Open Access
Issue
OCL
Volume 17, Number 3, Mai-Juin 2010
Dossier : Tournesol : champs de recherche
Page(s) 127 - 132
Section Agronomie – Environnement
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2010.0313
Published online 15 May 2010

© John Libbey Eurotext 2010

L’Union européenne a mis en place une politique de développement des biocarburants, dans le but de réduire la dépendance à l’égard des importations d’énergies non renouvelables et de contribuer à diminuer les émissions de gaz à effet de serre (GES). En 2003, une Directive européenne (2003/30/CE) a fixé un objectif d’utilisation de 5,75 % de biocarburants d’ici 2010 (objectif réévalué à 7 % en France). Elle indiquait également que cette politique de développement devrait être accompagnée par une analyse des incidences environnementales, économiques et sociales, pour vérifier l’intérêt des biocarburants sur l’énergie et les GES, et pour s’assurer qu’il n’y aurait pas de conséquences indésirables sur d’autres enjeux. En 2009, une nouvelle Directive (2009/28/CE) a confirmé la politique énergétique de l’Union européenne, en fixant pour 2020 un objectif de 20 % d’énergies renouvelables tout secteur confondu, et de 10 % dans les transports. Cette nouvelle réglementation a également établi des critères de durabilité, en particulier un objectif de réduction minimale d’émissions de GES par rapport aux énergies non renouvelables (–35 % en 2013 pour les unités de production déjà en place en janvier 2008, ou dès 2010 pour les unités plus récentes, puis –50 % à partir de 2017).

En France, dans le cadre du « Grenelle de l’environnement », une expertise exhaustive et contradictoire du bilan écologique et énergétique des biocarburants de première génération a été demandée. La finalité est de déterminer s’il est opportun de faire évoluer les objectifs de développement des biocarburants. Cette expertise, coordonnée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) et confiée à BIO intelligence service, a eu lieu et vient d’être rendue publique (BIO IS, 2010). Les principaux résultats de cette étude ont été présentés dans la presse généraliste, mais la diversité d’interprétation a de quoi surprendre. Par exemple, alors que le Monde titre « Les agrocarburants ne sont pas si “verts”, confirme l’Ademe » (Caramel, 2010), le Figaro préfère souligner que « le ministre de l’Agriculture soutient les biocarburants “en s’appuyant” sur un nouveau rapport de l’Agence de la maîtrise de l’énergie » (Mennessier, 2010). Les affirmations des acteurs du monde agricole sont encore plus contradictoires. La filière betteravière affirme par exemple que « les bilans positifs du bioéthanol [sont] confirmés par l’Ademe » (Massin, 2010), alors que « pour la confédération paysanne, l’étude publiée par l’Ademe sur les biocarburants de première génération est erronée. » (AGRA Presse, 2010).

Qui croire ? Pourquoi ? Il est bien difficile de répondre à ces questions sans une analyse fine et globale des résultats de l’étude réalisée par BIO intelligence service (BIO IS, 2010). C’est ce que propose cet article. À partir de l’exemple des résultats de l’ester méthylique d’huile végétale (EMHV) de colza, appelé également biodiesel de colza, des éléments d’interprétation et les incertitudes sont présentés, en se basant notamment sur la description de la méthode d’évaluation environnementale qui a été utilisée, sur la revue critique de l’étude qui a été confiée à un cabinet indépendant, ainsi que sur les commentaires des membres du comité technique de l’étude.

Analyse de cycle de vie (ACV), une méthode normalisée pour étudier l’impact environnemental d’un produit

La méthode utilisée pour étudier le bilan écologique et énergétique des biocarburants de première génération (BIO IS, 2010) est celle de l’ACV, car elle est particulièrement bien adaptée à la comparaison globale de l’impact environnemental de deux produits (en l’occurrence, un biocarburant et un carburant d’origine fossile) (Wikipedia, 2010).

