Open Access
Issue
OCL
Volume 22, Number 5, September-October 2015
Article Number D507
Number of page(s) 7
Section Dossier: Local soybean supply chain / Approvisionnement local en soja
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2015034
Published online 18 September 2015

© P. Le Cadre et al., published by EDP Sciences, 2015

Licence Creative Commons This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License (http://creativecommons.org/licenses/by/4.0), which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, provided the original work is properly cited.

1 Introduction

L’image du soja d’importation est marquée d’un double handicap (OGM et déforestation) et son utilisation en France tend à diminuer. De 2005 à 2013, la consommation française de tourteaux de soja (FAF1+FAB2) a reculée de 1.4 Mt (Oil World, 2015), dans un contexte de hausse du recours aux tourteaux (+0.5 Mt). Malgré tout, en 2012, selon le modèle Prospective Aliment du Céréopa3, 42 % de la couverture protéique des aliments composés français auraient été assurés par des produits d’importation, dont 33 % pour le seul tourteau de soja et 6 % pour le tourteau de tournesol High Pro4. Ce niveau de dépendance protéique recouvre des disparités fortes selon les espèces animales, les aliments volailles, avec un taux de 60 %, étant les plus dépendants aux importations pour couvrir leurs besoins protéiques. Cette dépendance au soja pour la couverture de nos besoins protéiques, soulève question. La forte concentration géographique de la production et le peu de fournisseurs entraînent une volatilité des prix qui n’est pas nouvelle, mais qui a tendance à s’exacerber avec la montée en puissance de la demande chinoise en graines, et le développement de l’utilisation locale des tourteaux au Brésil. De plus, la France est un cas particulier, puisqu’elle ne possède qu’une seule usine de trituration capable de travailler le soja. Elle ne bénéficie donc pas de la possibilité d’arbitrer entre importations de graines ou de tourteaux, quand le marché de l’un ou de l’autre est plus favorable. Enfin, la demande en soja « OGM free » reste assez stable, et selon Coop de France, les aliments composés pour animaux n’incorporant pas de matières premières GM5 (au seuil de 0,9 %) représentent 20 à 25 % de la production. C’est dans ce contexte que l’Interprofession française des huiles et protéines végétales, Terres Univia6, a souhaité explorer la faisabilité économique d’une filière française intégrée, allant de la production de graines de soja à l’utilisation des produits issus d’une unité de trituration de moyenne capacité.

Le présent article a pour objectif de rendre compte de l’étude réalisée par le Céréopa consistant à analyser, à l’échelle territoriale, les débouchés potentiels d’un tourteau de soja local partiellement déshuilé par cuisson-pression, chez les fabricants d’aliments pour animaux de rente. Deux régions françaises étaient particulièrement ciblées : l’ensemble constitué de Rhône-Alpes et Franche Comté et Midi-Pyrénées. L’utilisation en direct à la ferme n’a pas été abordée dans cette étude.

2 Le périmètre de l’étude

2.1 Les régions ciblées

Cette étude met en œuvre le modèle Prospective Aliment développé par le Céréopa, qui se décompose en 9 sous-ensembles correspondant à 9 « régions ». La grande région Rhône Alpes intègre les régions administratives Rhône Alpes, Languedoc Roussillon et PACA mais ne prend pas en compte le sud de la Franche Comté (Jura), ni le sud de la Bourgogne (Saône et Loire). La grande région Sud-Ouest du modèle intègre les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées. Le découpage est donc différent de celui utilisé par les syndicats des FAB. Les deux zones ciblées représentent 15 % de l’aliment « industriel » produit en 2012 en France, dont 9 % dans la région « Sud-Ouest P.Alts » et 6 % dans la région « Rhône Alpes P.Alts » (Fig. 1)

thumbnail Fig. 1

Les 9 régions du modèle Prospective aliment.

