Open Access
Issue
OCL
Volume 22, Number 6, November-December 2015
Article Number D602
Number of page(s) 5
Section Dossier: Flax and hemp / Lin et chanvre
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2015047
Published online 04 November 2015

© S. Bertucelli, Published by EDP Sciences, 2015

Licence Creative CommonsThis is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.

1 Le chanvre, ce n’est pas du cannabis ?

Cette question, qui colle à la filière du chanvre comme le sparadrap au Capitaine Haddock doit être abordée sur le fond et sur la forme, tant elle est complexe et récurrente.

1.1 Sur le plan botanique

Il n’existe définitivement qu’une espèce : le Cannabis sativa L. La large dissémination de cette espèce, présente à l’état natif entre les deux cercles polaires, couplée à sa forte réactivité au photopériodisme et à la chaleur, a naturellement différencié des types de populations de Cannabis sativa L. plus ou moins riches en tétrahydrocannabinols. À l’état natif, les populations les plus septentrionales (dénommées chanvres « russes ») sont celles qui présentent le taux de delta 9 tétrahydrocannabinol (THC) le plus bas (0,5 %1) alors que les populations tropicales présentent les taux de THC les plus hauts (2 à 5 %).

1.2 Sur le plan sélection

L’homme a concentré le pool génétique en deux voies.

  • La recherche du caractère fibre, à partir des chanvres « russes » pour créer une « sous-espèce » de chanvre dont les taux de THC résiduels sont inférieurs à 0,3 % : le Cannabis sativa sativa.

  • La recherche du caractère drogue, à partir des chanvres « tropicaux », dont le taux de THC est supérieur à 5 %, le Cannabis sativa indica.

La capacité de croisement totale entre les deux sous-espèces et la complète fertilité des descendances, très largement utilisée par les sélectionneurs, est la preuve, si nécessaire, qu’il existe une seule et unique espèce.

Sur le plan règlementaire, il existe là aussi un seul groupe de codes douaniers (NC 5302 et 5302 10 00), un seul article au Code de la santé publique français (Article R5132-86), une seule rubrique au catalogue communautaire des espèces de grandes cultures (A 63). La différenciation vient de l’aspect légal ou non de telle variété ou de tel usage.

1.3 Sur le plan agronomique et agricole

Il existe de fait deux cultures, tant elles sont différentes au vu de la production recherchée.

  • Implantation de l’ordre de 1 pied/m2 en culture « drogue », pour favoriser la dominance axillaire de ces variétés, le THC étant un exsudat présent au niveau des poils sécréteurs concentrés prioritairement sur les fleurs puis les feuilles. L’intérêt pour la plante de la présence du THC n’a jamais été compris par ailleurs. Il pourrait avoir un effet répulsif contre les prédateurs. On remarque que les variétés aux taux de THC les plus bas subissent plus d’attaques des petits mammifères et des insectes.

  • Implantation de l’ordre de 150 pieds/m2 en culture « fibre », favorisant la dominance apicale de ces variétés, les fibres se trouvant dans la tige.

1.4 Sur le plan image et communication, la différence est plus floue

  • Le chanvre « fibre », tout en cherchant à se forger une image complètement déconnectée de la drogue, a parfois joué sur l’attractivité générée par le cannabis pour véhiculer son marketing.

  • Le cannabis « drogue » a toujours essayé de créer des ponts psychologiques avec son demi-frère, en véhiculant le message du chanvre « bon à tout faire », qui de ce fait ne peut pas être mauvais, y compris pour l’aspect psychotrope.

1.5 Sur le plan économique

En Europe et en Amérique du Nord du moins, la différenciation était jusqu’à ce jour claire :

  • Fibres, chènevotte et graines sont l’apanage de la filière « chanvre ».

  • Le THC est l’apanage de la filière « drogue » et de la médecine.

L’engouement récent au niveau mondial sur le cannabidiol, sorte de THC non euphorisant, et ses vertus réelles ou supposées pour le traitement de troubles neurologiques, rend plus floue la dichotomie prévalant à ce jour.