L’objectif d’une ACV est de fournir un moyen efficace et systématique pour évaluer les impacts environnementaux d’un produit, d’un service ou d’un procédé. C’est une méthode couramment utilisée en gestion de l’environnement, notamment depuis sa normalisation (série des normes ISO 14040). La première particularité d’une ACV est d’évaluer les impacts environnementaux liés à une fonction (par exemple, « transporter une personne sur une distance de 1 km »), ce qui permet de comparer des produits différents (par exemple des moyens de transport différents). La deuxième particularité d’une ACV est d’être une évaluation globale. Tous les impacts potentiels sont, en effet, analysés du « berceau à la tombe », c’est-à-dire durant toute la vie du produit. Il est ainsi possible de détecter qu’un produit A est meilleur qu’un produit B pour certains impacts environnementaux, mais moins bon pour d’autres, ou qu’une amélioration d’une étape de fabrication d’un produit, dans le but de réduire un impact environnemental, engendre des transferts de pollution vers d’autres impacts ou d’autres étapes de la vie du produit.

Les différentes étapes de l’ACV sont :

  • la définition des objectifs et du champ de l’étude (norme ISO 14041) ;

  • l’inventaire et l’analyse de l’inventaire (norme ISO 14041) ;

  • l’évaluation de l’impact (ISO 14042) et l’interprétation des résultats (ISO 14043).

Objectifs et champ de l’étude des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France

Cette première étape de l’ACV consiste à définir pour qui et pour quoi l’étude est réalisée. Il s’agit de déterminer si l’étude est interne ou si elle doit être rendue publique, et si elle servira à identifier les principaux impacts, à améliorer un produit existant ou à choisir entre plusieurs produits. La fonction et sa quantification (choix de l’unité fonctionnelle), le flux de référence (quantité de produit analysé et de consommables utilisés pour les besoins de l’unité fonctionnelle) et les frontières du système (frontières au-delà desquelles la recherche d’informations ne s’aventurera pas) sont également définis lors de cette première étape.

L’étude des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France a été réalisée pour le compte de l’Ademe, du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche, du ministère de l’Environnement, de l’Énergie, du Développement durable et de la Mer et de France Agrimer. Sa vocation était évidemment d’être rendue publique. Elle répondait aux recommandations du Grenelle de l’Environnement qui demandaient de réaliser une étude contradictoire qui prenne en compte les différents aspects du sujet : GES, impact sur l’utilisation de l’eau, incidence sur la disponibilité des terres fertiles et sur le prix des produits agricoles. Pour respecter le caractère contradictoire de l’étude et ainsi éviter les écueils et les critiques, les pouvoirs publics français ont d’abord souhaité disposer d’un référentiel méthodologique qui soit partagé par l’ensemble des parties prenantes (BIO IS, 2008). Dans cette étude préalable, et dans la réalisation de l’ACV, un comité technique pluraliste a donc été constitué. Il comprenait notamment des associations qui avaient critiqué la politique de développement des biocarburants. L’ACV a par ailleurs été soumise à une revue critique qui a souligné que la démarche pour obtenir des données a été exhaustive, impliquant l’ensemble des parties prenantes. On peut donc conclure que les pouvoirs publics ont mis en œuvre tout ce qui était possible pour respecter le caractère contradictoire de l’étude. L’association FNE a cependant fait part de son mécontentement sur ce point, soulignant que la plupart des propositions des ONG n’avaient pas été retenues et que les échanges avaient été insuffisants.

L’unité fonctionnelle utilisée pour l’étude était de « permettre le déplacement d’un véhicule sur 1 km », mais les résultats ont été présentés dans une autre unité en les ramenant « par MJ de carburant consommé » pour permettre la comparaison avec les autres études sur les biocarburants. Les frontières du système analysé allaient du champ au réservoir. L’amortissement du matériel et des bâtiments n’a cependant pas été pris en compte, parce que les impacts liés à l’amortissement sont relativement faibles, et pour permettre une comparaison non biaisée avec la filière fossile dont les résultats d’ACV ignorent ce poste.

Inventaire et analyse de l’inventaire de l’étude des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France

Cette phase consiste à inventorier tous les flux à l’intérieur et à l’extérieur du système d’étude. Il s’agit des flux économiques (matière, énergie, services, etc.) et des flux échangés avec l’écosphère (matières premières, déchets et émissions).

