et les cours des protéines végétales. Les systèmes laitiers français sont relativement dépendants des protéines extérieures à l’exploitation. Celles-ci représentent en moyenne 23 % de la consommation totale en protéines du troupeau laitier et environ 40 % du coût alimentaire du troupeau mais cela est variable selon les systèmes (Devun et al., 2012). Les exploitations laitières apparaissent donc vulnérables sur ce point. Mais quels sont les niveaux d’autonomie des systèmes bovins en France ?
1 Autonomie ou dépendance ?
En fonction du critère d’évaluation choisi pour caractériser la ration des bovins, on peut parler d’autonomie ou de dépendance. La dépendance fait référence aux achats d’aliments réalisés par un élevage pour nourrir ses animaux, tandis que l’autonomie fait référence aux aliments produits sur l’exploitation (fourrages et concentrés) et consommés. Augmenter l’autonomie alimentaire d’un élevage revient donc à en réduire sa dépendance, en utilisant davantage de fourrages et concentrés produits sur l’exploitation.
L’autonomie alimentaire est définie comme étant le rapport entre les aliments produits sur une exploitation et les aliments consommés par les animaux de cette exploitation. Elle est exprimée en pourcentage. On peut la considérer selon trois entrées :
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L’autonomie massique, qui traite des quantités de matière sèche des aliments (fourrages et concentrés);
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L’autonomie énergétique, qui traite des quantités d’énergie apportée par ces aliments, exprimées en unités fourragères (UFL, unité fourragère lait ou UFV, unité fourragère viande);
-
L’autonomie protéique, qui traite des quantités de protéines apportée par ces aliments, exprimées en MAT (teneur matières azotées totales).
Enfin, l’autonomie doit être ramenée à un dénominateur commun. On peut alors parler d’autonomie pour un atelier de production, un élevage, un département, une région, un pays. Il convient donc de bien définir l’autonomie dont on parle pour bien comprendre et bien interpréter les niveaux exprimés. L’autonomie alimentaire observée dans cet article concerne celle de l’exploitation d’élevage de bovins.
2 Trois enjeux majeurs autour de l’autonomie alimentaire des élevages bovins
Les trois enjeux majeurs autour de l’autonomie alimentaires des élevages bovins sont :
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de limiter les coûts en sécurisant les systèmes d’alimentation notamment face aux aléas climatiques et à la volatilité des prix. Les sources d’approvisionnement, la disponibilité de matières premières et les prix sont des critères de première importance pour traiter de l’autonomie;
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d’améliorer la traçabilité des aliments destinés aux bovins. Ce point s’inscrit clairement dans une démarche d’amélioration continue de l’alimentation des bovins;
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de réduire la dépendance aux protéines importées, en utilisant notamment des tourteaux métropolitains en remplacement des tourteaux de soja importés.
Mais ces enjeux doivent être abordés du point de vue d’un système de production dans sa globalité. En effet, il faut impérativement prendre en compte le contexte pédoclimatique, la structure de l’exploitation, la variabilité annuelle de production fourragère, les choix de l’éleveur, etc.
3 L’élevage bovin français est d’abord lié au sol
L’élevage bovin français est très lié au sol puisque l’herbe sous toutes ses formes représentent en moyenne 64 % (Devun et al., 2012) et l’ensilage de maïs 20 % des aliments consommés par UGB (Fig. 1). Pour les concentrés, les achats sont de l’ordre de 10 % de la consommation de matière sèche totale par UGB, alors que ceux autoconsommés sont de 4 %. Le reste de la ration est composé d’autres fourrages et coproduits-fourrages. Les concentrés consommés sont donc le résultat d’un mélange entre des achats et de la production sur l’exploitation dont la répartition varie par système et par exploitation.
Il existe cependant des différences entre les élevages bovins produisant du lait ou de la viande. En effet, l’alimentation moyenne par UGB est variable, notamment sur la partition entre l’herbe et l’ensilage de maïs, mais aussi sur les quantités de concentrés consommés (Tab. 1).
