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Issue
OCL
Volume 17, Number 6, November-Décembre 2010
Dossier : Palmier à huile et développement durable
Page(s) 393 - 399
Section Agronomie – Environnement
DOI https://doi.org/10.1051/ocl.2010.0344
Published online 15 November 2010

© John Libbey Eurotext 2010

Développement de la filière palmier à huile en Côte-d’Ivoire

Palmier à huile en Afrique et cas de la Côte-d’Ivoire

La filière palmier à huile a commencé à se développer en Côte-d’Ivoire dès la période coloniale, dans les années 1910. Son développement s’est poursuivi sans interruption jusqu’à présent, mais elle se trouve aujourd’hui confrontée à de nouveaux enjeux, face à une demande croissante des pays de la sous-région et à la prise de conscience des contraintes environnementales et sociales liées au développement des plantations. Pilotée au départ par des entrepreneurs privés européens, elle a connu une croissance accélérée au cours des 30 années de gestion étatique qui ont suivi l’indépendance, avec l’apparition d’une classe rurale nouvelle : les planteurs villageois de palmiers à huile. La Côte-d’Ivoire est en effet le seul pays au monde (avec la Thaïlande) où l’huile produite dans les usines modernes provient majoritairement des régimes des petits exploitants.

Imposée par le Fonds monétaire international (FMI) à la fin des années 1990, la politique de privatisation a entraîné la stagnation des surfaces et contraint à une difficile réorganisation des filières. L’arrivée des grands groupes asiatiques : Sime Darby au Liberia, Wilmar et Olam en Côte-d’Ivoire, au Ghana et au Gabon, qui disposent de moyens considérables et qui cherchent à transposer le modèle de développement ayant assuré leur fortune en Asie, pourrait changer la donne. Cependant, le modèle industriel reposant sur des appropriations foncières de grande ampleur est controversé, et l’accent est mis sur l’implication des populations rurales dans le cadre de programmes poursuivant à la fois un objectif de croissance, de couverture des besoins régionaux et de lutte contre la pauvreté.

À ce titre, la filière palmier à huile en Côte-d’Ivoire constitue un cas d’école, de par l’importance du secteur des petites plantations (et de sa structuration en une véritable interprofession), mettant en relief les forces et les faiblesses de ce modèle de développement et offrant un terrain d’étude privilégié pour son amélioration.

Croissance du verger ivoirien sous l’impulsion de l’État

À l’indépendance du pays en 1960, hormis la palmeraie naturelle exploitée à Grand-Drewin et à Dabou, il n’existe que quelques plantations industrielles (PI) : 1 950 ha de la PSD (plantation de la savane de Dabou) appartenant à l’État; 1 727 ha appartenant à l’Institut de recherches pour les huiles et oléagineux (IRHO) à Mopoyem; 580 ha appartenant à la Société des plantations et huileries de Bingerville (SPHB) et 2 400 ha appartenant à la Société des plantations et huileries de Côte-d’Ivoire (PHCI), du groupe Blohorn. Celui-ci, dont les bâtiments occupent trois étages au fond de la baie de Cocody (huilerie, savonnerie, bureaux, dispensaire, maisons d’habitation pour la direction et le personnel), consomme 8 000 à 10 000 tonnes d’huile par an, dont la moitié provient du Dahomey et de l’ex-Congo Belge. L’entrée en production de la PHCI, attendue en 1963, doit permettre d’éviter de recourir à ces importations.

La production d’huile de palmiste atteint 5 à 8 tonnes par jour et celle de savons de ménage et de savonnettes 10 000 tonnes par année, couvrant les besoins de la Côte-d’Ivoire et de la Haute-Volta. Les sous-produits, tourteaux et glycérine, sont exportés en Europe. Sa filiale, la « Franco-africaine de raffinage », produit des huiles alimentaires et de la margarine (Le Guillerme, 1962).