Dans l’ACV des biocarburants de première génération (BIO IS, 2010), l’inventaire des flux de l’étape agricole a été basé sur des données statistiques officielles du ministère de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Pêche (SCEES), complétées par des données fournies par les instituts techniques agricoles. Les deux sources d’information ont été comparées pour vérifier leur cohérence. Par exemple, la dose d’engrais azoté minéral appliquée en colza, utilisée pour l’étude provient des statistiques du CETIOM, car cette information est plus récente que celle du SCEES, mais la comparaison des deux sources a montré que les valeurs étaient très proches. Les données pour les étapes industrielles et les transports ont été fournies par les industriels, car il n’existe pas de statistiques officielles représentatives. Les principales données utilisées pour le colza sont présentées dans le tableau 1.

Tableau 1.

Principales données pour la filière EMHV colza (étude BIO IS, 2010).

L’inventaire des intrants utilisés a été examiné attentivement par les associations qui ont contesté un certain nombre de chiffres. En ce qui concerne la filière biodiesel de colza, le seul point de désaccord qui demeure concerne le devenir de la solution de glycérol. En conséquence, on peut conclure que l’inventaire est largement consensuel pour cette filière. L’impact lié à la fabrication des intrants utilisés a été quantifié à l’aide de la base de données Ecoinvent, mise à jour avec des informations plus récentes en ce qui concerne les engrais ammonitrate et phosphore. L’utilisation de la base de données Ecoinvent, qui est l’une des plus reconnues dans le monde, apporte une garantie sur la robustesse des valeurs.

Si l’inventaire des intrants et les valeurs d’impacts liés à leur fabrication sont peu discutables, il en va tout autrement de certains flux vers l’écosphère. En ce qui concerne l’évaluation de l’intérêt des biocarburants pour préserver les énergies fossiles et lutter contre le changement climatique, il y a deux sources majeures d’incertitude : l’estimation de l’émission de protoxyde d’azote (N2O) par les sols et l’estimation des émissions de GES liées au changement indirect d’affectation des sols (CAS indirect).

Le N2O est un puissant GES (pouvoir de réchauffement global 296 fois supérieur à celui du CO2) qui, d’après l’inventaire national 2007 de la France, représente 12 % du pouvoir de réchauffement global tous secteurs confondus, dont les trois quarts proviennent du secteur agricole (source : Citepa). Les émissions de N2O par les sols sont très mal connues, car trop peu de données mesurées sont disponibles. En conséquence, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) propose, pour réaliser les inventaires nationaux d’émission de GES, une méthode « de niveau 1 » basée sur les données disponibles à l’échelle mondiale. Cette méthode consiste à multiplier les apports d’azote minéraux et organiques (apports exogènes et restitution des résidus de culture) par des coefficients d’émissions. Le GIEC recommande cependant aux pays qui disposent de mesures suffisantes de mettre au point des méthodes de « niveau 2 » (coefficients d’émissions locaux en remplacement des coefficients mondiaux) ou de « niveau 3 » (simulations avec un modèle) pour réaliser des inventaires plus représentatifs de leur situation nationale. La France, qui ne dispose pas de données mesurées suffisantes, utilise la méthode de niveau 1 du GIEC. Les émissions de N2O estimées pour notre pays proviennent donc d’un calcul avec une méthode valable à l’échelle mondiale, dont l’incertitude est très élevée. Par exemple, le cœfficient d’émission directe est de 1 % avec un intervalle de confiance de 0,3 à 3 % !

L’étude des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France (BIO IS, 2010) utilise les coefficients de niveau 1 du GIEC pour estimer les émissions de N2O, avec cependant une adaptation à la situation française pour deux postes de calcul :

  • apport d’azote lié à la restitution des résidus de culture;

  • lessivage de nitrate qui contribue au calcul des émissions indirectes (augmentation de l’émission des milieux naturels causée par leur enrichissement en azote à cause du lessivage de nitrate et de la volatilisation de l’ammoniac et des oxydes d’azote en provenance des parcelles cultivées).

