Open Access
Issue
OCL
Volume 18, Number 1, Janvier-Février 2011
Dossier : Lipides et inflammation
Page(s) 1 - 9
Section Économie – Développement
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2011.0361
Published online 15 January 2011

© John Libbey Eurotext 2011

En 2007, les émissions mondiales de CO2 imputables aux produits pétroliers et à leurs utilisations se sont élevées à 10,9 gigatonnes (Gt)1. Le secteur du transport représentait 60 % de ce total, soit 6,6 Gt dont l’essentiel (4,8 Gt) pour le seul secteur du transport routier (AIE, 2009). À court et moyen terme, hors les économies d’énergie et à technologies automobiles données, les biocarburants fabriqués à partir de la biomasse apparaissent comme la principale, si ce n’est unique, alternative au pétrole utilisé dans les transports, notamment les transports routiers.

Les utilisations énergétiques des ressources renouvelables devraient fortement croître sur la prochaine décennie, et davantage encore à l’horizon 2050, dans le double contexte d’une demande énergétique à la hausse et d’une raréfaction progressive des ressources énergétiques non renouvelables. La demande alimentaire également augmentera du fait de la croissance démographique (la planète comptera plus de neuf milliards d’humains en 2050, soit près de trois milliards de plus relativement à aujourd’hui), de la croissance économique et d’une urbanisation accrue (deux évolutions qui se traduisent par une modification des consommations alimentaires au détriment des produits végétaux – céréales, racines et tubercules – au profit des produits animaux moins efficaces à transformer l’énergie solaire en calories alimentaires). D’où la question de la capacité de la planète Terre à satisfaire simultanément les besoins alimentaires et non alimentaires (énergétiques pour l’essentiel dans la mesure où les besoins non alimentaires à des fins non énergétiques – les bioproduits – ne devraient mobiliser que peu de surfaces) dans un contexte où le développement devra nécessairement être durable, dans les trois dimensions de l’économie, du social et de l’environnement, au minimum nettement plus durable que celui aujourd’hui à l’œuvre. Le défi est immense; il n’est pas insurmontable pour peu que tous les acteurs se mobilisent et vite (Guyomard, 2009; Guillou, 2010).

Dans cette perspective générale, l’ambition de cet article pourra apparaître bien modeste. Il vise en effet à analyser la concurrence entre usages alimentaires et non alimentaires, notamment à des fins énergétiques, des terres. Plus spécifiquement, on cherchera à apprécier dans quelle mesure, pour un tonnage total donné de biocarburants à l’horizon 2020 ou 2050, la répartition entre, d’une part, les biocarburants de première génération fabriqués à partir des organes de réserve des plantes également utilisés en alimentation humaine et, d’autre part, les biocarburants de deuxième génération qui exploitent la ligno-cellulose de résidus et de déchets, du bois des forêts ou de cultures dédiées, a un impact sur la sécurité alimentaire de la planète et sur les émissions de gaz à effet de serre dès lors que le développement des bioénergies induit des changements d’usage des sols. L’analyse sera menée aux deux horizons 2020 et 2050.

Dans un premier temps, nous rappellerons l’importance actuelle des utilisations de biens agricoles pour la production de biocarburants ainsi que certaines des interrogations dont elles font l’objet. Dans la quatrième partie, nous présenterons les principales conclusions tirées des analyses aux deux horizons temporels.

Les utilisations non alimentaires des produits agricoles pour la fabrication de biocarburants

Des utilisations non alimentaires encore modestes mais en augmentation

En 2008, la production mondiale de biocarburants s’est élevée à 43 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Mtep), soit un peu plus de 2 % des carburants utilisés dans le transport routier, principalement sous forme de bioéthanol aux États-Unis et au Brésil et de biodiesel dans l’Union européenne (UE). Cette production de biocarburants a nécessité 320 millions de tonnes (Mt) de plantes sucrières (17 % de la production mondiale), 100 Mt de céréales (5 %) et 11 Mt d’huiles végétales (9 %). Elle a mobilisé 28 millions d’hectares (Mha), soit environ 3 % des surfaces mondiales en grandes cultures : 13 Mha de céréales, 9,5 Mha d’oléagineux et 5,5 Mha de plantes sucrières (estimations des auteurs). Les surfaces en céréales utilisées à des fins énergétiques peuvent paraître faibles au regard des rendements moyens céréaliers mondiaux de 3,2 tonnes par hectare (t/ha) : sur cette base, il aurait fallu mobiliser 31 Mha. En pratique, l’exigence en terres est moindre car une large part du bioéthanol de céréales est fabriquée à partir de maïs aux États-Unis où les rendements sont nettement plus élevés (9,5 t/ha). Par contraste, les surfaces d’oléagineux mobilisées peuvent paraître importantes en regard des tonnages de biodiesel. Cela résulte du fait que les rendements en huile des graines oléagineuses, notamment des graines de colza et encore plus des graines de soja, sont faibles (respectivement, 42 et 18 %); par suite, les productions d’huiles végétales à l’hectare sont modestes (de 1,2 à 0,6 t/ha)2.

Les tonnages de matières premières agricoles utilisées pour la fabrication de biocarburants restent limités aujourd’hui. Ils connaissent néanmoins un développement rapide depuis le début des années 2000, développement qui s’est en outre accéléré sur les années les plus récentes. En 2008/2009, relativement à la campagne précédente, l’augmentation de la demande mondiale de céréales pour la fabrication de bioéthanol a ainsi été plus élevée que celle de la demande à des fins alimentaires (respectivement, plus 28 Mt et plus 13 Mt; estimation des auteurs). Dans le même temps, la consommation mondiale d’huiles végétales a augmenté de 3,3 Mt pour l’alimentation humaine et de 1,2 Mt pour les autres usages, y compris le biodiesel (estimation des auteurs).