Fig. 1 Parts des aliments consommés par UGB dans les systèmes bovins français (source : Brunschwig et al., 2012). |
Les éleveurs adaptent la ration quotidienne des bovins avec des aliments concentrés. Ils représentent en moyenne 14 % de l’alimentation. Ils sont produits en moyenne à 28 % sur l’exploitation. La consommation moyenne annuelle de concentrés des troupeaux bovins en France s’établit à 795 kg MS/UGB. Les concentrés sont plus ou moins riches en énergie et/ou en protéines. On y retrouve :
-
des compléments énergétiques simples (céréales le plus souvent produites sur l’exploitation : blé, maïs, orge, triticale) ou des coproduits (déshydratés de pulpes de betteraves...) et des aliments composés (assemblage de plusieurs matières premières, produit par des fabricants d’aliments du bétail);
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des correcteurs azotés simples ou composés sous forme de tourteaux obtenus à partir de graines oléagineuses (colza, soja, tournesol, lin...). Certains correcteurs azotés peuvent être produits sur l’exploitation (tourteau de colza fermier);
-
des aliments minéraux et vitaminiques (AMV), pour combler les déficits (notamment en phosphore et calcium).
Les aliments concentrés sont ainsi composés à 50 % d’aliments non concurrents de l’alimentation humaine (coproduits végétaux : tourteaux, son de blé, drèches, pulpes...), que valorisent très bien les ruminants pour produire du lait et de la viande.
Concernant la consommation de concentrés, il est important de s’arrêter sur la consommation de tourteaux de colza par les bovins. Bien que ces tourteaux soient achetés hors de l’exploitation, ils sont néanmoins produits en France et de ce fait contribuent à l’autonomie alimentaire nationale. Son utilisation est d’ailleurs croissante dans les aliments composés et cette évolution est actuellement en train de se poursuivre, dans le sillage d’un rapport de prix actuellement favorable pour le tourteau de colza par rapport au tourteau de soja (inférieur à 70 % du prix du tourteau de soja). Le tourteau de colza est le tourteau majoritairement utilisés dans les ateliers de fabrication d’aliments pour herbivores.
Fig. 2 Parts des concentrés consommés par UGB dans les systèmes bovins lait et bovin viande. |
4 Un niveau élevé d’autonomie des exploitations bovines françaises
La France atteint en moyenne 88 % d’autonomie massique, 87 % d’autonomie énergétique et 77 % d’autonomie protéique pour ses filières bovines. Pour la ration totale, l’autonomie est donc élevée quant à la matière sèche et l’énergie.
Fig. 3 Nature des principaus tourteaux utilisés dans les aliments composés toutes filières confondues (source : Agreste). |
On constate une différence de 10 points en défaveur de l’autonomie protéique de la ration par rapport à la matière sèche et à l’énergie. Avec une autonomie fourragère proche de 100 % pour les trois composantes, c’est donc du côté des concentrés qu’il faut aller chercher cette différence. En effet, les niveaux d’autonomie pour les concentrés ne sont que de 28 %, 34 % et 18 %, respectivement pour l’autonomie massique, l’autonomie énergétique et l’autonomie protéique. Ces résultats mettent en avant des progrès possibles, notamment autour de la production et de l’utilisation des protéines destinées à l’alimentation des bovins au niveau de la ferme.
Mais ces chiffres moyens cachent une grande diversité de situations en fonction des zones pédoclimatiques, des systèmes d’élevage ou des choix des producteurs. L’autonomie en concentrés dépend donc en premier lieu du système de production de l’élevage. Ceci est illustré dans le cas de systèmes bovins laitiers (Tab. 3).
Niveaux d’autonomie alimentaire des principaux systèmes bovins laitiers français (source : traitement Idele/Cniel/données de Réseaux d’Élevage Bovins Lait, 2012).
L’autonomie fourragère est supérieure à 95 %, rappelant ainsi le lien fort de l’élevage bovin avec le sol et le système fourrager. Elle varie entre années, selon les conditions climatiques, mais reste supérieure à 90 %.