Le choix de la méthode de niveau 1 dans l’étude de BIO IS, 2010 se justifie par son caractère officiel, alors que d’autres études ont privilégié l’utilisation de coefficients ou d’un modèle de simulation non reconnu par le GIEC. Par exemple, la précédente étude, réalisée à la demande des pouvoirs publics français et coordonnée par l’Ademe et la Direm (PriceWaterhouseCoopers, 2002), utilise les coefficients d’émissions publiés par Skiba et al., (1996), tandis que les valeurs par défaut de la Directive européenne 2009/28/CE (Annexe V) sont basées sur l’utilisation du modèle Denitrification-Décomposition (DNDC) (Li et al., 1992). Le choix de l’étude de BIO IS, 2010 est également justifié par la volonté d’avoir une position prudente par rapport au risque de sous-estimer l’impact GES des biocarburants, puisque les émissions calculées avec la méthode de niveau 1 du GIEC font partie des valeurs hautes. Pour le colza par exemple, les émissions calculées par BIO IS, 2010 sont plus élevées que celles de l’étude PriceWaterhouseCoopers, 2002 ou que celles publiées dans l’annexe V de la Directive 2009/28/CE.

La question de l’estimation des conséquences du CAS indirect est encore plus délicate à régler que celle du N2O. Il s’agit de considérer l’éventuelle extension des surfaces cultivées causée par l’utilisation pour les biocarburants de produits auparavant utilisés pour d’autres usages, notamment l’alimentation. Par exemple, l’utilisation de l’huile de colza pour produire du biodiesel pourrait limiter l’approvisionnement pour l’alimentation humaine, et en conséquence augmenter la demande en huile de palme et les surfaces de cette production au détriment de la forêt. Ce changement indirect d’usage des terres causerait l’émission d’une partie du carbone stocké dans l’écosystème forestier, dont il faudrait tenir compte dans le bilan GES des biocarburants. En l’absence de modélisation faisant référence sur la question du CAS indirect, les auteurs de l’étude des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France (BIO IS, 2010) ont préféré aborder cette question de façon plus modeste à travers une analyse de sensibilité servant à alerter sur les ordres de grandeur des impacts. Ces auteurs insistent sur le fait que ces valeurs ne prétendent pas être la traduction quantifiée de la réalité actuelle et doivent être lues comme des scénarios envisageables.

En ce qui concerne l’analyse de la filière pétrolière, dont les résultats ont été comparés à ceux des biocarburants, les inventaires Ecoinvent de la phase d’extraction du pétrole ont été utilisés. Les différentes origines géographiques du pétrole ont été prises en compte, avec une pondération en fonction des volumes de brut importés en France. L’émission des raffineries a été estimée à partir des valeurs par étape de raffinage dans le cas d’une unité moyenne européenne. Le groupe Total qui participait au comité technique a regretté l’utilisation de la base de données Ecoinvent, car son origine et son contenu ne sont pas toujours clairs, notamment pour le cas du raffinage. La revue critique a également regretté que les données provenant d’acteurs industriels pétroliers n’aient pas été utilisées pour les rendre comparables aux données des biocarburants. Ces limites de l’étude ne sont cependant pas de nature à remettre en cause les conclusions. En conséquence, compte tenu de la position prudente sur la question des émissions de N2O, parmi les données d’inventaire seule la question du CAS indirect pourrait dégrader significativement le bilan GES des biocarburants.

L’étape d’inventaire de l’ACV présente une autre difficulté dans le cas de processus multifonctionnels (qui fournit plusieurs produits). Il est alors nécessaire de répartir les résultats de l’inventaire entre le produit principal, en l’occurrence le biocarburant, et les coproduits. Plusieurs approches sont possibles. L’approche par division consiste à séparer les processus multifonctionnels en processus monofonctionnels, et ainsi à exclure les processus qui n’entrent pas directement dans la chaîne du produit étudié. C’est l’approche à privilégier si c’est possible, mais elle n’est pas envisageable dans le cas de la production de biocarburant. L’approche par extension des frontières peut s’appliquer si le coproduit peut être réalisé par un processus monofonctionnel. Dans ce cas, les frontières sont étendues à ce processus monofonctionnel et on soustrait les impacts de ce dernier au processus multifonctionnel. Cela oblige cependant à réaliser une analyse plus complexe, voire à faire des hypothèses simplificatrices quand un coproduit peut remplacer toute une gamme d’autres produits. C’est notamment le cas de la glycérine produite lors de la fabrication du biodiesel. C’est pourquoi cette approche n’a pas été retenue dans l’étude BIO IS, 2010. Il ne restait donc que l’approche par imputation qui consiste à répartir les entrants et les sortants en fonction d’une mesure (masse, énergie, valeur monétaire, etc.). La limite de cette approche est qu’elle impose des choix qui ne reflètent pas pleinement la réalité. Le prorata énergétique a été décidé dans l’étude BIO IS, 2010, notamment parce que dans le cas de la filière biodiesel il évite que la majorité des impacts liés à la culture soient imputés au coproduit tourteau (tableau 2), alors que c’est le cas si le prorata massique est choisi. La revue critique de l’étude a souligné le caractère arbitraire de ce choix, tandis que Sofiprotéol qui participait au comité technique a regretté que cela amène à considérer que le service rendu du tourteau est énergétique, alors que c’est plus pour le contenu en protéines qu’il est valorisé.