Cette croissance d’un usage non alimentaire particulier des produits agricoles, les biocarburants, fait l’objet de critiques au double titre, d’une part, qu’elle serait une menace pour la sécurité alimentaire mondiale et, d’autre part, que le bilan environnemental, énergétique et économique des biocarburants ne serait pas si favorable qu’initialement espéré.

La première génération de biocarburants au cœur des débats

Les biocarburants aujourd’hui commercialisés sont dits de première génération (1G) car fabriqués à partir des organes de réserve de matières premières végétales terrestres également utilisées pour l’alimentation des hommes, y compris via le filtre de l’alimentation animale : plantes sucrières (canne et betterave à sucre), céréalières (maïs, blé, etc.) et oléagineuses (soja, colza, palme, etc.). La crainte d’une concurrence excessive avec les utilisations alimentaires est vive; elle a atteint un paroxysme pendant la période 2007/2008 durant laquelle les prix agricoles mondiaux, comme ceux d’autres matières premières, ont flambé3; elle perdure aujourd’hui dans le contexte rappelé en introduction où il faudra nourrir plus de neuf milliards d’individus en 2050 tout en respectant l’environnement et les ressources naturelles.

Cette crainte malthusienne se double d’une critique sur le plan environnemental au motif que le bilan des biocarburants 1G en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) serait souvent négatif dès lors que les changements d’usage des terres sont pris en compte. Le bilan GES d’un biocarburant 1G est en effet positif, avec toutefois de fortes variations selon la matière première végétale utilisée comme input, quand l’analyse se situe à surface donnée : l’utilisation d’un litre de biocarburant en substitution d’un volume équivalent d’un carburant fossile permet la réduction des émissions de GES. Le bilan GES est moins favorable, voire devient négatif, si l’hectare de cultures sucrières, céréalières ou oléagineuses implique le retournement d’un hectare de prairies ou le déboisement d’un hectare de forêts (Fargione et al., 2008; Searchinger et al., 2008). Cela est principalement lié à la perte de stockage de carbone par les prairies et les forêts dès lors que la mobilisation d’un hectare de cultures requiert, directement ou indirectement, le sacrifice d’un hectare de prairies ou de forêts4. Cet effet instantané se double d’une perte dynamique liée à l’accroissement de la production biologique des prairies et surtout des forêts qui est ainsi annulé.

L’efficacité énergétique des biocarburants 1G par unité de surface utilisée est en outre modeste, avec sur cet aspect aussi de fortes variations selon la culture utilisée comme matière première. Enfin, les coÛts de production restent élevés, notamment dans un contexte d’augmentation des prix des matières premières agricoles.

Dans ce contexte fortement interrogatif, des voix s’élèvent pour demander un arrêt de la production des biocarburants 1G, au minimum l’assurance que leur développement ne nuit pas à la production de calories alimentaires et la conditionnalité de ce développement à un bilan positif sur les plans environnemental, énergétique et économique. Au-delà des progrès scientifiques et techniques qui pourront être faits sur ces trois points, les espoirs pour le plus long terme se portent sur les biocarburants des générations ultérieures.

Les promesses des biocarburants de deuxième génération5

Alors que les biocarburants 1G sont obtenus à partir des organes de réserve de certaines plantes cultivées, ceux de la deuxième génération (2G) sont fabriqués à partir de la ligno-cellulose. Celle-ci est le principal constituant des parois secondaires des cellules végétales et est donc le constituant le plus abondant de la biomasse dans les zones émergées (Cormeau et Ghosse, 2008).

Trois sources principales de biomasse ligno-cellulosique peuvent être mobilisés pour la 2G, à savoir (i) des résidus ou des déchets d’origine agricole, sylvicole, industrielle, urbaine ou ménagère, (ii) des ressources forestières, i.e., le bois issu des forêts, et (iii) des cultures dédiées qu’il s’agisse de plantes annuelles (utilisation « plante entière » du blé, du maïs, etc.) ou de plantes pérennes fourragères (fétuque, dactyle, ray-grass, etc.), herbacées (miscanthus ou « herbe à éléphant », switchgrass ou « panic érigé », etc.) et arbustives (taillis à courtes et très courtes rotations de peupliers, saules, eucalyptus ou robiniers récoltés tous les trois à dix ans). Deux voies de transformation de la biomasse ligno-cellulosique peuvent être utilisées : d’une part, la voie thermochimique qui correspond à un craquage des molécules sous l’action de la chaleur, et, d’autre part, la voie biochimique qui consiste, une fois la matière première désagrégée, à hydrolyser les sucres complexes de la ligno-cellulose en sucres simples, puis à transformer par fermentation le glucose et les autres sucres simples en éthanol, enfin à séparer ce dernier par distillation des moÛts. Alors que la voie thermochimique nécessite des installations de grande taille et des investissements importants de façon à bénéficier des économies d’échelle, la voie biochimique permet d’utiliser les infrastructures utilisées pour la première génération. Les biocarburants 2G sont actuellement travaillés au sein de plateformes de recherche et de démonstration dans un objectif d’application industrielle et de commercialisation dans une dizaine d’années environ.

Les biocarburants 2G apparaissent prometteurs : matière première potentiellement mobilisable (très) abondante; pas de concurrence directe avec les cultures alimentaires dès lors que la ressource est un résidu, le bois des forêts ou une culture dédiée non alimentaire; meilleure efficacité énergétique (et par suite meilleure efficacité économique) en termes à la fois de rendement de biomasse par unité de surface utilisée et d’efficacité de conversion de cette biomasse en énergie liquide6.

