Open Access
Issue
OCL
Volume 17, Number 6, November-Décembre 2010
Dossier : Palmier à huile et développement durable
Page(s) 360 - 361
Section Introduction
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2010.0347
Published online 15 November 2010

Le rythme effréné de développement de la culture du palmier a huile est probable- ment sans équivalent si l’on considere que la production de l’un des principaux produits de base sur les marchés mondiaux de matières premières agricoles a été mul- tipliée par 10 en l’espace de 30 ans, et par 4 sur les 20 dernières années. L’explosion de la culture a été particulièrement spectaculaire dans le cas de la Malaisie et de l’Indonésie, qui représentent a elles seules 85% de la production mondiale. Encore plus clairement que la Malaisie, l’Indonésie a décidé d’appuyer son développement sur l’essor de son agriculture, et notam- ment la culture du palmier a huile. Aidée par la libéralisation des échanges interna- tionaux, par une demande croissante en huiles végétales, par un renchérissement des matières premières énergétiques se traduisant par l’affectation grandissante de certaines huiles concurrentes pour cou- vrir des besoins énergétiques, ce pays a multiplié par 30 (!) sa production depuis 1980 pour devenir, il y a quelques années, le premier producteur mondial. Ce développement explosif, fondé sur les mêmes ressorts que les schémas utilisés aupara- vant dans tous les pays producteurs, n’a souvent pas suivi l’accroissement international des exigences environnementales et peine a adopter les nouveaux standards du développement durable.

Pour cette raison, le palmier a huile est apparu a plusieurs reprises, et a son corps défendant, a la une de l’actualité. La dén- onciation (justifiée) de pratiques de développement de la culture contraires a une gestion responsable de l’environnement ou le rappel (légitime) de certains incon- vénients diététiques de la consommation de l’huile ont conduit, dans les pays occi- dentaux, a une véritable diabolisation de la plante et de ses usages. Médiatisées par des actions efficaces d’organisations issues de la société civile, les critiques ont suscité l’engagement de plusieurs grands noms de l’industrie agroalimentaire et de la distribution de limiter, voire de supprimer a terme, l’utilisation de l’huile de palme dans leurs produits. Elles ont aussi entrainé la dénonciation de contrats commerciaux conclus par d’importants transformateurs européens avec une grande société de plantation indonésienne. Pour leur part, les agences de financement du développe- ment s’interrogent sur le bien fondé de leur appui a ce secteur et les chercheurs du domaine eux-mémes sont conduits a s’interroger sur les retombées de leurs travaux et doivent parfois se justifier jusque dans leur environnement familial.

A l’évidence, l’emballement des médias et des industriels craignant un boycott des consommateurs est largement exa- géré. Le palmier a huile demeure sans rival pour sa productivité a l’hectare (le palmier produit aujourd’hui plus d’huile sur 14 millions d’hectares que le soja sur prés de 100 millions), pour sa rentabilité, pour certaines propriétés technologiques des huiles de palme et de palmiste et son volume de production est nécessairement vouéa s ‘accroitrefortement, ne serait-ceque pour des raisons d’ordre démographique. Ne jetons donc pas le bébé avec l’eau du bain : ce qui peut etre condamnable, ce sont des modalités particuliéres de la culture ou de l’usage des huiles, mais ni le palmier ni l’huile de palme ne sont intrin- séquement nocifs. Qu’on le veuille ou non, les engagements radicaux de rejet ou de substitution ne pourront d’ailleurs pas etre tenus faute d’alternatives économique- ment, technologiquement ou écologique- ment crédibles. Les remédes risqueraient d’ailleurs de s’avérer pire que le mal si les solutions de remplacement n’étaient pas examinées d’un regard critique met- tant en balance leurs avantages et leurs inconvénients.

Meme si la controverse actuelle s’appuie souvent davantage sur les ressorts de l’émotion que de l’analyse objective, elle crée’cependant, les conditions d’une prise de conscience sur l aquel le peuvent etre échafaudées et acceptées des politiques mieux raisonnées et des mises en oeuvre moins laxistes des principes affichés. C’est ainsi, par exemple, que la pression des opinions publiques a suscité la création de RSPO (Roundtable for Sustainable Palm Oil), exemple unique d’autorégulation a l’échelle mondiale d’un secteur entier, de l’amont a l’aval, sur des critéres de responsabilité sociale et environnemen- tale. A la différence de ce qui se passe dans d’autres domaines confrontés a des prob- lématiques de meme nature - les forets, le commerce équitable, par exemple, ou plusieurs instances de certification se font concurrence - RSPO a su s’imposer rapidement comme Le lieu de rencontre reconnu par toutes les principales parties prenantes (les « stakeholders » suivant la terminologie dominante).