La chaîne de biosynthèse des cannabinoïdes est la suivante (De Meijer et al., 2003, 2005) :

Les variétés « fibres » classiques contiennent 20 fois plus de CBD que de THC. Les variétés drogues contiennent 20 fois plus de THC que de CBD. les variétés intermédiaires ont des taux de CBD et de THC entre ces deux limites. Pour les usages médicaux, le CBD doit toutefois être purifié du THC résiduel, ce qui se révèle compliqué vu la proximité des deux molécules.

Les variétés sans THC n’ont pas de CBD non plus, la chaîne de biosynthèse des cannabinoïdes étant interrompue après le cannabigérol par absence des enzymes de transformation (Fournier, 2000).

En résumé, cette dualité chanvre/cannabis, est toutefois mieux acceptée que celle entre chien et loup, au vu du caractère végétal de l’espèce.

2 La filière du chanvre : vision horizontale et verticale

Il n’existe pas de définition absolue de ce qu’est une filière économique, et les contours flous de cette notion peuvent mener à des rapprochements hâtifs. Nous utiliserons ici la définition personnelle suivante : « Une filière est une succession de maillons économiques interdépendants ayant conscience de cette interdépendance. » La filière s’arrête au premier acteur n’ayant pas conscience de cette interdépendance, car ce sera le premier à agir dans son seul intérêt et à ne pas intégrer a minima les intérêts des autres acteurs de la filière dans ses choix stratégiques.

Ainsi donc, la filière chanvre peut-elle être appréhendée géographiquement (ou horizontalement) comme d’amont en aval (verticalement). Nous présenterons ici les deux visions.

2.1 Vision géographique

2.1.1 Un marché mondial, la graine

Cette graine oléagineuse, appelée chènevis, dont le rendement est de l’ordre de 1 t/ha est très majoritairement utilisée dans l’alimentation d’oiseaux d’agréments (90 %) et dans les appâts de pêche. Son prix et sa rareté lui interdisent l’accès à l’alimentation animale de production. Le marché de l’alimentation humaine se développe lentement mais régulièrement, surtout en Europe du Nord et en Amérique du Nord (et principalement en agriculture biologique) au vu de l’équilibre intéressant en oméga 6/oméga 3 de 4/1, alors que la consommation humaine de graisse dans les pays riches de l’ordre de 20/1 (10/1 en France) est beaucoup trop riche en oméga 6 (ratio idéal 5/1). Les tonnages de graines produits en Union européenne sont de l’ordre de 7000 à 10 000 T, et les importations d’origine chinoise, arythmiques, peuvent être d’autant. Parmi les acteurs d’aval, seuls ceux de grande dimension comme Triballat, Hempro et Bafa Neu, sont impliqués dans la filière chanvre. Nous notons une forte volatilité des cours du chènevis conventionnel, le caractère imprédictible de ces cours et des retournements de tendance brusques et parfois découplés de toute réalité du marché physique.

Les cours, hors évènements extérieurs, évoluent en sympathie avec ceux du tournesol et avec un décalage temporel de six mois. Or, dans les formules d’aliment pour oiseaux, le chènevis est surtout substituable par le millet et l’alpiste. Une des explications peut être la fluctuation des importations chinoises sur le marché européen. En Chine, la production de chanvre, donc de chènevis, n’est pas structurée et est disséminée sur un très grand nombre d’exploitations, ce qui rend la collecte complexe. Les estimations vont de 10 000 à 100 000 ha de culture annuelle. Il semblerait que le frein à l’exportation soit le manque de camions affectables à ce marché. En cas de hausse du prix du tournesol, la flotte de camions est allouée à son transport vers les ports, d’où une diminution des exportations de chènevis vers l’Europe et une hausse des prix. En cas de baisse des cours du tournesol, des camions sont disponibles pour le transport du chènevis.