En janvier 1963, l’État de Côte-d’Ivoire reçoit du Fonds européen de développement (FED) une première aide non remboursable de 1,15 milliard de francs CFA destinée à promouvoir la culture du palmier à huile dans les milieux villageois de la partie sud-est du pays. La Sodepalm voit le jour au mois de novembre. Puis, en juin 1964, est institué le FER (Fonds d’extension et de renouvellement pour le développement de la culture du palmier à huile) destiné à recycler les subventions reçues de l’Europe et de l’État ivoirien en vue, principalement, de pérenniser le développement des petites plantations au bénéfice des populations rurales. Une seconde aide non remboursable de 8,1 milliards de francs CFA est reçue du FED en mai 1965.

La stratégie repose sur la mise en service d’huileries modernes caractérisées par (Van Looy, 1981) :

  • l’abandon des presses hydrauliques au profit de presses continues à vis jumelées spécialement adaptées aux fruits de palmiers améliorés, presses dont la capacité est un multiple des presses hydrauliques alors en usage;

  • l’emploi de turbines à vapeur à contre-pression en remplacement des machines à vapeur alternatives;

  • l’électrification complète de l’usine;

  • l’utilisation de chaudières à plus haute pression (20-24 bars au lieu de 10-12 bars) et à vapeur surchauffée.

Ces usines sont construites par Palmindustrie, société d’économie mixte créée en 1969. Destinées à produire une huile de qualité export, elles nécessitent une quantité minimum de régimes à traiter pour une exploitation rentable. Pour cela, 3 000 à 4 000 ha de palmiers sont plantés le plus rapidement possible en « PI » avec des moyens mécaniques sur une forêt déclassée par l’État (pour éviter les conflits fonciers). Ensuite, l’approvisionnement de l’usine est complété jusqu’à saturation par le développement progressif de petites plantations familiales, dénommées « plantations villageoises » (PV), dans un rayon de 20 km autour de l’usine.

Le Plan palmier, réalisé de 1963 à 1978, aboutira à la création de 52 000 ha de PI, de 39 000 ha de PV et à la mise en place de 12 huileries de palme pour une capacité totale d’usinage de 420 tonnes de régimes par heure. La production annuelle d’huile brute, voisine de 15 000 tonnes dans les années 1960, est multipliée par dix en 20 ans.

La transformation en aval se développe. En 1973, poussée par le besoin d’augmenter sa capacité de production et par l’urbanisation d’Abidjan, la société HSL-Blohorn déménage ses installations en zone industrielle de Vridi. La concurrence apparaît cette même année, avec la création de Trituraf, société d’économie mixte à majorité d’État, et la construction d’une huilerie de coton à Bouaké. D’une capacité de trituration de 70 000 tonnes de graines par an, correspondant à la production de 10 000 tonnes d’huile, l’usine entrera en activité en 1975.

En 1974, une autre société concurrente voit le jour, Cosmivoire, créée à l’initiative d’Alain Bambara par un groupe d’investisseurs privés ivoiriens. L’usine de Cosmivoire, en zone industrielle de Vridi, entre en production en 1977 avec la fabrication de savons de ménage et de toilette. Elle produira de l’huile raffinée à partir de 1985-1986 et, plus tard, des produits dérivés (principalement de la margarine).

La filière est administrée par l’État qui a racheté, en 1977, les actions détenues par le secteur privé dans le capital de Palmindustrie. L’objectif est de développer la production agricole de matières premières et de promouvoir les investissements privés pour leur transformation. Le prix de cession de l’huile brute aux industriels locaux est fixé sur la base du prix à l’exportation moins les frais non exposés (chargement, fret et assurance), et il est exclu que la société d’État Palmindustrie investisse dans des unités de seconde transformation.

En 1982, André Blohorn vend son entreprise à Unilever et, en août 1983, Blohorn-Unilever prend le contrôle de Trituraf qui menaçait de le concurrencer sérieusement en développant une production de savon et en s’équipant d’une unité de raffinage-fractionnement d’huile de palme.

En 1984, toutes les activités aussi bien agricoles qu’industrielles du « Plan palmier » sont confiées à Palmindustrie et, en 1988, la Sodepalm est rebaptisée CIDV (Compagnie ivoirienne pour le développement des vivriers).