Le modèle est représentatif de la ventilation par espèces de la production nationale d’aliments, ainsi que de sa répartition géographique. Si la volaille est largement représentée en France (41 %), suivie des porcins (27 %) et des bovins (25 %), chaque territoire a ses spécificités. Dans le Sud-Ouest, 56 % des tonnages d’aliments sont destinés aux volailles (la région nourrit un palmipède français sur 2). Les ovins et caprins sont bien représentés avec 11 % des volumes produits.

Dans la région Rhône Alpes du modèle que l’on nommera aussi Sud-Est dans le reste de l’article les aliments volailles représentent 43 % des volumes avec une forte diversification dans les productions (à l’exception des palmipèdes quasi absents). La zone se caractérise aussi par une forte proportion d’aliments bovins.

Au final, les volailles et ruminants sont largement représentés dans les deux zones étudiées, le porc et les autres animaux sont minoritaires. Les productions sous signes de qualité susceptibles d’intégrer et de valoriser un tourteau de soja produit localement concernent essentiellement les volailles de chair (poulets et palmipèdes) et les fromages (bovins, ovins et caprins).

Le modèle Prospective Aliment prend en compte des formules soumises à des cahiers des charges plus ou moins contraignants et notamment, à une demande non OGM. Une estimation des volumes et de la répartition spatiale de ces types d’aliments a été effectuée et intégrée au modèle.

2.2 La localisation des usines de trituration

L’étude repose sur l’hypothèse d’une implantation de deux usines de trituration locales. La première est située dans le département du Gers, près de Toulouse (Gimont) pour la région Sud-Ouest. La deuxième est localisée dans l’Ain, (outil de Terres d’Alliance existant à St Jean sur Veyle) pour la région Rhône Alpes ou Sud-Est. Chaque usine a une capacité de trituration de 30 000 t de graines, soit un potentiel de production de 24 000 t de tourteaux de soja gras. Ce volume correspond à respectivement 1,3 % et 2,1 % des matières premières mises en œuvre dans la région Sud-Ouest et dans la région Rhône-Alpes, par les FAB.

Par le jeu des parités de transport, et selon les espèces concernées, la matière première proposée ira là où son prix d’intérêt sera le plus élevé, et peut donc sortir de sa zone de production. Afin de tester la sensibilité des résultats au volume de tourteau de soja gras mis sur le marché, l’étude a porté sur une fourchette de tonnage de 1000 à 400 000 t.

2.3 La définition matricielle du tourteau de soja gras

Le Céréopa a mis en place une matrice « tourteau de soja partiellement déshuilé », grâce aux éléments fournis par Terres Univia, concernant deux procédés de fabrication (extrusion-pression et cuisson-pression) et diverses sources d’information complémentaires7. Chacun des procédés a ses avantages et inconvénients, notamment en termes de désactivation des facteurs antinutritionnels ou de facilité de séchage des extrudas. Néanmoins, les écarts de composition entre ces deux process sont relativement faibles (Quinsac, 2012). La composition du tourteau de soja (sur matière brute) retenue est de 44 % de matières azotées totales (MAT), 7 % de Matières Grasse (MG) et 6 % de Cellulose Brute (CB). Son taux d’humidité est de 5 %, ce qui en fait un tourteau plus sec que celui d’importation. Nous le dénommerons tourteau de soja gras dans le reste de l’étude.

Afin de tester l’impact de ces hypothèses de composition sur les résultats, des valeurs d’énergie pour les ruminants (UFL), les volailles (Energie métabolisable) et les porcins (Energie nette) ont été calculées, sur la base d’équations prédictives à partir de la composition du tourteau gras, et comparées pour 4 valeurs de MG et 4 valeurs de CB (de 6 à 9 %). En ce qui concerne le taux de MG, l’écart de valeur énergétique pour les ruminants entre les 4 profils de tourteau de soja gras est faible, le rumen de ces animaux tamponnant la différence de teneur en MG. En revanche, entre un tourteau de soja affichant 6 % de MG et un tourteau titrant 9 % de MG, la différence de valorisation par les volailles est sensible (>130 kilo calories (Kcal)). Elle est plus limitée pour les porcins (<80 kcal).