Des promesses à la réalité, il y a un pas qu’il convient de franchir avec prudence. Dans la suite de cet article, nous nous intéressons plus spécifiquement à la concurrence entre usages alimentaires et énergétiques des terres analysée à la lumière de la substitution possible de la première génération de biocarburants par la deuxième aux deux horizons temporels 2020 et 2050.

Dans le cas où la matière première utilisée pour fabriquer un biocarburant 2G est un résidu et/ou un déchet, la question de la concurrence avec une utilisation alimentaire ne se pose pas. On notera cependant l’impact potentiellement négatif de l’enlèvement des résidus agricoles et sylvicoles sur les propriétés microbiologiques et physiques des sols (Powlson et al., 2008). En pratique, les deux questions que pose l’utilisation énergétique des résidus et des déchets sont celles du potentiel de biomasse disponible et du coÛt de cette mobilisation, notamment le coÛt de la collecte (du fait des faibles tonnages à l’hectare, les bassins d’approvisionnement seront grands) et le coÛt du stockage.

Mais dans le cas où la matière première est une culture dédiée, que cette dernière puisse ou non également être utilisée à des fins alimentaires, la question de la compétition avec les utilisations alimentaires des terres se pose dans les mêmes termes théoriques que pour les biocarburants 1G. Les partisans des biocarburants 2G sur la base de cultures dédiées évoquent certes la possibilité de cultiver ces dernières sur des terres « marginales », en quelque sorte impropres (notamment pour des raisons économiques) aux cultures alimentaires. Outre que le potentiel de terres mobilisables à ce titre est mal connu, la nécessité d’une rentabilité économique minimale exigera plus que vraisemblablement qu’une partie au moins de ces cultures dédiées soient implantées sur de bonnes terres permettant d’obtenir des rendements suffisants7. En résumé, la question de l’allocation des terres aux différents usages, alimentaire et non alimentaire, mais aussi récréatif, environnemental, urbain, etc. se pose aussi avec la deuxième génération des biocarburants.

Impacts d’un possible développement des biocarburants à l’horizon 2020 : évaluation à l’aide du modèle économique agricole OLEOSIM

Les travaux de Dronne et al. (2009) permettent d’apprécier les conséquences du développement des biocarburants à l’horizon 2020, plus spécifiquement les effets liés au remplacement des biocarburants 1G par ceux de la deuxième génération. L’analyse est mondiale, à l’horizon 2020. L’attention est centrée sur les marchés des grandes cultures (oléagineux, céréales et plantes sucrières).

Dronne et al. (2009) considèrent trois scénarios de développement des biocarburants. Dans le premier (scénario de référence), la production mondiale de biocarburants est maintenue constante à son niveau de base de l’année 2006, soit 37,3 Mt (25 Mtep) dont 31,4 Mt de bioéthanol et 5,9 Mt de biodiesel. Dans le deuxième scénario noté « scénario 1G », les objectifs politiques d’incorporation affichés par les États à l’échéance 2020, soit 175 Mt (143 Mtep) dont 125 Mt de bioéthanol et 50 Mt de biodiesel, ne sont satisfaits que par des biocarburants 1G. Dans la troisième famille de scénarios notés « 2G à x % », le tonnage total des biocarburants est identique à celui du scénario 1G, mais les biocarburants 1G sont en partie remplacés par ceux de la deuxième génération selon des proportions variables qui définissent les différents scénarios de la famille.

Le scénario de référence décrit la situation en 2020 sous le seul jeu des évolutions tendancielles de l’offre (surfaces et rendements) et de la demande alimentaire mondiale (liée à l’augmentation démographique, des revenus et des demandes animales destinées à satisfaire l’accroissement des consommations humaines de protéines animales). Les offres et demandes sont différenciées par grandes zones géographiques. Il y a alors augmentation des surfaces en grandes cultures (plus 41 Mha relativement à 2006), essentiellement au bénéfice des céréales en dépit d’une demande en produits oléagineux (huiles et tourteaux) en forte hausse pour l’alimentation des hommes et des animaux.

La comparaison des résultats du scénario 1G avec ceux du scénario de référence permet d’analyser comment le développement de la seule première génération des biocarburants, sous l’hypothèse que la deuxième génération n’est pas disponible sur le plan technique ou concurrentielle sur le plan économique, modifie les équilibres des marchés des grandes cultures. Dans le scénario 1G, les surfaces en grandes cultures seraient égales à 960 Mha en 2020, soit plus 46 Mha relativement à 2006 mais seulement plus 5 Mha relativement à la situation à la même échéance dans le scénario de référence. Sur ces 960 Mha, 68 millions (7 %) seraient utilisés pour la production de biocarburants (33 Mha de céréales soit 4 % de la sole mondiale céréalière, 27 Mha d’oléagineux soit 13 % de la sole mondiale oléagineuse, et 8 Mha de plantes sucrières soit 28 % des surfaces mondiales consacrées aux plantes sucrières)8. En pratique, le développement des biocarburants entraînerait une forte baisse des surfaces en grandes cultures destinées à des usages autres que la production de biocarburants, notamment les usages alimentaires : celles-ci seraient égales à 893 Mha en 2020, soit moins 46 Mha relativement au scénario de référence9. Au total, l’hypothèse où les seules forces du marché jouent (aucun renforcement des politiques agricoles pour un objectif de sécurité alimentaire mondiale n’est considéré), le scénario 1G aurait un double impact contraire sur la sécurité alimentaire mondiale en 2020 relativement à la situation à la même date sans développement des biocarburants, via la diminution des surfaces de grandes cultures destinées à l’alimentation et l’augmentation des prix des grandes cultures (toutefois, ceux-ci n’atteindraient pas les sommets de la période 2007/2008).