Le deuxième Plan palmier, réalisé de 1983 à 1990, permet de replanter le verger industriel à concurrence de 9 000 ha et de l’étendre de 7 000 ha, tandis que le verger villageois est porté à 83 000 ha. La production de régimes augmente progressivement jusqu’en 1992 pour s’établir au niveau de 1,2 million de tonnes, correspondant à 275 000 tonnes d’huile brute (figure 1) .

thumbnail Figure 1.

 Production de régimes du Plan palmier de Côte-d’Ivoire de 1968 à 1995.

Privatisation de la filière et recompositions successives

Sous la pression du FMI et dans le cadre des programmes d’ajustement structurel, l’État envisage, dès 1995, de se désengager du secteur de production primaire et de privatiser Palmindustrie. Cette privatisation et l’évolution ultérieure de la filière vont être dominées par le groupe Sifca.

Sifca est au départ une société de négoce de café et de cacao créée en 1964 par le Français Henri Tardivat. Passé entre les mains de Pierre Billon et de ses associés, dont Yves Lambelin et des privés ivoiriens, le groupe Sifca s’affirme dans les années 1990 comme le premier exportateur de fèves, développant une activité de transformation et possédant des usines en Côte-d’Ivoire et en Europe (Anon, 2008a).

En 1995, Sifca rachète Cosmivoire qui connaissait des difficultés financières.

Cette même année, Palmindustrie est mise aux enchères en plusieurs lots, dont cinq pour les plantations de palmiers à huile et les huileries. Plusieurs sociétés, tant ivoiriennes qu’étrangères, se montrent intéressées par la reprise de ces activités, notamment :

  • Blohorn-Unilever, pour sécuriser son approvisionnement en matières premières;

  • Sifca, en vue de poursuivre la diversification récemment entreprise de ses activités;

  • Intercultures (Compagnie internationale des cultures) et SIPEF (Société internationale de plantation et de finance), sociétés datant de l’époque coloniale, pour développer leurs investissements et diversifier leur implantation géographique;

  • Palmafrique, constituée par diverses personnalités politiques associées au groupe « l’Aiglon », pour prouver le dynamisme du secteur privé ivoirien.

Pour présenter une offre, Sifca s’associe à Blohorn-Unilever et à Intercultures et crée, le 27 juin 1996, la Palm-CI (Société des palmes de Côte-d’Ivoire). Au terme du dépouillement, les lots sont attribués :

  • à Palm-CI, qui reçoit près des deux tiers des actifs, à savoir les lots 1, 3 et 5 représentant : 37 500 ha PI, 56 000 ha PV et neuf huileries d’une capacité totale de 325 tonnes par heure;

  • à Palmafrique qui obtient le lot 2, à savoir : 8 500 ha PI, 16 000 ha PV et trois huileries d’une capacité totale de 80 tonnes par heure;

  • et à Sipef-CI qui obtient le lot 4, à savoir 13 000 ha PI, 9 000 ha PV et deux huileries d’une capacité totale de 80 tonnes par heure.

Les repreneurs s’engagent à assurer de manière transitoire les mêmes services que procurait la société d’État, à savoir : la collecte des régimes, l’entretien des pistes, la fourniture de plants de palmier et d’intrants et les conseils techniques. Dans le même temps, les petits planteurs sont regroupés en coopératives, d’une à cinq par huilerie. Celles-ci sont destinées à reprendre progressivement ces activités à leur compte.

En 1997, Sifca s’associe au Mauricien Harel et frères pour participer à la privatisation de la filière sucrière ivoirienne et enlève le lot constitué des complexes de Borotou et de Zuénoula (11 000 ha produisant 90 000 tonnes de sucre par an). La nouvelle entité prend le nom de Sucrivoire, société anonyme dans laquelle Sifca possède 29,5% des parts, Harel 25,5% et l’État de Côte-d’Ivoire 45% (Anon, 2010).

En 1997 également, à l’occasion de la privatisation de la Sonicog (Société nationale pour l’industrie des corps gras) au Bénin, Sifca acquiert l’huilerie de coton de Bohicon, d’une capacité de production de 19 000 tonnes par année et crée la SHB (Société des huileries du Bénin).