Le même travail a été fait pour la sensibilité des valeurs énergétiques au taux de CB. On retrouve la quasi insensibilité des ruminants, pour des valeurs s’échelonnant de 6 à 9 %. Quant à la sensibilité des volailles au taux de CB, elle est relativement comparable à celle des porcins, bien qu’un peu inférieure (la baisse de la valeur énergétique du tourteau de soja pour une teneur de 9 % de CB n’atteint que 75 kcal pour les volailles, contre 95 kcal pour les porcins).

2.4 Les taux d’incorporation

Il a été défini des mini/maxi d’incorporation dans les formules du modèle Prospective Aliment, afin, soit de contraindre l’incorporation de certaines matières premières pouvant apporter des avantages par leur présence dans un aliment (orge dans les aliments porcins, par exemple), ou soit de limiter leur utilisation à un taux maximum pour des raisons technologiques ou zootechniques. Le tourteau de soja étant une matière première très peu contrainte par les fabricants d’aliments, ces mêmes contraintes (ou absence de contraintes) ont été appliquées au tourteau de soja gras. L’hypothèse sous-jacente est que la contrainte maxi matière grasse pouvant exister pour certaines formules, suffit à limiter l’incorporation de cette matière première, plus riche en matière grasse qu’un tourteau classique.

Il est important de souligner ici que cette hypothèse se fait en considérant qu’il n’y a pas de risque lié à une teneur en facteurs antinutritionnels, sous forme essentiellement de facteurs anti-trypsiques (FAT) pour le soja, qui ne serait pas suffisamment réduite lors du process de fabrication de ce tourteau gras.

thumbnail Fig. 2

Prix des tourteaux en France depuis 2008.

2.5 Les prix

La disponibilité des sources protéiques (nationales et internationales) varie au cours du temps, à la fois pour des raisons structurelles de marché mais aussi à cause de facteurs conjoncturels. Ces évolutions concernent aussi la qualité des matières premières (MP) mises à disposition des fabricants d’aliments. Au final, c’est à travers le prix, et les ratios de prix que s’expriment ces variations. L’étude a été menée sur la base des prix de la campagne 2012/13, disponibles au démarrage de l’étude. Cette saison se caractérise par un prix moyen du tourteau de soja très élevé, de 465 €/t, en hausse de 44 % sur la moyenne des cinq saisons précédentes (Fig. 2). Sur cette même période, le prix moyen du blé était aussi particulièrement haut, soit 242 €/t (+35 % par rapport à la moyenne 2007/2012). Le ratio soja/blé atteignait donc 1,92. Notons que la prime du soja non OGM était de 60 €/t (soit 13 % du soja standard) en 2012/2013, progressant de 120 % par rapport aux deux saisons précédentes selon les cotations relevées pour les tourteaux de soja départ Montoir (Fig. 2). La saison suivante (2013/2014), la cotation moyenne du soja rebaissait de 3 % et celle du blé de 21 %, le ratio s’alignant sur 2.43. La prime pour le soja non OGM est restée stable.

Face à la volatilité des prix, il était nécessaire d’effectuer un travail prospectif, prenant en compte non seulement l’évolution possible des prix des différentes MP leaders (blé/soja), mais surtout l’évolution des ratios de prix entre différents produits (tourteaux de soja « OGM free », tourteaux de tournesol High Pro et tourteaux de colza métropolitains et d’importation).

3 Les résultats

3.1 Localisation géographique des débouchés

Les résultats présentés ci-après ont été obtenus en paramétrant le modèle Prospective Aliment sans imposer de contrainte sur l’allocation du tonnage du soja gras à telle ou telle usine. Ainsi, pour chaque nouvelle tonne de soja gras mise sur le marché, le modèle nous renseigne sur le site de production qui en retirera le meilleur prix d’intérêt.