Dans quelle mesure le remplacement des biocarburants 1G par ceux de la deuxième, pour un tonnage total de biocarburants identique, modifierait-il l’image brièvement décrite ci-dessus ? Premier enseignement : une telle substitution permettrait de réduire l’impact des biocarburants sur la sécurité alimentaire mondiale au sens où les surfaces en grandes cultures destinées aux autres usages que les biocarburants seraient supérieures à celles du scénario où la seule première génération est disponible : le gain serait de 25 Mha au maximum dans un scénario 2G optimiste correspondant à 35 % de biocarburants 2G au niveau mondial et des rendements des cultures dédiées aux biocarburants 2G élevés (25 t MS/ha); le gain serait limité à 10 Mha dans un scénario 2G avec pénétration des biocarburants 2G à hauteur de 30 % au niveau mondial et des rendements des cultures dédiées aux biocarburants 2G plus faibles (12 t MS/ha). L’impact sur l’alimentation humaine se traduirait concrètement en une disponibilité plus importante de céréales, d’huiles et de sucre par rapport à une situation où seuls les biocarburants 1G sont disponibles, surtout dans le scénario 2G « optimiste » (figure 1, panel A). Toutefois, même dans la conjoncture la plus « favorable » considérée par Dronne et al. (2009), les surfaces en grandes cultures consacrées en 2020 aux utilisations autres que les biocarburants (918 Mha) resteraient inférieures à celles observées à la même échéance dans le scénario de référence sans développement des biocarburants (939 Mha)10. En d’autres termes, le développement de la deuxième génération permettrait de modérer l’impact des biocarburants sur la sécurité alimentaire mondiale (ici définie en termes de surfaces de grandes cultures destinées à l’alimentation et de prix de ces grandes cultures); il le modèrerait, mais il ne l’annulerait pas11. En outre, dans la famille de scénarios « 2G à x % », la baisse de la production des coproduits associés aux biocarburants 1G pénaliserait le secteur de l’alimentation animale (et par suite, celui des productions animales) car l’augmentation des disponibilités céréalières et oléagineuses ne permettrait pas de compenser la baisse plus importante des disponibilités en tourteaux et coproduits (figure 1, panel B).

thumbnail Figure 1.

Impact sur l’alimentation humaine et animale du développement des biocarburants de deuxième génération : comparaison d’un scénario 2G « développement de la 2G à 30 % dans le monde et rendements standards » et d’un scénario 2G plus optimiste « développement de la 2G à 35 % dans le monde et rendements élevés » relativement à un scénario 1G « développement de la seule 1G ». Situation en 2020, en millions de tonnes. Source : Dronne et al. (2009). Note de bas de tableau. Pour plus de détails sur la définition des scénarios, voir texte

Utilisations énergétiques de la biomasse à l’horizon 2050 : perspectives et conséquences

La demande de biomasse à des fins énergétiques

L’Agence Internationale de l’energie (AIE) a cherché à quantifier la demande énergétique totale en 2050 en fonction de l’effort de réduction des émissions de GES (AIE, 2008). Cette demande varierait dans une fourchette allant de 640 exajoules (EJ), soit 15,3 milliards de tep (Md tep), dans le scénario le plus optimiste et/ou le plus contraignant en ce domaine (scénario Blue Map), à 950 EJ, soit 22,7 Md tep, dans le scénario de référence du business as usual (scénario Baseline 2050). Le scénario Blue Map correspond à une limitation de la concentration atmosphérique de CO2 à 450 parties par millions (ppm) en 2050, soit une division par deux des émissions de GES par rapport à l’année 2005 (et une réduction de 77 % relativement à la situation en 2050 dans le scénario de référence). Dans ce scénario Blue Map, la demande totale de biomasse à des fins énergétiques (biocarburants et autres utilisations énergétiques) serait égale à 147 EJ (23 % de la demande totale d’énergie primaire), soit un triplement relativement au chiffre de l’année 2006 (49 EJ). Dans les deux autres scénarios, le scénario médian Act Map et le scénario de référence Baseline 2050, la demande totale de biomasse à des fins énergétiques serait également en forte augmentation relativement à 2006 (respectivement, plus 68 EJ et plus 35 EJ). La figure 2 illustre ces chiffres.

thumbnail Figure 2.

Demande d’énergie primaire et demande de biomasse primaire à des fins énergétiques à l’horizon 2050 dans les trois scénarios de l’AIE (en EJ). Source : estimations des auteurs à partir de AIE (2008).

Dans le scénario Blue Map, les réductions d’émissions de GES dans le secteur des transports seraient obtenues pour 52 % grâce à une meilleure efficacité dans l’utilisation des carburants et pour 48 % par le remplacement des carburants fossiles par des substituts, notamment l’électricité, l’hydrogène et les biocarburants. Ces derniers atteindraient un total de 30 EJ (0,7 Md tep), soit 26 % des utilisations mondiales de carburants. Pour parvenir à ce résultat très ambitieux si on le mesure à l’aune de la situation présente, l’AIE fait l’hypothèse que les quantités de biocarburants 1G fabriqués à partir de céréales et d’oléagineux deviendraient nulles dans les années 2040-2045 à l’exception du seul bioéthanol 1G élaboré à partir de la canne à sucre pour un total de 3 EJ en 2050 (10 % des biocarburants à cette date). Dans leur très grande majorité (90 %), les biocarburants (bioéthanol et biodiesel) utilisés en 2050 seraient de la 2G fabriqués à partir de ressources ligno-cellulosiques. Dans le scénario médian Act Map, les biocarburants atteindraient 24 EJ (0,6 Md tep). Dans le scénario de référence Baseline 2050, les utilisations de biocarburants seraient nettement plus faibles (4,2 EJ, soit 0,1 Md tep)12 mais toujours en forte hausse relativement à aujourd’hui.