Avant l’été 1999, date de la libéralisation totale du secteur cacao en Côte-d’Ivoire, Sifca est devenue, à la faveur de plusieurs rachats, le numéro 1 mondial du cacao. Présent également dans le sucre, le riz et les oléagineux, le groupe réalise un chiffre d’affaires consolidé de 750 millions d’euros et recense parmi ses actionnaires, à hauteur de 30%, le premier transformateur mondial de cacao, l’américain WR Grace Cocoa (Anonyme, 2008a).

En juillet 1999, Sifca rachète au groupe Octide Finance, qui était devenu en 1995 l’actionnaire de référence de la Société internationale de plantation d’hévéas (SIPH) avec 92% de participation, toutes ses actions SIPH et SAPH (Société africaine de plantation d’hévéas – filiale de SIPH). Ce faisant, Sifca devient propriétaire de 18 605 ha d’hévéas en Côte-d’Ivoire, répartis entre cinq plantations, ainsi que des 12 104 ha de la GREL (Ghana Rubber Estates Limited), dont SIPH était devenue l’actionnaire majoritaire à l’issue de la cession par l’État ghanéen en 1997 de 75% de ses parts à la SIPH et à un groupe d’investisseurs locaux (Lambelin, 2006).

Mais WR Grace Cocoa est racheté par Archer Daniels Midland-ADM, et ce groupe américain s’empare, fin juillet 2000, de l’ensemble des actifs cacaoyers de Sifca (installations de collecte et industries) à l’occasion d’un montage financier complexe associant le groupe minotier franco-sénégalais Mimran (Losch, 2000).

En 2001, Pierre Billon meurt. Son fils Jean-Louis a déjà intégré le groupe, mais c’est Yves Lambelin, patron opérationnel, qui présidera à sa restructuration. Après la cession des activités cacao, il se recentre sur les activités agro-industrielles plus porteuses (Anon, 2008).

Le chiffre d’affaires de Sifca, qui s’élevait à 510 milliards de francs CFA en 1999, n’est plus que de 110 milliards en 2002 (Maury, 2003).

De 2000 à 2002, la Société des caoutchoucs de Grand-Béréby (SoGB) plante 5 397 ha de palmiers pour mettre en valeur les bas-fonds de sa plantation d’hévéas.

En 2002, Michelin entre au capital de la SAPH à hauteur de 9,9%, dans le cadre d’une augmentation de celui-ci et, en octobre 2006, la Compagnie financière Michelin (CFM) apporte la Michelin Development Co. (MDC), détenant des participations majoritaires dans quatre plantations situées au Nigeria totalisant 11 000 ha, au capital de la SIPH dont elle devient propriétaire à 20%.

La filière palmier à huile s’organise lors d’un atelier national tenu en septembre 2002 à Grand-Bassam. Ce même mois, les événements politiques coupent le pays en deux, et Trituraf qui usinait entre 150 000 et 180 000 tonnes de graines de coton selon les années, produisant 20 000 à 25 000 tonnes d’huile, cesse ses activités. L’année suivante, Unilever se retirera de Trituraf et vendra ses parts (73% du capital) à la société « l’Antilope » du groupe l’Aiglon de la famille Kagnassi. Trituraf ne reprendra ses activités qu’en février 2004 (Kouamé, 2010).

En décembre 2002, l’État met en place le Fonds interprofessionnel pour la recherche et le conseil agricoles (Firca), qui est un instrument professionnel au service des filières de production et des pouvoirs publics chargé de financer les programmes de recherche appliquée, de conseil agricole, de formation aux métiers et de renforcement des capacités des organisations agricoles et forestières. Il ne deviendra opérationnel pour la filière palmier qu’en 2005, après que les négociations sur la fixation de la cotisation professionnelle aient abouti (Anon, 2006).

Décembre 2003 voit la finalisation de la mise en place de l’interprofession, intitulée AIPH (Association interprofessionnelle de la filière palmier à huile) composée :

  • des coopératives de planteurs, dont la superficie (100 000 ha) représente plus du double de celle des PI. Elles sont regroupées au sein de la Fénacopah-CI (Fédération nationale des coopératives de planteurs de palmiers à huile de Côte-d’Ivoire);

  • des sociétés de plantation, représentée par l’Aprosap-CI (Association professionnelle des sociétés agricoles de première transformation du palmier à huile de Côte-d’Ivoire);

  • des raffineurs et des savonniers représentés par le GITHP (Groupement des industriels transformateurs de l’huile de palme).