Sur les 50 000 t (l’équivalent d’environ deux usines) de tourteaux de soja gras proposées dans l’outil de modélisation, 60 % trouvent des débouchés dans les deux régions concernées, de façon bien répartie entre elles. Si les premières tonnes de tourteau de soja gras sont d’abord valorisées dans la zone Sud-Ouest, les deux outils captent ensuite à peu près les mêmes volumes pour des prix d’intérêt identiques. Ainsi, dans l’hypothèse d’une usine par zone, soit une production de l’ordre de 50 000 t disponibles, 15 000 t iraient pour chacune des deux zones autour des usines de production (Fig. 3). Pour le reste, l’usine localisée dans l’Ain trouverait également des débouchés dans les régions Centre (6 kt) et Auvergne (4 kt). La région Pays de la Loire (9 kt) pourrait quant à elle être approvisionnée par chacune des usines, le coût d’approche retenu étant quasi identique entre les deux origines.

Une hausse de la disponibilité du tourteau de soja gras par multiplication du nombre d’usines de capacité unitaire théorique de 24 000 t (400 000 t correspondant à 16 unités, soit 8 unités par zone- Sud-Ouest et Sud-Est) profiterait surtout aux autres régions et notamment aux Pays de Loire jusqu’à 250 000 t, puis à la Bretagne (Fig. 3).

thumbnail Fig. 3

Zones de consommation du tourteau de soja gras local par les fabricants d’aliments (FAB) au fur et à mesure d’une augmentation de la production de tourteau de soja local.

3.2 Estimation du prix d’intérêt

Avec les deux outils atteignant l’un et l’autre leur niveau de production de 24 000 t, le prix d’intérêt du tourteau de soja gras, dans l’hypothèse des prix moyens de la campagne 2012/2013, se situerait aux environs de 570 €/t (Fig. 4). On peut comparer ce prix aux prix de marché observés sur cette période du tourteau de soja 48 (465 €/t) et du tourteau de soja 48 non OGM (525 €/t), soit respectivement +23 % et +9 % pour le tourteau de soja gras.

thumbnail Fig. 4

Évolution du prix d’intérêt du tourteau de soja gras local.

Si le nombre d’usines passait à 8 (soit environ 200 000 t de disponibilités), la prime du tourteau gras ne serait plus que de +16 % face au soja standard et de 2,5 % face au soja non OGM (Fig. 4). Il est par ailleurs intéressant de noter que la parité avec le prix du tourteau de soja non OGM est atteinte pour des volumes de tourteau de soja gras de l’ordre de 300 kt.

La sensibilité du prix d’intérêt du tourteau de soja gras aux valeurs de CB et MG a aussi été testée. Lorsque la teneur en cellulose brute passe de 6 % à 9 %, le prix d’intérêt baisse de 10 €/t (pour un volume allant de 5000 t à 50 000 t). Et lorsque la teneur en matière grasse progresse de 7 % à 8 %, le prix d’intérêt augmente de 1,2 % à 0,5 % (+6/+3 €/t) selon le volume mis à disposition (l’intérêt baisse lorsque le tonnage augmente). On peut donc conclure de ce test de sensibilité, qu’il vaut mieux se focaliser sur une faible teneur en fibres du tourteau que sur un taux de matière grasse plus élevé que celui retenu dans la matrice. En termes de process, il y a donc plus à gagner à viser un taux de fibres bas qu’un taux de MG élevé.

3.3 Les espèces consommatrices

Le débouché volailles apparaît très largement prépondérant (près de 90 %) loin devant l’aliment porcin, et ce quel que soit le tonnage de tourteau gras local proposé (Fig. 5). L’intérêt pour les vaches laitières n’apparaîtrait que pour des tonnages mis sur le marché supérieur à 300 kt, mais resterait marginal. Bien sûr, cela n’exclut pas ce débouché, notamment dans le cadre de filières contractualisées sur des AOC8 par exemple.