Le second élément est le volume et la qualité de la production communautaire, particulièrement française (5000 à 7000 t). Les acteurs français tentent avec difficulté de limiter les fluctuations en contractualisant avant récolte. Dernièrement, nous notons une forte demande à destination de l’alimentation humaine, particulièrement en agriculture biologique (dont les prix sont découplés du conventionnel). L’huile de chanvre et la protéine de chanvre sont très prisées en Amérique du Nord. Le Canada, avec 20 000 ha de production à destination graine exclusivement, alimente majoritairement ce marché. Nous notons en 2015 dans l’Union européenne une croissance forte et imprévue des emblavements à destination graine exclusivement (2000 ha sur 20 000 ha de production communautaire) en Italie, dans les Balkans et dans les pays baltes. Les acteurs impliqués n’ont pas d’usine de décorticage des pailles, ce qui pose deux questions :

  • Quel est l’équilibre économique dans l’Union européenne pour une production exclusive de graines ?

  • Comment se débarrasser des pailles, très difficiles à broyer au champ et pouvant être un handicap pour la culture suivante ?

Au Canada, la question ne se pose pas, les variétés utilisées étant très courtes. Les pailles ayant passé l’hiver sous la neige sont détruites au printemps.

Le cours de la graine de chanvre conventionnelle fluctue de 350 €/t à plus de 1000 €/t. Pour le chènevis produit en agriculture biologique, les prix peuvent aller de 1000 à 1500 €/t.

La graine de chanvre est récoltée avec une moissonneuse-batteuse avant la récolte des pailles. Ce type d’outil est accessible et permet un équipement individuel des exploitations. Un autre système de récolte est utilisé, bien que d’une technologie moins éprouvée. Des automoteurs de type ensileuses modifiées (cf. le paragraphe « fibres techniques ») sont équipées d’une barre de coupe de moissonneuse pour récolter pailles et graines en un seul passage. Le coût de ces outils ne permet pas un équipement individuel.

2.1.2 La fibre, un marché de dimension européenne

La fibre n’est plus depuis les années 1950–1960 majoritairement utilisée dans le textile. Seule une part infime de la production communautaire est aujourd’hui destinée à ce marché, malgré une demande croissante.

  • Process textile (fibres longue > 500 mm)Historiquement la plante était arrachée manuellement, rouie à l’eau et décortiquée manuellement. Le rouissage des pailles est l’attaque biochimique par des bactéries détruisant préférentiellement le « bois » de la paille (la chènevotte) composé d’hémicellulose et libérant la cellulose. Il n’est efficace en chanvre à ce jour que par immersion dans l’eau, en bassin ou en rivière. Il s’ensuit une pollution olfactive et une eutrophisation des cours d’eau depuis longtemps inacceptables en Europe de l’Ouest. Des méthodes alternatives, enzymatiques ou chimiques ont été testées, sans efficacité économique. L’étape suivante est un décorticage faiblement mécanisé fortement consommateur de main d’œuvre, donc cher. En effet la filière du chanvre n’a pas pu, ou pas su, s’inspirer de la mécanisation de la filière lin, basée en amont sur une excellente homogénéité en taille des pailles, dimensionnées aux environs de 1,2 m, permettant les process d’arrachage, de parallélisation au sol, rouissage au champ, retournement, enroulage, déroulage, teillage, peignage et filature, tout cela en conservant une longueur du faisceau de fibre supérieure à 500 mm. La production de fibres longues de chanvre existe aujourd’hui en Chine, dans des quantités non estimables, pays où l’acceptabilité sociale des nuisances du rouissage à l’eau est plus importante, et les coûts de main d’œuvre plus faibles. Toutefois, les acteurs européens travaillent (en R et D à ce jour) à mettre au point des process permettant l’extraction de fibres longues de chanvre pour le textile, en liant des facteurs génétiques (pailles courtes, variétés déficientes en chlorophylle) et mécaniques (machinisme dédié). Parée de nombreuses vertus comme toute matière première difficilement accessible, la fibre de chanvre textile offrirait une forte protection contre les ultraviolets, serait hypoallergénique et thermorégulatrice (confort d’été). Nous y voyons surtout une démarche marketing de différenciation de gamme ciblant une catégorie de consommateurs en recherche de naturalité. À ce jour, aucune donnée de marché sérieuse n’existe pour la fibre textile de chanvre.