Son objectif est notamment de déterminer le prix de cession des produits entre les différents échelons de la filière selon un mécanisme défini d’accord parties.

Vers la fin de l’année 2006, Sifca prend contact avec Wilmar International Ltd et Olam International Ltd, deux leaders de l’agrobusiness mondial basés à Singapour, pour leur proposer de participer au développement de la filière oléagineuse. Wilmar, premier producteur mondial d’huile de palme, maîtrise un savoir-faire précieux dans la conduite des plantations et la transformation des oléagineux. De son côté, Olam possède de redoutables capacités de négoce, de distribution et de gestion des risques de crédit en Asie, en Europe et en Afrique, dont elle connaît bien les marchés (Airault, 2008a).

Au 31 décembre 2006, le capital de Sifca est détenu à hauteur de :

  • 49,5% par Parme Investissement, holding de contrôle de la famille Billon (famille du fondateur de Sifca);

  • 23,8% par Immoriv, holding de contrôle de la famille Lambelin;

  • 22,2% par des investisseurs privés.

Ses activités s’exercent en Côte-d’Ivoire, au Ghana et au Nigeria, dans le domaine des oléagineux, du sucre et du caoutchouc (figure 2).

thumbnail Figure 2.

 Portefeuille de Sifca au 31 décembre 2006.

En avril 2007, la SAPH acquiert à 100% la Société agricole et industrielle de Bettié (SAIBE), avec laquelle elle fusionne en juin par voie d’absorption, ajoutant ainsi une plantation de 2 800 ha d’hévéas à son patrimoine.

Trituraf, confrontée à des problèmes financiers, suspend à nouveau ses activités en mai 2007. La faillite de son propriétaire, le groupe l’Aiglon, est prononcée en Suisse trois mois plus tard (Ahoussou, 2009).

En novembre 2007, Wilmar et Olam créent à parts égales NAUVU Investments, en vue d’investir 300 millions de dollars de Singapour (140,4 millions d’euros) dans le groupe Sifca (Anon, 2007) et, début décembre 2008, les deux Singapouriens entrent à hauteur de 27% dans le holding. La structure du capital de Sifca devient alors (Airault, 2008b) :

  • la famille Billon : 44,3%;

  • NAUVU Investments : 27,0%;

  • Yves Lambelin, à travers Immoriv SA : 20,8%;

  • autres : 7,9%.

En avril 2008, SIPH acquiert 60% des parts de Cavalla Rubber Corporation (CRC) qui exploite une plantation de 4 791 ha d’hévéas au Liberia.

En juin 2008, Unilever et Sifca procèdent à des cessions d’actifs croisées dans le cadre du projet Redback (Anonyme, 2008bb; Gbangbo, 2009 ; Okolou, 2009a) : Unilever :

  • cède pour plus de 50 milliards de francs CFA ses intérêts dans l’huile alimentaire (huile Dinor), dont le chiffre d’affaires s’élève à 85 millions d’euros, et dans les plantations de palmiers à huile de Palm-CI et de PHCI;

  • acquiert pour 14 milliards de francs CFA la savonnerie de Cosmivoire, filiale de Sifca, d’une capacité de production de 225 tonnes par jour qui réalise un chiffre d’affaires de 45 millions d’euros avec des produits commercialisés en Côte-d’Ivoire et dans la sous-région (savons Fanico, Idéal Plus, Croco et Super Peau).

Cet échange procède de la volonté d’Unilever de recentrer ses activités sur des catégories de produits à forte valeur ajoutée (savonnerie et cosmétiques), et de celle de Sifca de mettre à niveau la filière palmier à huile de Côte-d’Ivoire avec le soutien des leaders mondiaux de la profession (Unilever-CI, 2008).