En termes de gamme d’aliment, les formules « non OGM » offriraient un débouché majeur pour le tourteau de soja gras. Néanmoins, grâce à sa valeur énergétique, cette matière première pourrait également intéresser des formules classiques exigeantes en densité nutritionnelle comme l’aliment dinde ou l’aliment poulet export. Cette diversification se développe surtout au-delà des 50 000 t retenues dans l’hypothèse de base.

Il n’apparait pas dans les résultats de formules ovines non OGM, car le modèle n’en contenait pas. Cependant, il semble probable que certaines filières ovines spécifiques comme l’agneau fermier de l’Aveyron ou les brebis de Roquefort ou d’Ossau Iraty, puissent être une cible pour le tourteau de soja gras dans des correcteurs azotés, même si cela représenterait de faibles quantités.

thumbnail Fig. 5

Espèces consommatrices de soja gras local selon le tonnage mis sur le sur le marché à destination des fabricants d’aliments.

Si on zoome sur la région Sud-Ouest, l’aliment canard non OGM (finition puis croissance) s’impose comme le socle de la consommation du tourteau de soja gras dans cette région. Rappelons que les cahiers des charges des deux plus grandes marques de foie gras (Delpeyrat et Montfort) ne sont pas contraignants, et que le débouché se situerait plutôt sur des acteurs comme Labeyrie et les filières courtes qui expliquent un volume d’environ 10 000 t par an. L’aliment porcelet « non OGM » capterait également cette matière première, mais à partir de tonnages de tourteau de soja gras de plus de 80 kt. Enfin, l’aliment poulet label « non OGM » présenterait un potentiel de consommation significatif, mais là encore pour un tonnage de tourteau de soja gras mis sur le marché de plus de 300 kt (soit un prix d’intérêt supérieur au prix du tourteau de soja non OGM de 5 %).

Dans la région Sud-Est, c’est l’aliment poulet « non OGM » (finition, démarrage, puis label dans un second temps) qui constituerait la base de la consommation du tourteau de soja gras. L’aliment pondeuse « non OGM » ne pourrait espérer capter cette matière première qu’au-delà d’un tonnage mis sur le marché de 300 kt (soit un prix d’intérêt nettement plus bas mais supérieur au prix du tourteau de soja non OGM de 5 %). Il en de même pour la demande liée à la forte concentration des AOC en productions laitières (bovins, caprins et ovins), à la certification de marques distributeurs sur le lait de montagne par exemple, ou bien encore à la filière viande (broutard d’Italie).

Enfin, notons que le débouché des volailles bio aurait pu être un axe stratégique de développement. Mais un tourteau de soja local ne peut intégrer les 5 % de matières premières conventionnelles dans les aliments AB si un tourteau de soja bio y est déjà utilisé (règle de non concomitance).

3.4 Les Matières premières concurrentes

Sur le bilan national de consommation de matières premières par les fabricants d’aliments simulé par le modèle Prospective Aliment, le tourteau de soja gras se positionne très nettement face au tourteau de soja « non OGM », puis face au tourteau de soja standard et aux drêches d’importation de maïs. Il n’apparaît pas, dans les hypothèses testées, comme concurrent d’autres sources de protéines concentrées capables de satisfaire aux exigences de cahiers des charges contraignants (tournesol HP, tourteau de colza et drêches de Lacq en France dont l’utilisation globale d’un volume minimum, correspondant aux productions locales annuelles, est imposé par le modèle), hormis un léger impact sur le prix des graines de soja extrudées métropolitaines.

3.5 Impact d’une contractualisation régionale

Afin de tenir compte d’une contrainte potentielle de valorisation exclusive du tourteau de soja gras dans la région de production (choix de contractualisation de la production par exemple avec des acteurs locaux), le modèle a été paramétré en distinguant deux tourteaux de soja gras. Le premier est produit dans l’usine du Sud-Ouest et n’a d’autres possibilités qu’une valorisation dans cette même région (coût de transport volontairement prohibitif pour les autres régions), le second est produit dans l’usine Sud-Est et n’est utilisable que dans les formules de la région Sud-Est. Ils sont comparés aux résultats obtenus pour un soja gras sans contrainte régionale (c’est-à-dire « exportable »).