  • Process papetier (fibre courte < 30 mm)La fibre papetière est issue d’un process agro-industriel tout à fait différent : ce process d’extraction des fibres de chanvre quasi-exclusif de 1970 à 2000 en Europe de l’Ouest est basé sur un décorticage mécanique par broyage, secouage, criblage et dépoussiérage d’une paille de chanvre. La paille, haute de plus de 2 m et d’un rendement de l’ordre de 8 t/ha, est coupée au champ soit par une faucheuse latérale de type « Busatis » (outil classique pour le foin) et couchée au sol, soit par une faucheuse conditionneuse trainée du type Hesston, qui brise la paille grossièrement. Il n’est pas pratiqué de rouissage régulé. Le but est de sécher la paille au plus tôt pour sécuriser la récolte. Un ou plusieurs andainages sont pratiqués pour permettre un meilleur séchage et faciliter le pressage. La paille, pressée en balles rondes, est ensuite guillotinée en usine, puis broyée. De ce fait, la longueur unitaire du faisceau de fibres est de 30 mm au maximum. Le principal critère qualitatif est le taux de charge résiduel (masse de chènevotte présente dans la masse totale). De manière standard, il est de 15 %. Les prix de cette matière sont de l’ordre de 400 à 500 €/t départ usine. Ces prix relativement stables sont négociés annuellement, au moins pour les plus gros fournisseurs. La production communautaire est de l’ordre de 20 000 t/an à destination des papiers spéciaux et papiers fins : papiers médicaux, isolants électriques, filtration, cigarettes. Ce process nécessite un matériel agricole abordable permettant un équipement individuel des exploitations.

  • Le process « fibre technique »La fibre « technique » est issue d’un process intermédiaire entre les deux précédents. Mis au point en Pologne dans le début des années 2000, ce process a pour but de conserver au faisceau de fibres une longueur minimale sans passer par un process d’arrachage et de rouissage à l’eau. La paille est fauchée par une ensileuse modifiée dont le nombre de couteaux est réduit à un, deux ou trois au lieu des 24 ou 36 couteaux classiquement installés. La paille est tronçonnée en morceaux très homogènes (de 40 à 60 cm selon les réglages). Il s’agit en fait de l’anticipation au champ de l’étape du guillotinage, mais en conservant de la longueur à la fibre. La paille peut être ensuite pressée en balles parallépipédiques haute densité (dites « balles carrées »), optimisant le transport et le stockage. La suite du process est similaire à celui du chanvre papetier, mais la fibre issue peut aisément conserver une longueur de faisceau de 150 mm, ouvrant les portes du marché des mats d’isolation, des renforts plasturgiques et du paratextile. Les critères de qualité sont le taux de charge, qui doit être entre 0 et 3 % pour ces marchés, la longueur des faisceaux de fibres et leur couleur, qui est l’indice du niveau d’attaque bactérien induisant la résistance de la fibre et surtout l’odeur, élément important en milieu confiné (construction, transport). Le prix de ces matières est de l’ordre de 750 à 850 €/t. Le marché communautaire est de l’ordre de 10 000 t. La filière s’astreint à conserver une stabilité importante aux prix de ces fibres, élément nécessaire pour une fourniture pérenne à l’industrie de la construction et du transport. En cela, elle se démarque positivement des fibres concurrentes (fibres de coton, fibres de lin). Le coût de l’équipement de récolte ne permet pas un investissement agricole individuel. Il doit être amorti sur au moins 250 ha de cultures annuelles.

2.1.3 La chènevotte : un marché régional à national

Jusque dans les années 1980, la chènevotte était un sous-produit de la filière, très mal valorisé. La dégradation régulière des marges de l’activité en chanvre, en lien avec la diminution des soutiens communautaires à la production de chanvre, a poussé la filière à valoriser cette matière (4 t par ha). La chènevotte est passée en 20 ans du statut de sous-produit à celui de coproduit, à équivalence de poids économique avec la fibre et la graine.

Initialement la filière française (La Chanvrière de l’Aube en particulier) a créé ex nihilo le marché du paillage équin puis du paillage horticole. Le paillage pour les animaux de production (bovins, volailles) est limité au marché de proximité, la matière étant trop chère et trop peu abondante pour envisager une stratégie régionale ou nationale.