Dans ce cadre, les objectifs affichés par Palm-CI sont d’augmenter en quatre ans la productivité des PV de 5 à 15 tonnes de régimes par hectare, celle de ses propres plantations de 12,5 à 20,0 tonnes par hectare, de baisser le coût de transformation des régimes qui est de 40 dollars la tonne contre dix en Asie, d’augmenter sa production d’huile brute de 250 000 à 500 000 tonnes et d’en réduire le coût de 600 à moins de 400 dollars la tonne (Airault, 2008a ; Tadjau, 2009).

Les actifs du raffinage d’Unilever (600 tonnes par jour) et de Cosmivoire (400 tonnes par jour – huile Palm d’Or) sont regroupés dans une nouvelle société, Sania, détenue à 50,5% par la joint-venture NAUVU et à 49,5% par Sifca. En 2008, sur les 350 000 tonnes d’huile brute produites en Côte-d’Ivoire, 300 000 tonnes ont été transformées localement (Kouadio, 2009).

En décembre 2008, Yves Lambelin, alors âgé de 66 ans, annonce sa volonté de se retirer progressivement des affaires, et Bertrand Vignes, directeur des plantations Michelin, est choisi pour l’épauler. Il est nommé directeur adjoint de Sifca le 1er février 2009 (Airault, 2008c).

Situation de la filière en 2010 et ses perspectives

En juillet 2009, Palm-CI absorbe la PHCI, et fin 2009, elle élabore un vaste programme d’investissements d’un montant total de 27,8 milliards de francs CFA sur trois ans consistant à (Okolou, 2009b) :

  • rénover, avant la fin 2010, les huileries d’Éhania Centre et d’Irobo, en portant leur capacité de 45 à respectivement 90 et 60 tonnes par heure;

  • doter, avant la fin 2010, les usines de Toumanguié, de Blidouba et de Néka de nouvelles chaudières et turbines électriques;

  • porter la capacité de l’usine de Boubo de 40 à 60 tonnes par heure et doter l’usine d’Iboké d’une nouvelle chaudière avant la fin 2011;

  • mettre aux normes environnementales toutes les usines sur trois ans;

  • remettre en état les logements du personnel et poursuivre le rajeunissement du verger.

Le programme est financé :

  • par Palm-CI sur fonds propres à concurrence de 5,8 milliards de francs CFA;

  • par un prêt de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) de sept milliards de francs CFA à 9% sur sept ans;

  • par l’émission d’un emprunt obligataire à 7% d’un montant maximum de 15 milliards de francs CFA par appel public à l’épargne.

En 2009 également, Sipef-CI réalise d’importants travaux de remise en état de son huilerie de Bolo, dont la capacité de traitement passe de 45 à 60 tonnes par heure en janvier 2010 (Okolou, 2010).

En aval de la filière, les investisseurs ne sont pas en reste : fin 2009, Sania entreprend, sur le site de Cosmivoire à Vridi, la construction d’une unité de raffinage-fractionnement d’huile de palme brute de 1 500 tonnes par jour (correspondant à environ 500 000 tonnes par an) pour remplacer les anciennes unités de Cosmivoire et d’Unilever. L’investissement est de l’ordre de 15 milliards de francs CFA. L’objectif est, non seulement d’augmenter la capacité de raffinage, mais également d’abaisser les coûts de production en bénéficiant des technologies les plus modernes (Anon, 2009a).

En septembre 2009, après de nombreuses péripéties, Trituraf est finalement rachetée à l’occasion d’une vente aux enchères publiques par la Soprol, holding qui regroupe l’ensemble des activités de transformation et de valorisation des oléagineux de Sofiprotéol, établissement financier de la filière française des huiles et protéines végétales (Konan, 2009). La société, rebaptisée OICI (Olhéol industrie Côte-d’Ivoire), devrait triturer au cours de l’année 2010 environ 57 000 tonnes de graines de coton (Kouamé, 2010), ce qui représente environ le tiers de ce qu’elle triturait avant 2002.