Pour les systèmes laitiers, l’autonomie en concentrés varie de 5 % dans les systèmes de plaine avec beaucoup de maïs fourrage à plus de 30 % pour des systèmes spécialisés herbagers de plaine. Les systèmes de montagne sont intermédiaires, entre 10 et 20 % d’autonomie pour les concentrés; les potentialités de cultures de céréales sont plus limitées, voire nulles dans certaines secteurs. Les systèmes les plus autonomes sont donc ceux qui présentent la plus forte autonomie en concentrés : les systèmes de polyculture-élevage en plaine associant maïs et herbe, et les systèmes herbagers de plaine.
Ces résultats sont du même ordre que ceux obtenus par Paccard et al. (2003). Dans cette étude, l’autonomie globale des systèmes laitiers français était de 86 % pour la matière sèche, 82 % pour l’énergie et 71 % pour les matières protéiques au début des années 2000. L’autonomie en concentrés était de 32 % pour la matière sèche, 34 % pour l’énergie et seulement 20 % pour les matières protéiques. Ce niveau reste du même ordre que celui actuellement constaté. Il avait été montré que le système de production n’a pas d’effet sur l’autonomie en fourrages. Chez les spécialisés lait, les systèmes herbagers et ceux utilisant peu de maïs sont plus autonomes en matières protéiques des concentrés que les systèmes utilisant beaucoup de maïs (24 vs. 9 %). Les différences entre systèmes sont expliquées pour l’essentiel par les variables caractérisant les exploitations, et en particulier celles liées au niveau d’intensification comme le chargement, la production par vache et le concentré par vache.
5 Les facteurs influençant l’autonomie des élevages sont nombreux
Certains facteurs sont peu ou non maîtrisables par l’éleveur. Le contexte pédoclimatique détermine les potentiels de rendements et les possibilités de cultures (herbe, céréales, cultures fourragères) ainsi que les éléments structurels de l’exploitation (accessibilité des parcelles, topographie). De même, les conditions climatiques de la campagne fourragère influencent les niveaux d’autonomie de l’exploitation d’une année sur l’autre.
D’autres facteurs concernent les choix techniques et de système de production faits par l’éleveur en fonction de sa situation et de ses objectifs (types de production, système fourrager, niveau de chargement). Ces choix sont liés à l’environnement socio-économique et réglementaire et aux opportunités d’approvisionnement, notamment en coproduits auprès d’industries agroalimentaires.
6 Des pistes d’amélioration existent
Pour améliorer l’autonomie alimentaire à l’échelle des exploitations bovines, de nombreuses solutions existent :
6.1 Valoriser toute l’herbe produite
L’herbe est un aliment bien équilibré en énergie et en protéines pour les bovins. Elle peut être consommée en pâturage ou sous forme stockée (ensilage, enrubannage, foin). L’herbe pâturée permet d’économiser sur l’utilisation de correcteurs azotés et nécessite une quantité limitée de concentré complémentaire. Un pâturage, même à temps partiel, permet donc de faire consommer aux animaux un fourrage bien équilibré et riche en protéines. Faire pâturer ses vaches laitières 4 h de plus par jour peut permettre d’économiser jusqu’à 1 kg de tourteau de soja par vache et par jour (Delaby et al., 2009).
6.2 Utiliser les associations ray grass anglais – trèfle blanc
Ces associations permettent d’accroitre l’ingestion et les performances des animaux par rapport à un ray grass anglais pur. De plus, elle confère une meilleure souplesse d’utilisation du pâturage. Cette technique est largement développée aujourd’hui.
6.3 Utiliser les grandes légumineuses
Des essais récents ont rappelé l’intérêt tout particulier des légumineuses telles que la luzerne voire le trèfle violet. La luzerne permet, en substitution partielle de l’ensilage de maïs (4−5 kg), de maintenir les performances animales tout en améliorant le niveau d’autonomie (Rouillé et al., 2010). Cela reste globalement vrai pour toutes les formes de distribution humide (ensilage et enrubannage). Les performances sont parfois moindres avec des foins mais la poursuite de travaux de recherche sur les chaînes de récolte devrait lever ce frein.