Tableau 2.

Allocations pour la filière colza (étude BIO IS, 2010).

Évaluation des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France

L’étape d’évaluation prend comme données d’entrée l’analyse de l’inventaire du cycle de vie et les transforme en impacts. Il y a deux types de méthode d’évaluation. Dans la chaîne de causes à effets, on peut distinguer des effets primaires découlant directement de l’activité, comme l’émission de CFC, et les effets secondaires qui sont la conséquence, comme la déplétion de la couche d’ozone. Les méthodes « orientées problèmes » (ou « mid-point ») vont s’attacher à catégoriser les impacts de premier ordre, alors que les méthodes « orientées dommages » (ou « end-point ») consistent à regrouper les impacts en fonction des résultats, aussi loin que possible dans la chaîne de causes à effets. Dans l’exemple des CFC, la méthode « orientée dommages » considère l’effet sur la santé humaine (cancer…). Les méthodes « orientées problèmes » sont souvent préférées, car la chaîne de causalité n’est pas toujours clairement établie.

Les catégories d’impacts sont multiples. Pour les méthodes « orientées dommages », trois catégories sont considérées : l’épuisement des ressources, la santé humaine et les impacts écologiques. Pour celles « orientées problèmes », on considère le réchauffement climatique, la destruction de l’ozone stratosphérique, l’acidification, l’eutrophisation, la formation d’agents photo-oxydants, l’atteinte des ressources abiotiques, l’atteinte des ressources biotiques, l’utilisation des terres, l’impact écotoxicologique et l’impact toxicologique (chez l’humain).

L’étude méthodologique réalisée par BIO IS, 2008 s’est focalisée sur les deux enjeux environnementaux qui constituent l’intérêt des biocarburants, la déplétion des ressources en énergie non renouvelable et le changement climatique. Dans l’étude des impacts environnementaux de 2010, trois catégories d’impact supplémentaires ont été étudiées afin de s’assurer qu’on n’assiste pas à un transfert de pollution : la toxicité humaine, l’oxydation photochimique et l’eutrophisation. La revue critique a regretté que le nombre d’indicateurs d’impact soit limité à cinq catégories, ce qui ne permet pas d’étudier tous les risques de transfert de pollution.

Pour chaque impact, un indicateur est calculé. Il s’agit de caractériser les flux en fonction de leur contribution à cet impact. Cela amène à convertir tous les éléments participant à un impact en une mesure commune. Par exemple, pour le réchauffement climatique, il est généralement admis que le CO2 est la substance de référence. En conséquence, le pouvoir de réchauffement global de chaque GES est exprimé en gramme équivalent CO2, ce qui permet d’additionner la contribution de chaque substance. Par exemple, 1 g de N2O a un pouvoir de réchauffement global de 296 g équivalent CO2. D’après les auteurs de l’étude BIO IS, 2010, les indicateurs d’eutrophisation, de toxicité humaine et d’oxydation photochimique sont plus complexes et moins robustes que ceux sur la déplétion des ressources en énergie non renouvelable et sur le changement climatique. Une grande vigilance est donc nécessaire dans l’interprétation des résultats. Par ailleurs, comme l’a souligné la revue critique, il manque d’autres indicateurs pour pouvoir réellement étudier les risques de transfert de pollution. C’est pourquoi seuls les indicateurs sur la déplétion des ressources en énergie non renouvelable et sur le changement climatique sont présentés et discutés dans la suite de cet article.

