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OCL
Volume 21, Number 5, September-October 2014
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Article Number | N502 | |
Number of page(s) | 3 | |
DOI | https://doi.org/10.1051/ocl/2014032 | |
Published online | 02 September 2014 |
News
Huile d’olive française la bataille de l’origine est gagnée et maintenant ?
2014 est une date symbolique, car elle marque le vingtième anniversaire de la reconnaissance de la première Appellation d’origine contrôlée/protégée française : l’AOP Huile d’Olive de Nyons. Que de chemin parcouru en vingt ans, que de batailles gagnées !
Vingt ans, un cycle de vie, une génération, auront suffi à changer les mentalités. Pourtant la partie semblait loin d’être gagnée quand est paru, en 1998, le règlement européen 2815/98 quelques jours avant Noël. Ce règlement se révélait extrêmement ambigu : d’un côté, il consacrait la notion d’origine en sanctifiant les AOP (Appellations d’origine protégée) et les IGP (Indications géographiques protégées), interdisant le fait d’utiliser toute mention d’origine pour les huiles d’olive plus restrictives que l’État membre, hors des mentions AOP et IGP (sauf pour les marques déposées et enregistrées avant le 31 décembre 1998) ; mais, de l’autre côté, il ne touchait pas au principe de la dernière transformation substantielle, à savoir qu’une huile d’olive de France pouvait être issue d’olives espagnoles ou italiennes triturées en France.
À l’époque, il n’était pas question d’obligation d’indication de l’origine sur l’étiquetage et les échanges que nous avions avec les industriels montraient leur forte opposition à toute mise en avant de l’origine dans le secteur de l’huile d’olive. Ils étaient formels, jamais cette obligation n’existerait!
2002, première victoire
Le règlement 1019/2002 du 13 juin 2002 fut le premier coup de canif contre ce dogme. C’est lui qui institua la règle fondamentale de la juste information du consommateur à savoir qu’une huile d’olive de France ne pouvait être extraite en France qu’à partir d’olives issues des vergers français et que, dans le cas où les olives étaient originaires d’un autre État Membre ou d‘un pays tiers, l’origine des olives devait clairement être mentionnée. Cette victoire fut obtenue par la conjonction des efforts des producteurs italiens et français. Elle était à la fois fondamentale pour nous, car elle faisait disparaître des huiles de France qui n’en étaient pas, et suffisante, car elle nous permit de communiquer sur le fait que si l’origine n’était pas inscrite sur l’étiquetage, cela signifiait que l’huile n’était pas française. C’est à cette époque que l’Afidol lance le logo”Huile d’Olive de France” qui est aujourd’hui largement utilisé.
2009, la victoire inattendue
Le règlement 182/2009 du 6 mars 2009 vint modifier le 1019/2002 en introduisant l’obligation de l’indication d’origine dans l’étiquetage sur toutes les huiles d’olive sans en changer les principes à savoir : Union européenne, État membre, AOP, IGP ou pays tiers. C’était une victoire inattendue, car nous pensions que la Commission n’irait pas à l’encontre des intérêts des industriels. C’était sans compter l’exaspération des producteurs d’olives italiens qui voyaient leurs principales marques, passées sous pavillon espagnol, cultiver activement la confusion. Il faut dire qu’il y a de quoi s’énerver face, par exemple, à l’utilisation intensive de l’image de Florence et de la Toscane pour vendre de l’huile andalouse.
2013, la confirmation
Le règlement d’exécution 1335/2013 du 13 décembre 2013 est venu renforcer l’obligation d’indication de l’origine en précisant l’homogénéité de la dimension des mentions obligatoires et de leur présence dans un même champ visuel afin que le consommateur n’ait pas à chercher cette mention qui était souvent peu explicite et difficilement lisible. La filière française ne pouvait qu’être satisfaite d’une telle mesure.
Nous le voyons, en moins de vingt ans, la bataille de l’origine ou plutôt devrais-je dire la bataille de “l’information juste et claire du consommateur” était gagnée. Pour autant tout n’est pas parfait dans le meilleur des mondes, car derrière cette bataille générique se déroule, de façon insidieuse, une bataille beaucoup moins claire des services de la Commission pour enfermer les mentions régionales ou locales dans des règles aussi complexes qu’incompréhensibles.
Le Paquet Qualité 2012, fossoyeur des AOP Huile d’Olive ?
À l’origine était le règlement 2081/92 issu des accords de Dublin qui instituait en Europe, pour l’agro-alimentaire, la possibilité de reconnaître des AOP et des IGP au même titre que dans le vin. Comme toujours, l’apparition de cette possibilité a été suivie d’une période faste pendant laquelle il fut enregistré nombre d’AOP et d’IGP aux cahiers des charges “légers” sans que la Commission n’y trouve rien à redire. Dès le début des années 2000, nous avons commencé à percevoir un durcissement de la Commission dans l’instruction des dossiers, durcissement confirmé par l’adoption du règlement 510/2006 qui complexifie fortement la gestion des dossiers de demande de reconnaissance en AOP et en IGP. La deuxième couche n’allait pas tarder à arriver avec le paquet Qualité, publié sous le règlement 1151/2012 du 21 novembre 2012 qui enferme surtout les AOP agro-alimentaires dans un carcan interdisant toute évolution simple et facile de leur cahier des charges. Or, tout système qui ne peut évoluer est condamné à mourir !
