Open Access
Issue
OCL
Volume 20, Number 4, July-August 2013
Article Number D402
Number of page(s) 3
Section Dossier: Freins et leviers à la diversification des cultures / Crop diversification in France
DOI https://doi.org/10.1051/ocl/2013006
Published online 31 July 2013

© J.M. Meynard et al., published by EDP Sciences, 2013

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Introduction

Depuis la seconde moitié du xxe siècle, un processus de spécialisation des exploitations et des territoires est à l’œuvre dans l’agriculture française. Les exploitations de polyculture élevage, jadis largement dominantes, ont cédé la place à des exploitations spécialisées (Chatellier et Dupraz, 2012), principalement en grande culture ou en élevage. Ainsi que le soulignent Mignolet et al. (2012), cette spécialisation résulte de la conjonction de nombreux facteurs : le soutien des prix du blé et de certaines grandes cultures, relayé après 1992 par les primes à l’hectare de céréales et d’oléo-protéagineux, la diminution de la main-d’œuvre agricole et la recherche d’une moins grande pénibilité du travail, l’artificialisation des milieux permise par le drainage et par l’usage d’intrants chimiques (fertilisation minérale, pesticides) expliquent le recul des activités d’élevage dans les régions les plus propices aux grandes cultures. À l’opposé, dans d’autres régions, la production de lait ou de viande s’est concentrée autour d’un appareil industriel performant. Une spécialisation régionale des productions et des industries de transformation s’est ainsi construite progressivement, avec l’objectif de valoriser, chaque fois que possible, les aptitudes des sols et des climats, mais aussi de créer des économies d’agglomération (Chatellier et Gaigné, 2012). Aujourd’hui, la céréaliculture spécialisée domine dans le centre du Bassin Parisien, en Alsace ou en Aquitaine, alors que l’ouest de la France (Bretagne, Pays de Loire, Normandie), qui se consacre à l’élevage intensif, donne une large place dans ses assolements, au maïs ensilage et aux prairies monospécifiques de courte durée. La spécialisation a ainsi progressivement modelé les paysages agricoles, contrastés selon les régions, mais de moins en moins diversifiés en leur sein (Schott et al., 2010; Fuzeau et al., 2012).

1 Une évolution appelée à se poursuivre

Ainsi que le soulignent Chatellier et Gaigné (2012), cette évolution semble appelée à se poursuivre : l’augmentation importante du prix des céréales et du colza tend aujourd’hui à accélérer le processus d’abandon de l’activité d’élevage par les exploitations polyvalentes qui ont l’opportunité de se reconvertir en céréaliculture; la suppression des quotas laitiers en 2015 devrait accélérer la concentration de l’offre dans les zones les plus compétitives.

Cette spécialisation régionale s’accompagne d’une réduction du nombre d’espèces cultivées, et d’un raccourcissement des rotations. Ainsi, dans les zones de grande culture, les surfaces en blé et en colza ont beaucoup augmenté entre les années 1980 et 2010. À l’opposé, les surfaces en pois protéagineux ou en tournesol ont diminué. Dans le Bassin de la Seine, Schott et al. (2010) soulignent que la fréquence des monocultures de blé, et celle des rotations courtes, telles que colza/blé/blé, colza/blé/orge ou blé/blé/orge, a notablement augmenté depuis le milieu des années 19901. Les rotations quadriennales de type pois-blé-betterave-blé ont souvent été remplacées par des rotations plus courtes de type « tête de rotation-blé-blé » ou « tête de rotation-blé-orge ». Au niveau de la France entière, les monocultures de maïs représentent de l’ordre de 6 % de la sole cultivée, et sont particulièrement représentées en Alsace (34 %) et en Aquitaine (49 %). Le blé lui-même, traditionnellement précédé par des « têtes de rotation » (autres espèces avec lesquelles il ne partage pas son cortège de bio-agresseurs) est aujourd’hui dans 17 % des cas précédé par un blé (Fuzeau et al., 2012), ce qui favorise les adventices et maladies inféodées à cette culture.

L’évolution des surfaces en luzerne dans le Bassin de la Seine, décrite par Schott et al. (2010) apparaît particulièrement emblématique : en 1970, la luzerne était présente sur l’ensemble du Bassin (avec des surfaces pouvant localement atteindre 10 à 15 % de la SAU); elle était en général autoconsommée par le bétail dans les exploitations où elle était cultivée. En quarante ans, les surfaces ont chuté de presque 80 % et représentent aujourd’hui moins de 1,5 % de la SAU du Bassin. La luzerne s’est progressivement concentrée en Champagne Crayeuse, région de grande culture dont les sols crayeux à forte réserve hydrique sont favorables à une production élevée. Des usines de déshydratation se sont implantées dans cette région, et produisent des bouchons qui seront incorporés dans les aliments du bétail vendus aux éleveurs des régions spécialisées en élevage.