Tableau 1

Comparaison des débouchés non OGM des tourteaux de soja avec contrainte d’utilisation régionale en comparaison du tourteau de soja gras sans cette contrainte dans le cas de 3 usines/régions (150 000 t de graines triturées par an).

On note que pour un volume produit de 2500 t dans chacune des usines (soit un total de 5000 t), les prix d’intérêt sont quasi identiques (Fig. 6). Pour des tonnages de production correspondant à une, puis deux, puis trois usines, la contrainte de non utilisation des tourteaux de soja gras hors de leur zone de production respective pèse fortement sur leur prix d’intérêt, avec un différentiel par rapport à un tourteau de soja gras « exportable » de l’ordre de 30 à 40 €/t dans le contexte de prix 2012/2013 (Fig. 6).

On peut donc souligner que le différentiel de prix d’intérêt (de l’ordre de 30 à 40 €/t) confirme l’attractivité des régions voisines pour la valorisation du tourteau de soja gras dans leurs formules.

thumbnail Fig. 6

Comparaison des prix d’intérêt des tourteaux de soja local sous contrainte d’utilisation régionale avec le prix d’intérêt du tourteau de soja gras sans cette contrainte (contexte de prix 2012/2013).

L’analyse de la consommation des tourteaux de soja gras par formule d’aliments composés, montre que c’est en grande partie le manque de débouchés fortement rémunérateurs pour le soja gras (poulet export, dinde et concentré azoté porc, formules peu présentes dans ces régions) qui pénalise cette stratégie « locale ». Le prix se recale sur un débouché des filières qualité (non OGM) malgré tout moins rémunératrices.

Au-delà de trois usines en France (capacité totale de 150 000 t/an), plus les volumes proposés sont élevés et plus le soja doit trouver une incorporation dans des formules conventionnelles, car les tonnages d’aliments non OGM sont trop limités et ce d’autant plus que l’on contraint à une utilisation régionale vs France entière (Tab. 1) Cela affecte son prix d’intérêt un peu plus.

Dans le contexte 2012/2013, l’huile de palme valait 698 €/t, un prix particulièrement attractif qui facilitait son incorporation chez les fabricants d’aliments. Vu le taux de matière grasse du tourteau de soja gras local, il était important de connaître le comportement de son prix d’intérêt dans un contexte de prix plus élevé de la matière grasse. Un prix de 900 €/t a été testé pour des hypothèses de production de 1, 2 et 3 usines dans chacune des deux régions. Pour un tonnage correspondant à la production d’une usine dans chacune des deux régions (25 kt), le prix d’intérêt se rapproche du prix d’intérêt obtenu pour un soja « exportable » (c’est-à-dire sans contrainte d’utilisation régionale), notamment pour le tourteau de soja produit dans le Sud-Ouest (écart de 4 €/t) contre un écart de 9 €/t pour le tourteau de soja produit dans le Sud-Est (soit un écart moyen de 7 €/t).

Pour des tonnages plus importants (deux, puis trois usines), l’écart de prix d’intérêt serait respectivement de 26 et 36 €/t entre le prix d’intérêt du soja « exportable » et la moyenne des prix des tourteaux de soja des deux régions Sud-Ouest et Sud-Est.

En conclusion, un contexte de prix de l’huile élevé se traduit par une valorisation régionale des tourteaux de soja gras moins dégradée par rapport à une valorisation partielle à l’extérieur des zones de production des tourteaux gras, d’autant plus que le volume à écouler est faible.

Tableau 2

Hypothèses de prix des deux scénarios prospectifs testés en complément de ceux de la campagne 20122013.