Le palmier à huile demeure donc, et de loin, la première source de corps gras pour la Côte-d’Ivoire qui ambitionne d’approvisionner le marché sous-régional (figure 3). Tous les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont en effet fortement déficitaires, et leur déficit va croissant, tandis que la Côte-d’Ivoire fait exception. En projetant les tendances observées de 2000 à 2008, le déficit de l’UEMOA atteindra en 2020 plus de 450 000 tonnes (Guinée-Bissau, Burkina Faso et Togo ne sont pas recensés par Oil World), mais la Côte-d’Ivoire ne sera excédentaire que de 180 000 tonnes. S’il faut étendre l’analyse à l’espace CEDEAO, la situation est pire encore : le seul géant nigérian, et ses 200 millions d’habitants, sera déficitaire de 1 100 000 tonnes de corps gras en 2020.

thumbnail Figure 3.

 Le marché sous-régional Uemoa et Cedeao.

Or, 2020, c’est demain en matière de développement du palmier à huile. Ce qui signifie que l’Afrique au sud du Sahara ne pourra nourrir sa population au cours des dix prochaines années qu’en ayant recours à des importations massives d’huile de palme asiatique ou d’huile de soja sud-américaine, qui consomme sept à huit fois plus de terres arables et dont l’expansion est subordonnée à la demande de tourteau pour l’élevage intensif des bovins.

L’Afrique doit impérativement développer sa propre production. Les objectifs affichés par Palm-CI en 2008 d’augmenter les rendements de ses plantations ainsi que ceux des PV ne sont pas si aisés à atteindre, et il est fort à craindre que ses conseillers asiatiques s’illusionnent sur le potentiel de production des plantations africaines comparées aux leurs. En revanche, les programmes d’investissements entrepris par Palm-CI et Sipef-CI en 2009 devraient augmenter la production d’huile en améliorant l’efficacité de l’outil industriel.

Les petites plantations de palmiers à huile se sont multipliées depuis 2003, date à laquelle le verger était évalué à 100 000 ha. Il serait, en 2010, de l’ordre de 160 000 ha pour 35 000 planteurs, sans que ces chiffres soient connus avec certitude. Palm-CI a poursuivi la réalisation de pépinières et vendu des plants aux exploitants qui se présentaient. Une partie de ceux-ci se sont fournis directement à la station du CNRA (Centre national de recherche agronomique) de La Mé, mais il est à craindre que beaucoup d’autres n’aient eu recours à du matériel « tout-venant » (plantules ramassées sous les palmiers), pratique déjà dénoncée en 2001 (Cheyns et al., 2002).

Au moment de la privatisation, les coopératives avaient été constituées de manière dirigiste par l’administration qui souhaitait même, au départ, n’avoir qu’une coopérative par bassin de collecte. Ce processus artificiel a permis de mettre en place les premières structures, mais celles-ci ont évolué. Les planteurs se sont regroupés par affinités. Certaines des coopératives de première heure existent encore; d’autres ont disparu, d’autres se sont scindées ou se sont créées de novo. De 21 en 2003, leur nombre est passé à 30 en 2010. Tous les planteurs ne sont pas membres de coopératives; ceux qui ne le sont pas sont souvent les plus gros, désignés sous le nom « d’usagers » par l’interprofession.

À l’avenir, si un rendement de 20 tonnes de régimes par hectare est possible en PI (ce qu’obtient la SoGB), ce n’est pas le cas pour toutes les plantations et, en tenant compte de la nécessaire pyramide des âges, un objectif de 15 tonnes par hectare paraît raisonnable. Sur la base de 65 000 ha de verger industriel produisant 15 tonnes par hectare et de 160 000 hectares de verger villageois produisant 5 tonnes par hectare, le potentiel de production ivoirien est actuellement de l’ordre de 425 000 tonnes d’huile brute si l’on retient un taux d’extraction d’huile brute de 24%.

Pour aller au-delà, il sera nécessaire :

  • d’améliorer la productivité du verger villageois, qui est vraisemblablement plus proche de 8 tonnes par hectare que de 5 s’il est tenu compte des destructions précoces et de la transformation artisanale, mais qui reste néanmoins moitié moindre que le rendement industriel. Pour l’améliorer, des enquêtes de terrain et un programme de recherches seront nécessaires, car la problématique est complexe;

  • d’étendre le verger.