L’enfermement des dogmes
Au fil des vingt années écoulées, les services de la Commission se sont forgés des positions dogmatiques qui sont totalement inadaptées à la réalité économique de nos filières. Parmi ces dogmes, trois sont particulièrement bloquants :
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Le dogme du nom Depuis toujours, les noms évoluent au gré des pratiques linguistiques. Bien sûr l’antériorité et l’usage d’un nom sont fondamentaux dans la reconnaissance d’une AOP ou d’une IGP, mais le monde change et les noms ont besoin d’évoluer pour différentes raisons. Par exemple, à l’usage, il est clair que le consommateur n’associe pas Nîmes à l’huile d’Olive, Picholine de Nîmes serait beaucoup plus adaptée mais une telle modification n’est même pas envisageable dans le contexte actuel. Nous aurions pu prendre l’exemple, dans la filière viticole, de “Tricastin” qui a pris une connotation négative au travers de son homonymie avec la centrale nucléaire, son changement de nom en Grignan les Adhémar n’aurait absolument pas pu être possible dans le cadre du 1151/2012. Cet exemple pose aussi le problème de la différence de traitement entre les produits agro-alimentaires et le vin.
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Le dogme de l’aire de production Il représente probablement le plus bel exemple d’enfermement. Poser comme principe fondamental, l’unicité d’une aire de production ne peut être remise en cause. Être incapable de comprendre qu’il y a des aires d’usages et que toutes les activités ne se font pas partout dans l’aire relève de la bêtise. Dans tout produit AOP ou IGP, il y a généralement trois métiers qui concourent à l’élaboration du produit fini : ce sont la production de la matière première (raisins, olives, lait, porcs, ...), la transformation de cette matière première (cave, moulin, fromagerie, abattoir, ...) et l’affinage ou l’élevage (vin, fromage, charcuterie, ...). Pour produire la matière première, il faut un lien au terroir, fondement de l’AOP, mais pour extraire l’huile au moulin, il faut des infrastructures de traitement des effluents que l’on ne trouve pas dans les coteaux où poussent nos oliviers. Il est aussi aberrant de vouloir mettre les moulins au milieu des oliviers que de vouloir mettre les oliviers au milieu des moulins. Personne ne conteste qu’une AOP ou une IGP doit être bâtie sur un système qui maintient la valeur ajoutée dans une aire délimitée mais cette aire devrait pouvoir être subdivisée en aires d’usages différents.
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Le dogme de l’unicité du produit et de l’évolutiondes pratiques L’enfermement qui prévaut en la matière est impressionnant. Si la révolution des décanteurs centrifuges se produisait aujourd’hui, nous ne sommes pas sûrs que la Commission l’accepterait. L’arrivée de ces décanteurs a révolutionné le monde de l’huile et sans conteste révolutionné le goût des huiles. À partir de deux techniques d’extraction qui donnent, avec les mêmes olives, des goûts très différents, pourquoi une huile serait en AOP et l’autre pas ? Quand le froid et le débourbage révolutionnent la vinification des blancs et des rosés, devons-nous refuser l’AOP à ceux qui ne l’utilisent pas et font un vin différent ? Le goût des consommateurs change dans le temps, une AOP ou une IGP est-elle pour autant condamnée à mourir faute d’avoir le droit de s’adapter à cette évolution du goût ?
Faire reconnaître ou modifier une AOP ou une IGP, l’histoire d’une vie ou pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué !
Le règlement 1151/2012 complexifie à outrance les procédures de reconnaissance ou de modification des AOP et des IGP. Que la reconnaissance d’une nouvelle appellation prenne du temps (10 ans en moyenne), c’est relativement “normal” car ce délai permet généralement aux porteurs de projets de mûrir et de s’approprier leur futur signe. Mais quand il s’agit de modifier un point du cahier des charges parfois sur un élément mineur, c’est inadmissible ! En supprimant l’application transitoire des modifications, la Commission a pris une décision qui a de graves conséquences. Entre le moment où les AOP françaises d’huile d’olive ont souhaité faire évoluer leur cahier des charges et l’application de celui-ci, il se sera écoulé quasiment dix ans. Quelle entreprise pourrait se permettre de mettre dix ans pour faire évoluer son produit ou déménager son usine ? La performance d’une entreprise se mesure souvent à sa capacité d’adaptation au marché, quelle entreprise survivrait à dix ans de procédures pour simplement s’adapter ? Les procédures administratives tant au niveau français qu’au niveau européen sont d’une lourdeur inimaginable. Bien sûr, tout ce beau monde nous explique que c’est pour notre bien, pour éviter notamment les conflits juridiques. Mais justement, avoir laissé le pouvoir aux juristes paralyse totalement le système ! Toute décision ne peut être prise qu’au regard de la position du service des affaires juridiques de chaque strate du dispositif (INAO, ministère, commission) qui, bien sûr, pour ne prendre aucun risque, ouvre des parapluies qui ressemblent à des barnums de foire !