En résumé, il apparaît donc que les utilisations énergétiques de la biomasse (biocarburants et biocombustibles) devraient croître sensiblement sur les prochaines décennies. L’augmentation sera d’autant plus élevée que la mobilisation politique en termes de réduction des émissions de GES sera importante. Il convient maintenant d’examiner si l’offre de biomasse est suffisante pour satisfaire cette demande.

Le potentiel d’offre de biomasse à des fins énergétiques

La revue de littérature (Forslund et al., 2010) suggère que l’offre potentielle de biomasse à des fins énergétiques est largement suffisante pour répondre aux besoins. Selon certains travaux, l’offre potentielle serait même supérieure à la demande totale énergétique en 2050. Ainsi, Smeets et al. (2007) évaluent le potentiel d’offre de biomasse mobilisable à des fins énergétiques à plus de 1 500 EJ, dont 1 200 proviendraient de cultures dédiées. Hoogwijk et al. (2003) chiffrent ce même potentiel à un peu plus de 1 100 EJ, la plus grande part provenant à nouveau de cultures dédiées. Deux autres études, celle de Fischer et Schrattenholzer (2001) et celle de Berndes et al. (2003), sont moins optimistes avec un potentiel d’un peu plus de 400 EJ, chiffre néanmoins considérable au regard (i) des utilisations actuelles de la biomasse à des fins énergétiques et (ii) de la demande totale énergétique en 2050 dans les différents scénarios de l’AIE.

La forte variabilité des estimations du potentiel selon les études s’explique principalement par les incertitudes relatives à deux paramètres-clés, d’une part, les terres mobilisables à des fins énergétiques et, d’autre part, les rendements des cultures énergétiques (rendement en biomasse et rendement en énergie)13. Les terres mobilisables à des fins énergétiques dépendent des surfaces totales disponibles et au sein de cet ensemble, des besoins de terres pour des usages autres qu’énergétiques, en premier lieu les usages alimentaires, mais aussi les usages sylvicoles, environnementaux, récréatifs, urbains, etc. Le besoin de terres à des fins alimentaires varie en fonction de paramètres de demande (consommations alimentaires totales et répartition de celles-ci entre les différents aliments) et d’offre (rendements des différentes cultures). Il s’agit donc d’une équation à plusieurs inconnues, au minimum à plusieurs facteurs d’incertitude.

De même qu’il y a forte variabilité du potentiel global de biomasse mobilisable à des fins énergétiques selon les études, il y a aussi forte variabilité des potentiels des différentes biomasses, i.e., les résidus et déchets, les ressources forestières et les cultures dédiées. Néanmoins, les importances relatives des différentes catégories de biomasse sont généralement identiques : arrivent en tête les cultures dédiées qui peuvent représenter jusqu’à 97 % du potentiel total chez Hoogwijk et al. (2003), soit 1 098 EJ sur 1 130, et au minimum 44 % chez Fischer et Schrattenholzer (2001), soit 200 EJ sur 450; puis viennent les ressources forestières (bois issu des forêts) et les résidus sylvicoles; et enfin les résidus d’origine agricole14.

Que retenir in fine ? Essentiellement, en dépit de la forte variabilité des estimations, que la biomasse potentiellement mobilisable à des fins énergétiques permettrait de satisfaire la demande de bioénergies de façon générale et la demande de biocarburants en particulier à l’horizon 2050, et même au-delà. Néanmoins, il s’agit-là d’un potentiel de biomasse évalué à l’échelle de la planète, calcul qui occulte les questions de la répartition géographique de ce potentiel et de l’adaptation de l’offre locale à la demande régionale (par pays ou groupes de pays). Les ressources mobilisables en quantités abondantes ne se situant pas toujours dans les zones fortement consommatrices, le recours au commerce international sera nécessaire15. De plus, il convient de distinguer le potentiel d’offre de biomasse mobilisable à des fins énergétiques des perspectives d’utilisation de la biomasse à des fins éponymes. Ces perspectives résultent de la confrontation de l’offre et de la demande de bioénergies, toutes deux sous de multiples influences (politiques publiques, stratégies des acteurs, progrès scientifiques et techniques, etc.). En d’autres termes, les quantités des diverses biomasses utilisées à des fins énergétiques doivent être déterminées de façon endogène par égalité des offres et des demandes correspondantes. L’analyse ne peut pas se limiter au seul marché des bioénergies et doit être menée dans un cadre d’équilibre multiproduits en tenant compte, conjointement et simultanément, des usages alternatifs des terres et des demandes correspondantes (alimentaire, environnementale, récréative, etc.). Tel est l’objet de la sous-section suivante qui s’attache plus particulièrement à apprécier les impacts du développement des bioénergies sur la sécurité alimentaire mondiale et l’environnement (mesuré à l’aune des émissions de GES et de l’évolution de la biodiversité).

Perspectives de développement des bioénergies : impacts sur la sécurité alimentaire et l’environnement

Dans la mesure où la source principale de biomasse mobilisable à des fins énergétiques serait des cultures dédiées (cf. supra), il est clair que la problématique de la compétition entre usages alimentaires et non alimentaires des terres, déjà au cœur du débat aujourd’hui avec les seuls biocarburants 1G (cf. section 1), sera toujours présente avec les biocarburants 2G, en 2020 (cf. section 2) comme en 2050.