En février 2008, Palm-CI avait entrepris de mettre en valeur la forêt des marais de la Tanoë au sud-est du pays, forêt qui avait été prospectée par Palmindustrie à la fin des années 1990. Mais celle-ci faisait, depuis plusieurs années déjà, l’objet d’études sur sa faune et sa flore, qui la classaient en site à haute valeur de conservation (Koné et al., 2008). Finalement, en avril 2009, Palm-CI annonça, appliquant les recommandations de la RSPO (Roundtable for Sustainable Palm Oil Production), qu’elle renonçait à son projet de 18 milliards de francs CFA consistant à créer 8 000 ha de PI et à développer 8 000 ha de PV satellites (Anon, 2009b).

Où trouver à présent les terres nécessaires au développement de la filière ? Si, dans les années 1960, les PI ont été développées sur des forêts, déclassées par l’État pour la circonstance, c’était essentiellement pour minimiser les conflits sociaux et pour profiter d’un sol riche (qui l’était souvent moins que prévu, car malmené par la préparation mécanique du terrain). À présent, le domaine forestier est considérablement réduit et il est exclu de poursuivre la déforestation.

La RSPO recommande la mise en valeur des « terres dégradées », bien que ce terme soit très flou. Il peut se comprendre comme des terres dont les sols ont été appauvris par des années de cultures successives, et il y en a beaucoup en Côte-d’Ivoire, notamment dans l’ancienne « boucle du cacao ». Une possibilité consisterait à négocier avec les communautés rurales la mise à disposition de blocs de culture de 500 ha minimum, pour une durée de 30 années ou plus, moyennant un loyer et un plan d’actions sociales. Cela reviendrait à donner un coût à la terre qui n’était pratiquement jamais valorisée dans les études de faisabilité des années 1960 à 1990.

L’identification participative de tels blocs, aussi peu éloignés que possible les uns des autres, pourrait donner lieu à la création de PI d’un nouveau type.

La fertilité du sol pourrait être restaurée en utilisant un système agroforestier séquentiel : une plantation d’Acacia mangium ou d’auriculiformis précédant de plusieurs années celle des palmiers, comme cela avait été entrepris par Palmindustrie sur ses plantations d’Éloka et de Dabou à la fin des années 1990, dans le but d’améliorer la structure du sol et de reconstituer l’horizon humifère superficiel.

Avec ces hypothèses, les superficies plantées pourraient doubler ou quadrupler en 30 ans, car la zone favorable à la culture du palmier à huile reste très importante (figure 4 sur laquelle les cercles de 20 km autour des huileries matérialisent leur bassin de collecte théorique et où les lignes d’isodéficit hydrique ont été reportées d’après Eldin et Daudet, 1968).

thumbnail Figure 4.

 Localisation des principaux ensembles agro-industriels palmiers de Côte-d’Ivoire.

Pour une meilleure rentabilité des projets, il est préférable de ne planter que là où le déficit hydrique ne dépasse pas 200 mm, mais grâce aux progrès réalisés par l’amélioration variétale, de bons rendements pourront encore être obtenus jusqu’à 300 mm.

L’étude d’un troisième Plan palmier a été commandée par l’AIPH au Bureau national d’études techniques et de développement (BNEDT), qui devrait être disponible avant la fin de l’année 2010. Le fait que la Côte-d’Ivoire soit, parmi tous les pays qui bordent le golfe de Guinée du Sénégal à l’Angola, le seul dont la balance commerciale en corps gras soit excédentaire et le dynamisme de son interprofession justifieraient que les bailleurs de fonds, qui ont tant contribué à l’essor de la filière de 1960 à 1990, se penchent à nouveau avec bienveillance sur son troisième Plan palmier.

Références

Liste des figures

thumbnail Figure 1.

 Production de régimes du Plan palmier de Côte-d’Ivoire de 1968 à 1995.

Dans le texte
thumbnail Figure 2.

 Portefeuille de Sifca au 31 décembre 2006.

Dans le texte
thumbnail Figure 3.

 Le marché sous-régional Uemoa et Cedeao.

Dans le texte
thumbnail Figure 4.

 Localisation des principaux ensembles agro-industriels palmiers de Côte-d’Ivoire.

Dans le texte

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