Interprétation des résultats d’évaluation des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France

Cette étape de l’ACV consiste à analyser des résultats, établir des conclusions et expliquer les limites de l’analyse. Les résultats de l’étude BIO IS, 2010 montrent que le biodiesel de colza permet une réduction de 65 % des consommations en énergie non renouvelable par rapport au gazole d’origine pétrolière (tableau 3). Pour les GES, la réduction est de 59 % en l’absence de prise en compte du CAS indirect. Les niveaux exacts d’émission sont davantage liés aux choix de modélisation que pour l’énergie, en raison de la difficulté d’estimer l’émission de N2O, mais la réduction est substantielle, ce qui confirme les gains en terme de changement climatique si aucun changement d’affectation des sols n’est pris en compte.

Tableau 3.

Résultats pour la filière principale de biodiesel de colza (étude BIO IS, 2010).

Dans la méthode de l’ACV, l’étape d’interprétation des résultats prévoit des analyses de la contribution des paramètres d’entrée, pour faire ressortir les processus et les éléments qui contribuent le plus aux impacts. Dans le cas du biodiesel de colza, c’est l’étape de transformation industrielle qui représente le principal poste de consommation d’énergie fossile, tandis que l’étape agricole représente le deuxième poste (tableau 3). Les engrais représentent la principale consommation d’énergie de l’étape agricole (résultats non présentés). La partie la plus émettrice de GES est l’étape agricole, en raison de la fabrication des engrais et de l’émission de N2O. Le protoxyde d’azote émis par les sols est le principal poste de GES. Il représente à lui seul environ 40 % de l’ensemble des émissions (résultats non présentés).

Des vérifications sont également prévues dans la méthode de l’ACV, pour définir les limites de l’analyse. Elles consistent notamment à étudier les sources d’incertitudes, en fonction de la précision des données, de données manquantes, mais également celles qui sont liées aux choix et hypothèses. Ce contrôle peut s’appliquer à n’importe quel élément de l’analyse (imputation, critère d’exclusion, frontière du système, catégorie d’impact choisie, etc.).

L’étude BIO IS, 2010 présente plusieurs analyses de sensibilité. L’effet du mode d’imputation des impacts a notamment été étudié pour le biodiesel de colza (tableau 4). Cette analyse de sensibilité montre que le choix du mode d’imputation a peu d’impact sur l’énergie non renouvelable consommée, et que celui retenu (prorata énergétique) est le plus défavorable au biocarburant. Malheureusement, la méthode de substitution n’a pas été étudiée pour la consommation en énergie. Les conclusions sur l’effet du mode d’imputation sur les émissions de GES sont similaires, mais les différences entre le prorata massique et les deux autres méthodes sont plus importantes que pour l’énergie. Par ailleurs, la méthode de substitution a été appliquée au calcul des émissions de GES, en retenant des hypothèses simplificatrices sur l’utilisation des coproduits. Ce résultat est le plus défavorable au biodiesel de colza, mais il permet quand même d’atteindre le seuil de –35 % fixé par la Directive 2009/28/CE. Il faut cependant rappeler la forte incertitude liée à la mise en œuvre de cette méthode de substitution.

Tableau 4.

Comparaison des différents modes d’allocation pour l’EMHV de colza (étude BIO IS, 2010).

L’analyse de sensibilité sur l’effet du CAS indirect illustre la nécessité de conduire des études pour préciser cet effet, car les conséquences sont majeures (tableau 5). Le scénario optimiste, qui considère un stockage de carbone grâce à la reforestation de surfaces de soja libérées par le remplacement de ses tourteaux par ceux de colza, conclut à des émissions négatives de GES pour le biodiesel (stockage net de carbone). En revanche, avec le scénario maximal, qui considère que l’huile de colza utilisée pour le biodiesel est en totalité remplacée par de l’huile de palme produite sur une surface déforestée, les émissions sont de 40 à 105 % supérieures à celles du gazole d’origine fossile, selon qu’on impute ou pas une partie de l’impact aux coproduits. L’interprétation de cette analyse de sensibilité explique une bonne part des divergences dans les commentaires sur les résultats de l’étude BIO IS, 2010, notamment de la part des membres du comité technique. Alors que les instituts techniques soulignent que les scénarios extrêmes ne sont pas réalistes, c’est le scénario extrême défavorable aux biocarburants que retient l’association FNE pour affirmer que les résultats sont sans appels : plus du double de GES émis par rapport au carburant fossile.