Par la suite, la filière (française principalement) s’est penchée sur les possibilités d’usage de la chènevotte comme matériau de construction, sous forme de « béton » de chanvre (béton = mélange d’un liant minéral et d’un granulat). Cela a abouti à la création en 1999 de l’association Construire en Chanvre (cf. le paragraphe structuration). En France, en 2014, le tonnage utilisé dans la construction est de l’ordre de 4000 t, soit de l’ordre de 10 % de la chènevotte produite. Ce segment de marché, sur lequel la filière investit depuis longtemps, tarde à s’ouvrir. Le marasme actuel du marché et le conservatisme inhérent à ce secteur sont potentiellement en cause. La filière, ayant vu s’ouvrir le marché des renforts plasturgiques après dix ans d’effort, continue à parier sur le béton de chanvre.

Les prix de la chènevotte peuvent être très fluctuants (de 150 à 300 €/t vrac départ pour le paillage), sa production restant incidente à la production de fibre.

2.1.4 Les autres composés, THC et CBD : un marché virtuel ?

Nous parlons ici du marché légal de ces molécules. Le THC médical est disponible aujourd’hui sous une seule forme médicamenteuse en Europe, le Sativex. Le CBD est pour l’instant toléré à la vente, exclusivement par correspondance. Concernant ce dernier, s’il est avéré qu’il présente des vertus médicinales, il y a fort à parier que le législateur en assurera à court terme la règlementation. Le poids économique et le volume d’activité représentés par ces deux molécules sont méconnus. La filière est en questionnement concernant la prise en charge ou non de cette problématique dans son champ d’activité.

2.2 Structuration de filière, vision verticale

Les filières française et européenne se sont dotées d’organismes structurants qui ont eu un rôle majeur dans le maintien de cette filière et dans son développement actuel. La filière française fait figure de modèle (Meynard, 2013).

Des années 1960 à 1980, la filière française a travaillé en sélection avec l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA). Par la suite, l’INRA a abandonné ce programme. La filière a repris cette activité à son compte par l’intermédiaire de la Fédération Nationale des Producteurs de Chanvre (FNPC), organisme associatif représentant l’ensemble des bassins de productions nationaux (taux de représentativité en 2015 : 94 % de l’activité). La FNPC est gérée par un conseil d’administration d’agriculteurs élus dans des syndicats, groupements et associations régionaux. Sa principale activité est la sélection variétale, en chanvre exclusivement. Les variétés sont mises à dispositions d’organismes de multiplication, comme la Coopérative Centrale des Producteurs de semences de Chanvre (CCPSC) pour le marché européen. Cet exemple unique de sélection variétale considérée comme un bien commun de la filière marque la très forte conscience de l’importance de cette activité. Qui dit bien commun ne dit pas gratuité mais mise à disposition équitable pour tous. La FNPC partage une équipe technique d’une quinzaine de personne avec la CCPSC, structure dédiée exclusivement à la multiplication de cette espèce, et qui fournit 95 % des semences utilisées dans l’Union européenne.

La FNPC siège au titre du collège producteur dans une interprofession reconnue par le Code rural, Interchanvre, aux côtés de l’Union des Transformateurs de Chanvre, qui regroupe la grande majorité des acteurs industriels nationaux (représentativité : 92 % de l’activité).

Interchanvre collecte, sur la base d’un accord interprofessionnel, des Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO), c’est-à-dire des cotisations volontairement décidées par la filière et rendues obligatoires au paiement par décision conjointe des Ministres des Finances et de l’Agriculture. Avec ces fonds, Interchanvre réalise des actions de développement et de représentation, en partenariat avec Terres Inovia.

Cette structuration facilite par son aspect forum (création de lieux d’échanges), la fluidité relationnelle amont-aval ainsi que l’organisation du marché.

Interchanvre est partenaire/administrateur de la Confédération Européenne du Lin et du Chanvre, organisme de promotion, de communication et de défense de ces deux filières, de European Industrial Hemp Association, acteur de représentation politique au niveau communautaire et centre de ressource (think thank).