Fort d’environ 500 membres asiatiques, américains du Nord et du Sud, ou européens, parmi lesquels les principaux plan- teurs indonésiens et malais, des firmes de négoce, de grandes sociétés occidentales utilisatrices (Unilever, Nestlé, etc.) des ONG comme le WWF et Oxfam, RSPO est devenu en un tout petit nombre d’années l’instance quasi exclusive de négociation et d’élaboration consensuelle des bonnes pratiques de culture et des normes de certification.

Après une phase de croissance très rapide marquée par une vague importante d’adhésions et par la déclinaison en cours dans les différents pays producteurs des règles générales élaborées dans le con- texte asiatique, la pérennité de RSPO n’est toutefois pas encore totalement assurée. Les tensions y sont parfois vives, et la production certifiée durable n’a pas encore trouvé suffisamment de débouchés rémunérateurs justifiant son surcout, bien qu’elle ne représente encore qu’une faible part de la production mondiale. Surtout, plus que des pressions des ONG et des associations de consommateurs qui influencent le comportement des grandes firmes utilisatrices par le biais des opinions publiques occidentales, la pérennité de RSPO et son efficacité seront conditionnées par l’attitude des deux principaux pays importateurs - la Chine et l’Inde, pour l’instant soucieuses quasi- exclusivement de sécuriser leurs approvi- sionnements et d’en diminuer le cout - et par la mise au point de mécanismes per- mettant d’associer les petits producteurs a cette dynamique.

Les signaux pergus très récemment a la huitième session annuelle de RSPO tenue a Djakarta en novembre 2010 sont plutot encourageants a cet égard mais deman- dent a être confirmés.

Ce cahier spécial d’OCL a pour ambition de contribuer a éclairer la problématique du développement durable de la culture.

En introduction, Hubert Omont met en perspective les termes de la controverse en rappelant quelques données fondamentales : les surfaces consacrées a la culture du palmier, la structure de la production, son impact social et environnemental, la place et les perspectives des biocarburants notamment.

Alain Rival et Estelle Jaligot expliquent ensuite comment les outils de la biologie moderne pourront être mis au service de la durabilité.

Tristan Durand-Gasselin, Lisa Blangy et leurs collègues du Cirad et de PalmElit complètent la présentation précédente du point de vue du sélectionneur confronté aux problèmes concrets rencontrés par les planteurs. Ils développent également la fagon dont une firme semencière, en l’occurrence PalmElit, filiale du Cirad et de Sofiproteol, s’efforce de traduire dans sa pratique les objectifs et les règles de conduite élaborés au sein de RSPO.

Passant de la déontologie a l’éthique, Marie de Lattre-Gasquet et ses collègues du comité d’éthique commun au Cirad et a l’Inra présentent les réflexions de cette instance pour aider les directions générales des deux organismes a définir leur politique concernant la question particulière des biocarburants.

Thomas Skurtis, Guédi Aïnaché et Didier Simon explicitent comment l’Agence fran- gaise de développement et Proparco, qui ont entrepris, comme les autres bailleurs de fonds du développement que sont la Banque mondiale et la Société finan- cière internationale, de réexaminer leurs engagements dans le secteur controversé du palmier, justifient la poursuite de leur appui a cette culture en Afrique.

Cet ensemble de travaux est enfin illus- tré par l’étude réalisée par Claude Jan- not du cas ivoirien, dans une approche chronologique qui décrit l’évolution du paysage en Afrique de l’Ouest et les contraintes particulières qui en découlent : les recompositions successives des acteurs (dans lesquelles les privatisations ont joué un role majeur), la place des petits producteurs, l’arrivée des grandes sociétés asiatiques, la situation foncière, etc.

Deux autres études de cas n’ont malheureusement pas pu trouver leur place dans le présent numéro d’OCL :

  • une approche socio-économique des petits producteurs au Nigeria, premier pays producteur d’Afrique ;

  • l’exemple du cheminement d’une société indonésienne, figurant parmi les leaders mondiaux de la production, pour mieux prendre en compte les paramètres de durabilité qui font maintenant consensus, parfois volontairement et parfois sous la pression des accusations portées a son encontre pour le non-respect de critères environnementaux.

Ces deux contributions a paraitre ultéri- eurement et centrées sur la mise en oeuvre effective des principes généraux issus des réflexions collectives sur le développement durable du palmier a huile compléteront utilement les thèmes présentés ici.


© John Libbey Eurotext 2010

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