Tableau 5.

Prise en compte de l’effet du changement indirect d’affectation des sols pour l’EMHV de colza (étude BIO IS, 2010).

Malgré les différentes analyses de sensibilité réalisées par BIO IS, 2010, la revue critique regrette l’absence d’analyse de complétude (vérifier que les approximations sur les données d’entrée n’ont pas de conséquences), de cohérence entre les données et de qualité des données d’inventaire, ainsi que le manque d’analyse d’incertitude des résultats en fonction des modèles de caractérisation des impacts, et de l’incertitude associée aux flux inventoriés et aux données d’entrée. Par ailleurs, Cristal Union et TEREOS, deux producteurs d’éthanol qui participaient au comité technique de l’étude, regrettent que les filières fossiles n’aient pas fait l’objet de tant d’études de sensibilité et de scénarios prospectifs que les biocarburants. D’après eux, ces études auraient été justifiées, notamment parce que selon les lieux d’extraction ou la composition des bruts, les résultats de la filière pétrolière pourraient être plus défavorables. C’est par exemple le cas de l’exploitation des schistes bitumineux.

Conclusion et perspectives

L’étude des impacts environnementaux des biocarburants de première génération en France (BIO IS, 2010) a été conduite en réponse aux recommandations du Grenelle de l’Environnement. Une étude contradictoire qui prend en compte les différents aspects du sujet était demandée. La réponse apportée par l’étude est incomplète, car certains impacts identifiés dans les recommandations du Grenelle, comme l’utilisation de l’eau, la disponibilité des terres fertiles et le prix des produits agricoles, n’ont pas été étudiés. Par ailleurs, parmi toutes les catégories d’impact normalement étudiés dans une ACV, seules la consommation en énergie non renouvelable et l’émission de GES ont été suffisamment étudiées pour contribuer au débat sur l’intérêt des biocarburants.

Malgré toutes les précautions prises par les auteurs de l’étude pour évaluer l’impact sur la consommation en énergie non renouvelable et les émissions de GES, les articles qui présentent les résultats apparaissent contradictoires. Alors, qui croire et pourquoi ? La réponse est qu’il ne faut croire aucune personne qui prétendrait que l’étude apporte une réponse définitive sur l’intérêt des biocarburants. Elle fournit cependant « des résultats intéressants et représente une contribution importante dans le débat sur les biocarburants », comme le souligne la revue critique.

Le premier résultat intéressant est que les biocarburants permettent de réduire significativement la consommation en énergie non renouvelable et les émissions de GES, alors que les choix méthodologiques et les modèles retenus sont moins favorables que ceux de la précédente étude demandée par les pouvoirs publics (PriceWaterhouseCoopers, 2002). L’imputation des impacts au prorata énergétique plutôt que massique, et l’utilisation de la méthode de niveau 1 du GIEC pour estimer les émissions de N2O plutôt que les coefficients publiés par Skiba et al., (1996) dégradent en effet le bilan des biocarburants. Les calculs réalisés par BIO IS, 2010 se rapprochent ainsi de ceux qui accompagnent la Directive 2009/28/CE, et pour tous les biocarburants ou presque, la réduction des émissions de GES par rapport au carburant de référence est conforme au critère de –50 % imposé à partir de 2017. Le deuxième résultat intéressant de l’étude est qu’elle identifie les principales incertitudes sur la signification des résultats, grâce à la réalisation d’une série d’analyses de sensibilités. La principale question qui demeure concerne l’effet du CAS indirect, tandis que l’estimation des émissions de N2O pose également question, mais dans une moindre mesure.

La prise en compte de l’effet du CAS indirect est inscrite dans l’agenda de la Commission européenne. Une étude est en cours sur cette question, et si cela est possible un calcul sera proposé. L’étude BIO IS, 2010 confirme que les émissions ou le stockage de carbone en cas de changement d’usage des sols ne peuvent pas être négligés, car les ordres de grandeurs sont suffisants pour modifier significativement les conclusions. Mais, aucun des scénarios de l’analyse de sensibilité sur l’effet du CAS indirect ne correspond à la réalité. Il ne faut donc pas considérer les valeurs de l’analyse de sensibilité comme une preuve par rapport au débat sur l’intérêt des biocarburants. Une telle utilisation de ces chiffres est par ailleurs à éviter parce que la prise en compte du CAS indirect ne consiste pas à faire une simple addition avec les résultats de l’ACV du biocarburant. La question du CAS indirect doit en effet être traitée avec une approche conséquentielle de l’ACV.