3.6 Potentiel d’utilisation dans des contextes de prix différents

Le contexte de prix 2012/2013 proposait des prix de blé et de tourteau de soja d’importation élevés face à l’historique des cotations. Le blé fourrager s’y affichait à 242 €/t en moyenne annuelle contre 184 €/t sur les 7 dernières années (2008/2014). Le soja avait pour prix moyen 465 €/t vs. 359 €/t sur la moyenne 7 ans. Il convenait ainsi d’explorer des scénarios de prix différents et prospectifs à un horizon de 5 ans.

À un horizon de 5 ans, l’étude table sur un prix du blé proche de la moyenne 7 ans (environ 190 €/t), et sur un prix du soja plus ou moins fortement au-dessus de la tendance des 7 dernières années. La hausse tendancielle des prix semble en effet beaucoup plus rapide sur les tourteaux que les céréales, autrement dit plus rapide sur les protéines que l’énergie. C’est aussi pourquoi, dans les deux scénarios, le prix de l’huile est en baisse, à 548 €/t.

Dans des contextes de prix baissiers face à la période de référence 2012/2013, la valorisation du tourteau de soja gras apparaît logiquement un peu moins élevée en €/t que dans le contexte de base de 2012/2013, soit 5.6 % dans le scénario 1 et jusqu’à 15 % dans le scénario 2, tout en restant positive jusqu’à environ 250 000 t produites (Fig. 7).

thumbnail Fig. 7

Valorisation du tourteau de soja gras local face à un soja d’importation non Ogm selon le volume mis au marché et dans trois contextes de prix différents définis dans le tableau 2.

Retenons que dans un contexte de ratio soja/blé élevé (>2) (scénarios 1 et 2), le soja gras est moins bien valorisé face au soja d’importation non OGM, malgré une prime « OGM free » importante (1520 %). Il vaut mieux aller chercher l’énergie dans une huile végétale proposée séparément ...Cette conclusion peut être invalidée si le prix de l’huile augmente plus vite que dans les scénarios retenus. Une accaparation plus forte des huiles de soja et de palme par le secteur du biodiesel pourrait par exemple aboutir à ce genre de contexte.

4 Conclusions

Après avoir pris toutes les réserves d’usage concernant les limites de l’étude, liées au périmètre de découpage régional du modèle et au manque de sensibilité possible à l’utilisation de certaines matières premières locales, l’étude peut apporter les conclusions suivantes :

  • La valorisation du tourteau de soja gras local (avec lescaractéristiques nutritionnelles retenues) est supérieure à celled’un tourteau de soja d’importation ordinaire 48 % (+23 %) mais aussi d’un tourteau de soja d’importation « non OGM » (+9 %) dans le contexte de prix 2012/2013 et pour le volume étudié (50 000 t). Cependant, chaque tonne supplémentaire mise au marché entraîne une baisse moyenne de 0,26 €/t de son prix d’intérêt (mais de manière non linéaire). Dans un contexte de prix moins chers (les deux scénarios prospectifs), et de ratio soja/blé élevé (> 2), la valorisation du tourteau de soja gras est un peu plus faible tout en restant supérieure à celle d’un tourteau de soja d’importation non OGM.

  • Si l’étude a démontré que le tourteau de soja gras local peut répondre favorablement à la demande du cahier des charges « non OGM » de certaines filières de « qualité » représentées dans les deux régions étudiées (Sud-Ouest et Rhône Alpes/Sud Est), elle montre aussi que certains débouchés sont plus rémunérateurs dans et en dehors des zones de mise en marché. C’est le cas de la dinde ou du poulet export, sur certains types d’aliments. C’est aussi le cas de certaines gammes non OGM dans des régions limitrophes, notamment les Pays de Loire. C’est pourquoi, dans le cas d’une contrainte d’utilisation locale, la valorisation du tourteau gras serait en baisse de 5 à 7 % (dans le contexte de prix étudié).