L’IGP, piste de simplification ?
Sur le principe, nous aurions pu l’espérer, mais le fait que le paquet Qualité n’ait pas voulu trancher sur le positionnement hiérarchique des signes entre eux, ne facilite pas les choses. Sur le dogme du nom, il y a peu de différences. Sur celui de l’aire, le balancier peut partir très loin, comme en matière de charcuterie où la matière première peut venir totalement hors de l’aire. Comment peut-on trouver normal d’expliquer à un consommateur qu’un saucisson sec d’Auvergne en IGP peut être fabriqué avec un porc roumain ? Pour la partie “information juste et claire du consommateur”, c’est plutôt raté ! Au fil du temps, il s’est créé tellement de situations différentes en matière d’IGP, qu’il devient compliqué d’expliquer aux consommateurs que sous un même signe, il trouvera un pruneau d’Agen, une mirabelle de Lorraine ou un foie gras du Sud-Ouest qui sont quasiment des AOP, des IGP vins qui sont clairement positionnées en dessous des AOP et des IGP Charcuterie élaborées avec des porcs roumains ou polonais.
Face à un tel constat, quelles sont les solutions à envisager ?
Tout d’abord, il nous faut nous poser les bonnes questions. Pourquoi des pans entiers de notre agriculture refusent d’entrer dans le monde “merveilleux” des SIQO ? Pourquoi voit-on foisonner de nombreuses marques régionales et locales qui, chaque fois, que c’est possible (interdites dans l’huile d’olive mais autorisées pour l’olive de table), cherche à se substituer à nos SIQO ? Pourquoi de nombreux SIQO végètent, voire n’arrivent pas à s’imposer dans leur filière ? La réponse est malheureusement simple : parce que le système n’est pas ou n’est plus adapté à notre société et surtout plus adapté aux attentes des nouvelles générations de consommateurs qui n’ont que faire de nos dogmes compliqués. Toutes les études conduites par le Credoc ou Ipsos sur le sujet montrent que ces nouveaux consommateurs souhaitent connaître l’origine des produits qu’ils mangent ou boivent mais qu’ils sont beaucoup plus réticents face à nos SIQO qu’ils ne comprennent pas !
Et si nous écoutions ce que nous disent nos consommateurs ?
Apportons au consommateur ce qu’il demande : une information claire et simple. Garantissons-lui la provenance de ce qu’il achète par une simple Indication Géographique sans le décorum qui prévaut aux SIQO. Une simple indication géographique qui lui garantit que la pomme de terre vient de l’île de Ré, la tomate de Provence, le lait des Alpes, l’artichaut de Bretagne et le jambon de Bayonne de porcs de l’Ouest de la
France ! Notre système a besoin de simplicité. L’objectif n’est pas de se substituer aux SIQO existants qui répondent à une certaine demande experte.
L’objectif est de créer soit au niveau européen, soit de donner la possibilité à chaque État Membre de mettre en place un signe qui pourrait s’appeler Indication géographique (IG) ou Origine contrôlée ou garantie (OC ou OG).
Ce signe serait bien sûr géré et instruit par l’Autorité compétente de l’État membre en matière de SIQO. Seuls, l’origine de la matière première et le lieu de transformation seraient contrôlés par un organisme de contrôle. Il pourrait être associé à un Label Rouge. En termes de protection, le nom ne serait protégé que dans les États membres, pas besoin d’aller chercher des protections internationales coûteuses et souvent inutiles.
En conclusion
Si les producteurs oléicoles européens ont gagné la bataille de l’information juste et claire du consommateur sur l’origine, ils se retrouvent aujourd’hui coincés entre une mention d’État Membre trop généraliste pour le consommateur (une étude de l’Afidol montre qu’il considère que la France n’est pas productrice d’huile d’olive mais...que la Provence oui !) et un système de SIQO européen peu réactif et très lourd à gérer.
Nous avons besoin de mettre en place entre le système des SIQO qui doit bien sûr perdurer (et même être renforcé dans ses garanties qualitatives) et l’indication de l’État Membre, un signe simple de garantie de l’Origine dont le nom est à déterminer (A.O., I.G., O.G., ...).
Notre économie agricole et oléicole a besoin de simplicité pour survivre. L’origine est une chose beaucoup trop sérieuse pour la laisser entre les mains des technocrates de la Commission. Revenons aux fondamentaux et répondons à la seule chose qui compte : satisfaire la demande de nos consommateurs !
© O. Nasles, published by EDP Sciences, 2014
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