Interchanvre est partenaire/administrateur de Construire en Chanvre, association de développement du marché du chanvre dans la construction au niveau français. Construire en Chanvre est impliqué dans la formation des artisans, maîtres d’œuvre et architectes, dans la recherche et le développement, dans l’information et dans la représentation d’intérêt. Elle regroupe verticalement les acteurs du chanvre bâtiment :

  • producteurs de matière végétale (chènevotte);

  • producteurs de liants minéraux;

  • professionnels de la construction;

  • centres de recherches;

  • organismes de représentation régionale.

2.3 Stratégie politique et soutiens d’État

Le chanvre ayant longtemps été un élément majeur de la marine (voiles, cordage), sa culture et son industrie ont

longtemps été considérées par les nations comme un élément essentiel des forces navales. Le chanvre recevait même des subventions à la culture en 1880 en France, soit bien longtemps avant la Politique Agricole Commune...De 1970 à 2000, pendant les années d’abondance de crédits communautaires, le chanvre et le lin étaient généreusement soutenus par une Organisation Commune de Marché (OCM) dédiée, qui a pu longtemps perdurer dans la discrétion grâce à sa petite dimension. Le mouvement global d’uniformisation de l’OCM Unique a marqué à partir de 2000 une baisse des soutiens communautaires. En faisant valoir sa spécificité de culture en l’absence totale de traitement phytosanitaire et ses débouchés « puits de carbone » se substituant à des matières fortement énergivores (fibres minérales) et/ou éléments de systèmes constructifs fortement isolants (béton de chanvre, « laines » de chanvre), la filière chanvre a dans différents pays de l’Union Européenne pu bénéficier d’avantages tels que des soutiens couplés ou d’intégration dans les politiques « vertes ».

3 Quel avenir pour le chanvre ?

Au niveau européen, le chanvre représente 20 000 ha sur 180 000 000 ha de surface agricole utile – soit 1 ha/ 9000 – (1 ha/2500 en France). Avec ce faible niveau de représentativité, le chanvre ne doit, sur le long terme, sa survie passée et future qu’aux qualités intrinsèques de ses acteurs. La valorisation actuelle de tous ses composants et la forte structuration de la filière sont des gages de pérennité, au moins dans le schéma actuel. La vraie question est le passage du statut de « cryptoactivité » économique d’avant 2000 à la mise en lumière économico-médiatique, sur les segments très versatiles de l’économie verte, du paramédical et de l’habillement.

La filière française semble vouloir avancer pas à pas en assurant chacun de ceux-ci, et sécuriser les marchés industriels de la construction, des renforts plasturgiques et de l’alimentaire, avant de se lancer corps et âme dans les autres marchés (médical, habillement). Les autres acteurs communautaires, classiquement moins conservateurs, sont déjà en chemin sur les sentiers mal balisés du médicament. Reste à savoir quelle est la bonne stratégie.


1

Taux relevé avec la méthode communautaire d’analyse des variétés (Règlement (CE) No. 1122/2009 de la Commission du 30 novembre 2009).

Références

  • De Meijer EP, Hammond KM. 2005. The inheritance of chemical phenotype in Cannabis sativa L. (II) : cannabigerol predominant plants. Euphytica 145: 189–198. [CrossRef] [Google Scholar]
  • De Meijer EP, Bagatta M, Carboni A, et al. 2003. The inheritance of chemical phenotype in Cannabis sativa L. Genetics 163: 335–346. [PubMed] [Google Scholar]
  • Fournier G. 2000. La sélection du chanvre à fibres (Cannabis sativa L.) en France. Chanvre et THC. Comptes Rendus de l’Académie d’Agriculture de France 86: 209–217. [Google Scholar]
  • Meynard J-M, Messéan A, Charlier A, et al. 2013. Freins et leviers à la diversification des cultures : étude au niveau des exploitations agricoles et des filières. OCL 20: D403. [CrossRef] [EDP Sciences] [Google Scholar]

Cite this article as: Sylvestre Bertucelli. La filière du chanvre industriel, éléments de compréhension macroéconomiques. OCL 2015, 22(6) D602.

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