  • Il convient donc de comprendre que la rentabilité d’une usine de trituration pour un soja produit localement, dépendra de la mise en marché du coproduit. Les opérateurs pourraient être amenés à choisir entre une valorisation optimale impliquant des ventes en dehors de leur région (et/ou sur des filières standards), ou un soutien à leurs filières de qualité locales, moins rémunératrices. La notoriété de la marque ou l’image du produit font donc du choix marketing des entreprises concernées, un facteur essentiel de l’utilisation future du soja gras local. Entre une valorisation théorique et réelle de ce tourteau, se glisse ainsi des enjeux marketing de filières qui peuvent changer quelque peu la donne.

  • Le modèle ne prend pas en compte la contractualisation possible et probable autour de certains outils (graine/tourteaux). Celle-ci, selon ses termes, peut entraîner une rémunération du tourteau déconnectée (en partie) du marché, permettant aux éleveurs de s’affranchir de la volatilité. Certaines filières (notamment les fromages AOC) y trouveraient aussi le moyen de conserver intacte l’image vendue au travers de la marque ou de l’appellation (notion de terroir).

Le tourteau de soja gras local possède de nombreux débouchés rémunérateurs liés ou non à son caractère non OGM et à son image « terroir ». Cela lui confère un intérêt économique certain, qui reste difficile à chiffrer non pas face à un concurrent d’importation, mais face aux décisions de mises en marché qui seront prises par les opérateurs concernés (contractualisation ou non).


1

Fabrication d’aliments à la ferme.

2

Fabricants d’aliments composés.

3

Centre d’Etude et de Recherche sur l’Economie et l’Organisation des Productions Animales.

4

Haute teneur en Protéines soit 34/36 % de protéines sur matière brute, en provenance de Mer Noire (Ukraine et Russie principalement).

5

Génétiquement modifié.

6

Interprofession issue de la fusion de l’ONIDOL et de l’UNIP.

7

base de l’alimentation animale Feedbase, offre commerciale Partner&Co selon communication personnelle de Quinsac 2011.

8

Appellation d’origine contrôlée.

Références

  • Oil World. 2015. [Google Scholar]
  • Quinsac A., Labalette F., Carré P., Janowski M., Fine F. 2012. Comment valoriser dans l’alimentation animale, les graines de soja produites en France ? Comparaison de deux procédés de transformation: l’aplatissage-cuisson-pression et l’extrusion-pression. OCL 19: 347–357. [CrossRef] [EDP Sciences] [Google Scholar]

Cite this article as: Patricia Le Cadre, Frédéric Pressenda, Françoise Labalette, Corinne Peyronnet. Valorisation de tourteaux de soja issus d’une production locale non OGM chez les fabricants d’aliments. OCL 2015, 22(5) D507.

Liste des tableaux

Tableau 1

Comparaison des débouchés non OGM des tourteaux de soja avec contrainte d’utilisation régionale en comparaison du tourteau de soja gras sans cette contrainte dans le cas de 3 usines/régions (150 000 t de graines triturées par an).

Tableau 2

Hypothèses de prix des deux scénarios prospectifs testés en complément de ceux de la campagne 20122013.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Les 9 régions du modèle Prospective aliment.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Prix des tourteaux en France depuis 2008.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Zones de consommation du tourteau de soja gras local par les fabricants d’aliments (FAB) au fur et à mesure d’une augmentation de la production de tourteau de soja local.

Dans le texte
thumbnail Fig. 4

Évolution du prix d’intérêt du tourteau de soja gras local.

Dans le texte
thumbnail Fig. 5

Espèces consommatrices de soja gras local selon le tonnage mis sur le sur le marché à destination des fabricants d’aliments.

Dans le texte
thumbnail Fig. 6

Comparaison des prix d’intérêt des tourteaux de soja local sous contrainte d’utilisation régionale avec le prix d’intérêt du tourteau de soja gras sans cette contrainte (contexte de prix 2012/2013).

Dans le texte
thumbnail Fig. 7

Valorisation du tourteau de soja gras local face à un soja d’importation non Ogm selon le volume mis au marché et dans trois contextes de prix différents définis dans le tableau 2.

Dans le texte

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