C’est dans cette perspective que Fischer (2009) analyse les conséquences du développement des biocarburants à l’horizon 2050 sur la sécurité alimentaire mondiale à cette date (mesurée par les utilisations alimentaires, humaines et animales, des céréales, les prix de ces dernières et le nombre de personnes souffrant de la faim). Fischer (2009) définit deux scénarios correspondant à des taux d’incorporation des biocarburants dans les carburants employés dans le transport routier de 6 % (225 Mtep) et 11,3 % (424 Mtep), respectivement. Ces deux scénarios sont mis en œuvre sous trois hypothèses de remplacement de la première génération de biocarburants par la seconde (à hauteur de 26, 35 et 55 %, respectivement).

Les simulations montrent que le développement des biocarburants aurait un impact doublement négatif sur la sécurité alimentaire mondiale (céréalière), via la baisse des quantités de céréales disponibles pour l’alimentation humaine et animale et via l’augmentation de leurs prix internationaux. Loin d’être négligeables, les effets seraient d’autant plus importants (en valeur absolue) que la part des biocarburants dans les carburants utilisés pour le transport routier est élevée et pour un taux d’incorporation des biocarburants donné, que le développement de la deuxième génération est lent et faible. Dans le scénario le plus défavorable en termes de concurrence avec les grandes cultures alimentaires, scénario correspondant à un taux d’incorporation des biocarburants élevé (11,3 %) dont seulement 26 % de biocarburants ligno-cellulosiques, la production mondiale de céréales augmenterait de 313 Mt et les surfaces en céréales de 48 Mha (relativement au scénario de référence). Mais comme les besoins céréaliers à des fins énergétiques seraient de 446 Mt, les volumes de céréales mobilisables pour l’alimentation humaine et animale reculeraient de 127 Mt ce qui, combiné avec l’augmentation des prix (plus 27 %), aurait pour effet ultime d’augmenter le nombre de personnes souffrant de la faim de plus de 140 millions (en 2050, relativement au scénario de référence). Un développement plus rapide des biocarburants ligno-cellulosiques permettrait de réduire les surfaces céréalières utilisées à des fins énergétiques, d’augmenter les surfaces destinées à l’alimentation directe et indirecte des hommes et in fine de diminuer l’augmentation du nombre de personnes souffrant de la faim. Dans le même scénario d’incorporation des biocarburants à 11,3 % mais avec 55 % de biocarburants ligno-cellulosiques, l’augmentation du nombre de personnes souffrant de la faim serait ainsi « limitée » à 70 millions (en 2050, relativement au scénario de référence).

De leur côté, Melillo et al. (2009a) s’intéressent plus particulièrement aux aspects environnementaux. Plus précisément, ils comparent les effets à l’échéance 2050 de deux scénarios de développement des biocarburants ayant pour objectif de contribuer à la même réduction des émissions planétaires de GES. Dans ce travail, tous les biocarburants seraient de la deuxième génération. En outre, ils ne seraient élaborés qu’à partir de cultures dédiées.

Dans le premier scénario appelé « déforestation », toutes les surfaces peuvent être mobilisées pour la production de biocarburants et d’autres utilisations, dont la production agricole à des fins alimentaires, dès lors que cette mobilisation est économiquement profitable. Dans le deuxième scénario appelé « intensif », les terres aujourd’hui non gérées (les forêts tropicales par exemple) ne peuvent être mobilisées que partiellement, soit en respectant les taux de changement des usages des terres observés dans le passé. Dans les deux scénarios, le développement (économique) des biocarburants 2G serait important et d’un même ordre de grandeur (141 EJ dans le scénario de déforestation et 128 EJ dans le scénario intensif, soit plus de 10 % de la demande énergétique totale projetée pour 2050); les surfaces mobilisées à cette fin seraient également importantes et de même ampleur (1,48 et 1,39 Md ha, respectivement).

Dans le premier scénario de déforestation, les surfaces agricoles augmenteraient de 1,73 Md ha entre 2000 (4,2 Md ha) et 2050 (5,93 Md ha) sous le double jeu de la croissance des cultures alimentaires (de 1,61 à 2,0 Md ha) et surtout des cultures énergétiques dédiées (de 0 à 1,48 Md ha) non compensée par la très faible baisse des surfaces pâturées (de 2,58 à 2,45 Md ha). Le développement des biocarburants aurait un impact négatif sur les émissions de GES, la dette carbone sur 2000-2050 étant de 103 Pg C, sous l’effet premier de la déforestation des forêts tropicales en Amérique latine, en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud-Est (Fargione et al., 2008; Searchinger et al., 2008)16,17. L’impact sur la biodiversité serait également négatif, notamment en Amérique latine (diminution des forêts naturelles de 520 Mha et des autres surfaces boisées de 60 Mha) et en Afrique subsaharienne (diminution des forêts naturelles de 310 Mha et des autres surfaces boisées de 120 Mha).

Dans le scénario intensif, les terres agricoles seraient égales à 4,98 Md ha en 2050, soit plus 0,79 Md ha relativement à l’année de base 2000 mais moins 0,95 Md ha relativement au scénario de déforestation à la même échéance de 2050 : en pratique, la forte baisse des surfaces pâturées (de 2,58 à 1,79 Md ha) est néanmoins insuffisante pour compenser la hausse des terres consacrées aux cultures alimentaires (de 1,61 à 1,8 Md ha) et surtout aux cultures énergétiques dédiées (de 0 à 1,39 Md ha). La réduction de la biodiversité, mesurée en termes de diminution d’aires naturelles désormais allouées aux cultures alimentaires, aux cultures énergétiques ou aux pâtures, serait plus faible dans le scénario intensif que dans le scénario de déforestation. Elle serait néanmoins toujours significative avec, par exemple, baisse des terres forestières et boisées de 160 Mha en Amérique latine et de 270 Mha en Afrique subsaharienne. Un bilan plus complet exigerait de tenir compte, d’une part, de la conversion d’environ 800 Mha de prairies en cultures alimentaires ou énergétiques et, d’autre part, des conséquences environnementales de l’intensification des techniques et pratiques agricoles. En pratique, c’est essentiellement au niveau du bilan et de la dette carbone que les deux scénarios diffèrent : sur la période 2000 à 2050, la dette carbone du scénario intensif, respectant les taux de changement d’usage de sols observés dans le passé, serait de 34 Pg C, soit une dette plus de trois fois plus faible que celle du scénario de déforestation.