2 Les conséquences de la spécialisation

D’une manière générale, le raccourcissement des rotations augmente les problèmes de parasitisme tellurique et rend difficile la maîtrise des populations d’adventices. L’homogénéisation des assolements accroît les risques de développement des populations de parasites à dissémination aérienne (insectes, maladies cryptogamiques foliaires). Ce processus de spécialisation ne serait donc pas possible sans les pesticides, qui permettent d’atténuer les effets délétères des rotations courtes ou des monocultures. Schott et al. (2010) notent, à titre d’exemple, que dans le Bassin de la Seine, les petites régions agricoles où il y a le plus de colza sont aussi celles dans lesquelles chaque hectare de colza reçoit le plus de traitements phytosanitaires.

Ce processus de spécialisation des exploitations et des territoires n’est pas sans poser de nombreux problèmes écologiques : le faible recyclage des éléments minéraux (N, P, K...) dans les exploitations agricoles conduit à un gaspillage de ressources non renouvelables, et à des pollutions de l’eau (nitrate, phosphore) et de l’air (ammoniac, oxyde nitreux); la pollution des eaux et des sols par les pesticides tend à s’aggraver; on observe dans les zones agricoles une perte de biodiversité, liée au remplacement des prairies par des cultures annuelles, à la réduction de la diversité des mosaïques d’habitats, et à l’usage abondant des pesticides; la concentration locale des surfaces en maïs irrigué exacerbe les tensions sur l’eau. Enfin, bien que l’on en parle moins, il semble également que la spécialisation, et particulièrement le raccourcissement des rotations, participe au plafonnement des rendements des grandes cultures observé aujourd’hui (Benett et al., 2012, Jeuffroy et al., 2012, Pinochet et Noël, 2012).

Si la spécialisation se poursuit, ce que tout laisse attendre, ces dommages ne pourront que s’aggraver. À l’heure où l’on met en avant, tout autant, l’impératif de réduire les pesticides et celui d’accroître la production mondiale de denrées pour faire face à la démographie, il apparaît prioritaire d’enrayer ce processus, et de travailler à une re-diversification des assolements et des rotations.


1

Des cartes de ces évolutions, basées sur les données du Ministère de l’Agriculture, ont été publiées dans un numéro récent d’OCL (Schott et al. 2010).

Références

  • Benett AJ, Bending GD, Chandler D, Hilton S, Mills P. 2012. Meeting the demand for crop production : the challenge of yield decline in crops grown in short rotations. Biol. Rev. 87 : 52–71. [CrossRef] [Google Scholar]
  • Chatellier V, Gaigné C. 2012. Les logiques économiques de la spécialisation productive du territoire agricole français. Innovations Agronomiques 22 : 185–203. [Google Scholar]
  • Chatellier V, Dupraz P, 2012. Politiques et dynamique des systèmes de production : comment concilier défi alimentaire, compétitivité et environnement ? Agronomie, Environnement & Société 1 : 105–115. [Google Scholar]
  • Fuzeau V, Dubois G, Thérond O, Allaire G. 2012. Diversification des cultures dans l’agriculture française – état des lieux et dispositifs d’accompagnement. Collection « Études et documents » du Service de l’Économie, de l’Évaluation et de l’Intégration du Développement Durable (SEEIDD) du Commissariat Général au Développement Durable (CGDD), N°. 67, 22 pages, http://www.developpement-durable.gouv.fr/developpement-durable/ [Google Scholar]
  • Jeuffroy MH, Michel L, Guichard L, Makowski D, Mignolet C. 2012. Conséquences de l’évolution des systèmes de culture en France sur les rendements du blé et du colza. Colloque SFER-ABER « Le foncier dans tous ses états : productivité, marché et gestion », Lille, 25 mai 2012. [Google Scholar]
  • Mignolet C, Schott C, Benoît M, Meynard JM. 2012. Transformations des systèmes de production et des systèmes de culture du bassin de la Seine depuis les années 1970 : une spécialisation des territoires aux conséquences environnementales majeures. Innov. Agron. 22 : 1–16. [Google Scholar]
  • Pinochet X, Noël V. 2012. Colza : les changements de pratique nuancent les progrès de la sélection. Perspect. Agric. 393 : 34–35. [Google Scholar]
  • Schmidt A, Guichard L, Reau R. 2010. Le colza est très dépendant des pesticides dans les rotations courtes sans labour. Agreste Synthèses 121, 7 pages. http://www.agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_synthese1211008.pdf. [Google Scholar]
  • Schott C, Mignolet C, Meynard JM. 2010. Les oléoprotéagineux dans les systèmes de culture : évolution des assolements et des successions culturales depuis les années 1970 dans le bassin de la Seine. OCL 17 : 276–291. [Google Scholar]

Cite this article as: Jean-Marc Meynard, Aude Charlier, François Charrier, M’hand Fares, Marianne Le Bail, Marie-Benoît Magrini, Antoine Messéan. La spécialisation à l’oeuvre. OCL 2013, 20(4) D402.

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