6.4 Utiliser du tourteau de colza
Pour améliorer l’autonomie de la France, utiliser les tourteaux métropolitains est un bon choix. Le tourteau de colza, grâce à sa disponibilité croissante, est désormais le tourteau le plus consommé par les bovins, contribuant ainsi à limiter la dépendance du pays aux protéines importées. Les performances associées à son utilisation sont tout à fait comparables à celles obtenues avec le tourteau de soja (Onidol, Cniel, Cetiom, Idele, 2012).
6.5 Tester des solutions prospectives
Il existe des innovations qui continuent d’être testées sur différents territoires : la protection des protéines, les associations (maïs-haricot ou sorgho-féverole), les mélanges céréales protéagineux, les nouvelles espèces (chicorée). À plus long terme, il faudra garder un œil sur ces solutions. Les pratiques testées sont évaluées sur plusieurs critères (itinéraire technique, récolte, valorisation par les animaux, travail nécessaire, impact sur l’environnement).
7 Ce qu’il faut retenir
L’autonomie alimentaire pour les systèmes bovins est forte en fourrages, et plus faible et variable en concentrés. Elle dépend fortement des systèmes de production considérés et des choix que font les éleveurs en fonction de leur contexte de production. Les systèmes français sont d’abord et avant tout basés sur les fourrages.
L’autonomie fourragère est élevée et peu différentes entre les systèmes. Cela reflète les choix cohérents dans chaque système de production qui sont faits par les éleveurs.
L’autonomie en concentrés est très variable, surtout en protéines. Cela traduit parfaitement les différentes stratégies de production rencontrées sur le terrain.
L’autonomie protéique dépend fortement du système fourrager et de l’autonomie en concentrés.
Références
- Brunschwig P, Devun J, Guinot C, Ballot N, Bèche J-M, Le Doaré C. 2012. L’autonomie alimentaire des troupeaux bovins en France : état des lieux et perspectives. Plaquette 6 p. [Google Scholar]
- Delaby L, Delagarde R, Peyraud J-L. 2009. Quelle quantité de compléments distribuer aux vaches laitières lors de temps d’accès limité au pâturage ? Renc. Rech. Ruminants 16: 50. [Google Scholar]
- Devun J, Guinot C. 2012. Alimentation des bovins : rations moyennes et autonomie alimentaire. Collection Résultats, Idele, CR 00 12 39 005, 43 p. [Google Scholar]
- Onidol, Cniel, Cetiom, Idele. 2012. Pratiques d’utilisation du tourteau de colza pour les vaches laitières. Plaquette 4 p. [Google Scholar]
- Paccard P, Capitain M, Farrugia A. 2003. Autonomie alimentaire des élevages bovins laitiers. Renc. Rech. Ruminants 10: 89–92. [Google Scholar]
- Rouillé B, Lamy J-M, Brunschwig P. 2010. Trois formes de consommation de la luzerne pour les vaches laitières. Renc. Rech. Ruminants 17: 329. [Google Scholar]
Cite this article as: Benoît Rouillé, Jean Devun, Philippe Brunschwig. L’autonomie alimentaire des élevages bovins français. OCL 2014, 21(4) D404.
Liste des tableaux
Niveaux d’autonomie alimentaire des principaux systèmes bovins laitiers français (source : traitement Idele/Cniel/données de Réseaux d’Élevage Bovins Lait, 2012).
Liste des figures
Fig. 1 Parts des aliments consommés par UGB dans les systèmes bovins français (source : Brunschwig et al., 2012). |
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Dans le texte |
Fig. 2 Parts des concentrés consommés par UGB dans les systèmes bovins lait et bovin viande. |
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Fig. 3 Nature des principaus tourteaux utilisés dans les aliments composés toutes filières confondues (source : Agreste). |
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