Conclusion

On résumera l’analyse de la façon suivante.

Les biocarburants de seconde génération élaborés à partir de divers résidus, ainsi que du bois des forêts ou de cultures dédiées qui ne rentreraient pas en concurrence directe avec les cultures destinées à l’alimentation des hommes et/ou des animaux, apparaissent prometteurs. En pratique, ils posent également des problèmes. En effet, l’absence de concurrence directe pour l’usage des terres ne signifie pas qu’il n’y a pas concurrence indirecte dans la mesure où les cultures dédiées et les forêts (sous l’hypothèse d’une expansion des surfaces forestières pour répondre à la demande énergétique) requièrent des surfaces. Analyser cette concurrence indirecte est d’autant plus important que la demande de biomasse à des fins énergétiques devrait être élevée sur les prochaines décennies et que la première source de biomasse mobilisée à cette fin devrait être des cultures dédiées.

L’analyse montre néanmoins qu’une pénétration notable du bioéthanol 2G permettrait d’atténuer les effets potentiellement défavorables d’un développement important de la seule première génération de bioéthanol sur la sécurité alimentaire mondiale (mesurée par les productions agricoles disponibles pour l’alimentation humaine et animale, et les prix de ces productions agricoles) et sur le bilan environnemental (en termes d’émissions de GES). Cette atténuation serait d’autant plus forte que les rendements (en biomasse et en énergie) des biocarburants de deuxième génération seront élevés et que les cultures dédiées pourront être produites sur des terres « marginales » non occupées aujourd’hui par les cultures et les forêts. Condition qui renvoie à la question de la quantification de ces terres « marginales » et à la possibilité de leur exploitation durable sur le triple plan économique, social et environnemental. Force est de reconnaître qu’il s’agit-là d’un (vaste) domaine où les inconnues sont nombreuses. Par ailleurs, l’effort de recherche et de développement devra aussi porter sur la « biomasse hors sol » produite à partir des résidus et des déchets de diverses sources (notamment dans l’objectif de réduire les coÛts de collecte et de stockage) et sur la gestion durable des forêts de façon à valoriser au mieux le potentiel que ces dernières représentent en termes d’usages traditionnels du bois, de surplus de croissance et de résidus mobilisables pour une exploitation à des fins énergétiques, ainsi que de satisfaction de fonctions environnementales (puits de carbone).

Il convient également de tenir compte des coproduits de la transformation des plantes sucrières, des céréales et des graines oléagineuses en biocarburants; ces coproduits valorisés par l’alimentation animale dans le cas des biocarburants 1G seraient en quelque sorte « perdus » avec les biocarburants 2G. Par ailleurs, dans tous les pays, le développement des biocarburants satisfait également des objectifs politiques et/ou géostratégiques. Ainsi, dans l’UE, outre la moindre dépendance au pétrole importé et la réduction des émissions de GES, la politique de développement des biocarburants vise simultanément à soutenir les revenus agricoles et à réduire le déficit européen en matières riches en protéines.

Faut-il rejeter les biocarburants de première ou de deuxième génération au motif qu’en l’absence de progrès scientifiques et technologiques significatifs, ils pourraient avoir un impact défavorable sur la sécurité alimentaire mondiale, que leur bilan environnemental en termes d’émissions de GES serait modeste, voire négatif, si les modifications induites d’usage des sols sont (trop) importantes, que les politiques publiques de promotion seraient coÛteuses, etc. Nous ne le pensons pas. Ceci parce que les défis alimentaire (nourrir plus de neuf milliards de personnes à l’horizon 2050) et environnemental ne doivent pas occulter le défi énergétique lié à la raréfaction des ressources fossiles, en premier lieu le pétrole. Pour faire face au défi énergétique, il faut agir simultanément à la demande, en favorisant les économies d’énergie, et à l’offre en développant des alternatives au pétrole pour peu que celles-ci soient respectueuses de l’environnement et rentables d’un point de vue économique (cette rentabilité étant variable en fonction du cours du pétrole).

En d’autres termes, c’est de façon conjointe et simultanée qu’il convient d’examiner la capacité de la planète à relever les défis alimentaire, environnemental et énergétique (ainsi que celui des inégalités de développement économique et social entre pays du monde et à l’intérieur d’un pays donné, entre les différentes catégories de population).


1

Les émissions mondiales de CO2 tous secteurs pris en compte étaient de 29 Gt en 2007.

2

Ces chiffres correspondent, pour le colza à un rendement moyen en graines de colza dans l’UE de 3 t/ha multiplié par un rendement en huile de la graine de 42 %, pour le soja à un rendement en graines de soja aux États-Unis de 3,1 t/ha multiplié par un rendement en huile de 18 %.