Il existe en effet deux types d’ACV (Brander et al., 2008). L’ACV appelée « attributionnelle » ne prend en compte que les processus et les flux directement utilisés dans le cycle de vie. C’est la méthode qui a été retenue dans l’étude BIO IS, 2010. Ce type d’analyse permet notamment d’identifier les principaux postes contributeurs aux impacts et de rechercher des voies d’amélioration. En revanche, elle n’est pas adaptée pour évaluer l’effet d’une politique de développement des biocarburants, car elle ne prend pas en compte l’ensemble des impacts. Pour réaliser cette évaluation, une autre approche appelée ACV « conséquentielle » consiste à prendre en compte tous les processus qui sont directement et indirectement affectés. Avec cette approche, on ne compte que les impacts marginaux au sens économique du terme. Dans le cas du biodiesel de colza, il s’agirait de considérer d’une part les surfaces de colza déjà existantes, mais dont les graines seraient utilisées pour le biodiesel au lieu d’être valorisées pour les débouchés « habituels », et d’autre part l’extension des surfaces de colza au détriment d’autres cultures. Pour les surfaces déjà en colza, il faudrait prendre en compte l’éventuelle augmentation de rendement en graines pour satisfaire le nouveau débouché, mais actuellement il n’y a aucune différence de conduites culturales entre les débouchés. Par ailleurs, il conviendrait de considérer les conséquences de la différence de production de coproduits entre la filière biocarburant et les filières habituelles (par exemple, la glycérine est spécifique de la production de biodiesel), et la diminution de la disponibilité en huile pour les usages habituels. C’est ainsi qu’interviendrait la comptabilisation de l’éventuelle déforestation pour étendre la surface d’oléagineux (palme par exemple). L’évaluation globale consisterait à faire l’addition de l’ensemble de ces impacts, y compris les émissions directes des nouvelles surfaces d’oléagineux (palme…). En revanche, les impacts directs de la culture de colza « habituelle » tels qu’ils ont été comptabilisés dans l’étude BIO IS, 2010 ne seraient pas pris en compte, car ils existaient déjà avant le développement des biocarburants (ce n’est pas une conséquence de cette évolution). L’analyse des impacts réels est donc loin d’une simple addition des impacts directs de la culture qui fournit la matière première pour le biocarburant et du CAS indirect. En ce qui concerne l’extension des surfaces de colza, l’approche est la même. Il s’agirait de considérer l’éventuelle différence d’impact de la culture de colza par rapport à la culture qui est remplacée, ainsi que les effets des coproduits du biodiesel et de la diminution de la production de la culture qui est remplacée. Une telle approche est complexe et nécessite l’utilisation de modèles économiques pour simuler l’ensemble des conséquences du développement des biocarburants. Un projet associant le CETIOM, AgroParisTech, l’INRA et Art (Suisse) est en cours de montage pour traiter cette question. Par ailleurs, une Unité mixte technologique (UMT « GES-N2O ») située sur le campus de Grignon a été constituée en septembre 2008 pour mieux connaître et gérer les émissions de N2O. Les résultats permettront de meilleures estimations des émissions de GES, mais également d’identifier des leviers pour réduire cet impact et ainsi améliorer le bilan des cultures.

Références

Liste des tableaux

Tableau 1.

Principales données pour la filière EMHV colza (étude BIO IS, 2010).

Tableau 2.

Allocations pour la filière colza (étude BIO IS, 2010).

Tableau 3.

Résultats pour la filière principale de biodiesel de colza (étude BIO IS, 2010).

Tableau 4.

Comparaison des différents modes d’allocation pour l’EMHV de colza (étude BIO IS, 2010).

Tableau 5.

Prise en compte de l’effet du changement indirect d’affectation des sols pour l’EMHV de colza (étude BIO IS, 2010).

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