3

De nombreuses études ont cherché à analyser et quantifier le rôle des biocarburants dans la hausse des prix agricoles en 2007/2008 (Abbott et al., 2008; Collins, 2008; Mitchell, 2008; Rosegrant, 2008). De ces études, on retiendra que les biocarburants ont leur part de responsabilité dans un ensemble de facteurs structurels et conjoncturels (Guyomard, 2009). Les résultats de ces études montrent surtout qu’il n’est pas possible, en l’état actuel des connaissances, de dégager les responsabilités quantitatives respectives des différents déterminants qui ont joué à la hausse sur les prix agricoles en 2007/2008.

4

La réquisition est directe si l’hectare de cultures énergétiques remplace un hectare de prairies ou de forêts. Elle est indirecte si l’hectare de cultures énergétiques remplace un hectare de cultures alimentaires mais la satisfaction des besoins alimentaires et/ou le contexte économique, notamment celui des prix agricoles, incitent à (re)positionner cet hectare de cultures alimentaires sur des terres auparavant consacrées aux prairies ou aux forêts (sur ce point voir par exemple, Morton et al. (2006) qui analysent l’impact du prix élevé du soja sur la déforestation au Brésil).

5

Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons uniquement aux biocarburants dits de deuxième génération dans la mesure où ceux dits de la troisième génération n’en sont qu’au stade de la définition et de la recherche; il s’agit, par exemple, de production d’hydrogène ou d’huile à partir d’algues macro- et micro-cellulaires.

6

Selon Melillo et al. (2009b), le rendement en tonnes de matière sèche par hectare (t MS/ha) d’un eucalyptus serait de 23 t MS/ha alors que celui du maïs ne serait que de 6,5 t MS/ha. L’efficacité de conversion de la biomasse issue de l’eucalyptus en biocarburants (gazéification Fischer Tropsch) serait également beaucoup plus élevée que celle du maïs (respectivement, 194 et 22 GJ/ha – giga-joules par hectare). L’efficacité de la conversion en biomasse liquide devrait augmenter pour les deux ressources; le rendement exprimé en t MS/ha devrait également croître (même doubler) dans le cas de l’eucalyptus, mais stagner ou seulement faiblement augmenter dans le cas du maïs : l’avantage de l’eucalyptus relativement au maïs, dit autrement du biocarburant 2G relativement au 1G, devrait donc s’accentuer dans le futur.

7

Sauf à imaginer des politiques publiques dispendieuses visant à compenser la faiblesse des rendements sur des terres marginales.

8

En 2006, 16 Mha de grandes cultures (sur un total de 914) étaient destinées à la production de biocarburants (6,5 Mha de céréales, 6,9 Mha d’oléagineux et 2,6 Mha de plantes sucrières).

9

Ou moins 6 Mha relativement à 2006.

10

Dans l’hypothèse d’une substitution à 30 %, les surfaces en grandes cultures consacrées aux utilisations autres que les biocarburants seraient seulement d’un peu plus de 900 Mha en 2020.

11

Une analyse plus complète des besoins en terres induits par les biocarburants nécessiterait également de tenir compte des terres destinées aux biocarburants 2G non prises sur les grandes cultures (environ 4 Mha dans le scénario le plus favorable) à prélever sur les surfaces en prairies, forêts, etc.

12

Estimation des auteurs à partir de AIE (AIE, 2008).

13

Le rendement en biomasse correspond à la quantité de matière sèche produite par hectare cultivé. Le rendement en énergie est défini comme le rapport entre la valeur énergétique produite par unité de matière sèche (numérateur) et la valeur énergétique nécessaire pour produire cette unité de matière sèche (dénominateur); son calcul nécessite de connaître (ou de faire des hypothèses si on se situe dans l’avenir) l’efficacité du processus de transformation de la matière sèche en énergie.

14

Les contributions potentielles des résidus urbains, industriels et ménagers sont rarement précisées. Cela laisse entendre qu’elles seraient modestes, très vraisemblablement inférieures à celles des résidus agricoles et sylvicoles.

15

À l’horizon 2050, les ressources en terres et donc les potentiels de production de biomasse seront principalement concentrés dans trois zones, soit l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine et l’ex-Union soviétique (Smeets et al., 2007). À cet horizon, la demande d’énergie pour les transports proviendra surtout de l’Amérique du Nord, de l’Europe, de l’Asie de l’Est et du Sud, ainsi que de la Russie (Fischer, 2009).

16

1 Pg = 1015, g=1, Gt=109 tonnes métriques.

17

La diminution du stockage de carbone terrestre associée au développement des biocarburants et aux changements d’usage des terres induits est communément appelée « dette carbone ». Au cours du temps, pour une utilisation des terres inchangée, cette dette carbone diminue et peut s’annuler si les émissions de GES liées à la production et à l’utilisation des biocarburants sont inférieures aux émissions des carburants fossiles qu’ils remplacent.

Références

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Pour citer cet article : Dronne Y, Forslund A, Guyomard H. Les biocarburants de deuxiéme gén_eration et la compétition pour l’usage des terres. OCL 2011; 18(1) : 1–9. doi : 10.1051/ocl.2011.0361

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

Impact sur l’alimentation humaine et animale du développement des biocarburants de deuxième génération : comparaison d’un scénario 2G « développement de la 2G à 30 % dans le monde et rendements standards » et d’un scénario 2G plus optimiste « développement de la 2G à 35 % dans le monde et rendements élevés » relativement à un scénario 1G « développement de la seule 1G ». Situation en 2020, en millions de tonnes. Source : Dronne et al. (2009). Note de bas de tableau. Pour plus de détails sur la définition des scénarios, voir texte

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

Demande d’énergie primaire et demande de biomasse primaire à des fins énergétiques à l’horizon 2050 dans les trois scénarios de l’AIE (en EJ). Source : estimations des auteurs à partir de AIE (2008).

Dans le texte

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